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  • Autour d'Hamlet

    L'étude du "Hamlet" de Shakespeare par Lise Contour-Marsan (1969) fournit plus de renseignements sur l'appareil critique extraordinairement volumineux concernant cette tragédie qu'elle ne contribue à élucider cette pièce.

    Contour-Marsan note ainsi ce paradoxe : l'accumulation des études, qui se comptent en dizaines de milliers (comparativement aux Anglais, aux Américains et aux Allemands, les Français ont peu contribué à cette accumulation), n'a pas eu pour conséquence de faire progresser de façon nette la compréhension de Shakespeare.

    J'explique ce paradoxe ainsi : Shakespeare constitue une menace pour la culture bourgeoise ; deuxième explication adjacente : rares sont les docteurs ou professeurs de littérature contemporains possédant une connaissance suffisante de la bible pour comprendre quelle est la religion de Hamlet, c'est-à-dire de Shakespeare. La science bourgeoise universitaire est par conséquent faite d'un mélange de mauvaise foi et d'ignorance, peu propice à l'élucidation de Shakespeare ; j'ai donné sur ce blogue de nombreux exemples d'interprétations aberrantes au point d'être ridicules concernant Shakespeare, son théâtre ou sa poésie.

    Pour mémoire, citons le cas de "Thomas More" : il y a tout lieu de croire que cette pièce est de Shakespeare ; le personnage de l'éminence grise, appartenant au clergé, dont le théâtre de Shakespeare fournit plusieurs exemples (Wolseley, Polonius, etc.), est toujours un personnage "noir", dont la perfidie se teinte parfois de bêtise (Polonius). On peut en déduire que Shakespeare prend dans ce cas en compte l'interdiction chrétienne formelle de servir deux maîtres, dessinant des personnages dont le mobile et la vocation sont les plus troubles, en même temps qu'ils sont caractéristiques de la culture bourgeoise et des temps à venir. Thomas More, selon Shakespeare, n'échappe pas à la règle : l'auteur nous montre ce prétendu "saint" commettre un parjure odieux ; un parjure significatif puisqu'il résulte du christianisme aberrant de T. More. Bien loin d'en faire un martyr, Shakespeare fait de T. More un "arroseur arrosé". Or le commentateur moderne, dans certaine édition écrit à peu près : Shakespeare a fait de saint Thomas More le héros d'une de ses pièces, donc cela prouve que Shakespeare est... catholique romain. Seul un mélange de mauvaise foi et d'ignorance peut fonder un tel commentaire.

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    Contemporaine de l'exégèse freudienne du théâtre de Shakespeare, L. Contour-Marsan écarte heureusement les spéculations de cette pseudo-science allemande d'un revers de main bien français, c'est-à-dire en se fondant sur le bon sens. Shakespeare à plusieurs reprises dans la pièce montre que la folie de Hamlet est une feinte. C'est le Danemark qui, de toute évidence, est aliéné du point de vue de Shakespeare ou de Hamlet.

    L'exégèse psychanalytique conduit ainsi à adopter le point de vue du Danemark, c'est-à-dire de Claudius, Polonius, Gertrude, ses actionnaires principaux. L'antimétaphysique freudienne se heurte à la méthaphysique shakespearienne, d'une manière qui n'est pas sans rappeler le heurt entre Platon et Homère.

    A travers Hamlet, Shakespeare nous dit la menace que représente Hamlet pour le Danemark, et la menace que représente le Danemark pour Hamlet. Et par "Danemark" il faut comprendre "l'Occident chrétien" ; c'est à quoi tient la dimension prophétique de Shakespeare, sa résistance au temps et aux changements de régime.

  • Bêtise laïque

    On peut définir la culture laïque comme "une culture de la libre-pensée obligatoire" ; cette définition caricaturale permet de souligner la bêtise laïque, en même temps qu'elle est un paradoxe élevé au rang de doctrine ; et même l'origine chrétienne de la laïcité est perceptible.

    En effet, en ce qui concerne ce dernier aspect, nulle religion n'a jamais paru plus proche de la libre-pensée que la religion de Jésus-Christ, qui attisa contre lui pour cette raison la vindicte des représentants de la religion juive et des autorités civiles et militaires romaines.

    La figure de Jésus-Christ libre-penseur est si frappante, soulignée d'ailleurs par les épîtres de Paul, que son assassinat a pu être approuvé par des doctrinaires partisans de l'ordre public, en l'absence même de motif de condamnation légale valable (!) ; F. Nitche est peut-être le plus célèbre, mais surtout le plus franc d'entre eux, qui désigne Jésus-Christ comme un anarchiste. A l'inverse, nombreux sont les doctrinaires révolutionnaires, sincèrement chrétiens ou non, qui se sont servi de l'argument de la libre-pensée chrétienne contre l'autorité de l'Eglise catholique (afin de mettre sa doctrine en porte-à-faux) ; on pourrait multiplier les exemples, contentons-nous de citer Diderot (athée), Rousseau (chrétien), d'Holbach, ainsi que Marx plus récemment.

    La logique de purge du judaïsme et du christianisme, correspondant au voeu de Nitche ou d'athées militants voudrait qu'on instaure un régime théocratique, proscrivant la libre-pensée au lieu de la promouvoir. Nitche en est parfaitement conscient.

    Aucun homme de loi, aucun politicien honnête et compétent ne parviendra en effet à justifier le besoin de la libre-pensée sur le plan politique et social. Si les espèces animales fournissent des exemples d'organisations politiques parfaites, c'est bien parce que la volonté animale est exclusivement tendue vers la jouissance, à l'exclusion de tout principe ou de toute chose métaphysique. Les Anciens en tiraient une leçon sur le rapport de la bêtise et de la politique, et de cette leçon une double limite, haute et basse, assignée à la politique.

    Mais l'éradication de la libre-pensée par le biais de la théocratie s'est avérée inefficace chaque fois qu'elle a été tentée (Napoléon, Hitler). La bourgeoisie libérale a mis en place une stratégie bien plus efficace ; principalement en réduisant la liberté à la liberté de jouir, en quoi le libéralisme excède toutes les sortes de cultures barbares du passé, et le Dr Johnson n'a pas déduit pour rien de sa lecture du "Marchand de Venise" que "le libéralisme est l'invention de Satan". Sur le plan juridique, la bourgeoisie libérale a choisi de mettre en place une théocratie qui ne dit pas son nom, que l'on peut qualifier d'anthropothéocratie. La ruse est grossière puisqu'il s'agit d'inciter le citoyen d'une nation anthropothéocratique à renoncer à la liberté, non pas au nom du droit divin représenté par une caste particulière de prêtres et de princes, mais au nom d'une volonté générale qu'une caste de hauts fonctionnaires prétend incarner. L'arcane est à la fois grossière et instable - on le voit à travers cette "laïcité sacrée" dont chaque citoyen propose une définition conforme à son désir ou presque.

    Cette anthropothéocratie a grand peine, de surcroît, à dissimuler qu'elle est un culte du veau d'or. L'Ancien testament renferme à cet égard une information historique majeure. On y voit le peuple de dieu se scinder de l'ancienne Egypte, pure théocratie, pour affronter une idole, qui en son sein même sème la discorde, à savoir le culte du veau d'or.

    Ce n'est pas un hasard si le régime laïc, soi-disant favorable à la liberté d'expression, se garde d'envisager l'argent comme un instrument d'aliénation et de fanatisme, de sorte qu'à de rares exceptions le culte du veau d'or est la religion la mieux protégée par le régime de libre-pensée laïc.