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Pourquoi le Veau d'or ?

Je lisais récemment un ouvrage sur les dernières années de Karl Marx, entre Londres, Paris et Alger, au cours desquelles il fut durement éprouvé. Le réconfort, il le trouvait en partie dans la douleur physique, qui l'aidait à oublier ses douleurs morales. Mais son combat contre l'esclavage aussi le soutenait.

Sur le plan intellectuel, on pourrait résumer ces dernières années à cette boutade de l'auteur du "Capital" : "S'il y a bien quelqu'un qui n'est pas marxiste, c'est bien moi !" Mi-dépité, mi-philosophe, il ne faisait ainsi que constater l'incompréhension de la plupart de ses disciples, y compris les plus proches, comme ses deux gendres français (Lafargue et Longuet). Quand il confia ses ouvrages à des traducteurs, Marx fut souvent confronté à la même incompréhension du sens de son analyse scientifique. La faute de l'auteur, trop... subtil ? Voire. Je constate, lisant et relisant Shakespeare, qu'une même pièce donne lieu parfois à des commentaires diamétralement opposés. L'intelligence humaine est limitée.

D'autre part, au cours de ma pratique prolongée de l'art (plastique), j'ai constaté le goût inné de l'être humain, persistant s'il n'est pas éduqué, pour les choses complexes. A posteriori je me suis aperçu que ma vocation artistique était surtout une aspiration de ma part à la simplicité. Je ne connais aucun artiste véritable qui n'ait accompli un chemin du complexe vers le simple. Le capitalisme a d'abord été pour moi une machine infernale à fabriquer des choses complexes, de plus en plus inutiles.

Mais revenons à Marx. Incompris, il le fut en France, y compris après sa mort. Il me semble en élucider la principale raison en disant que l'Etat a été élevé en France au rang de divinité tutélaire, suivant une tradition multiséculaire (de Louis XIV à de Gaulle en passant par de nombreux despotes) ; les Français sont ainsi prédisposés à voir en Marx un blasphémateur. La preuve, Tocqueville n'a pas eu beaucoup plus de disciples, sans doute pour la même raison. On parle de démocratie en France comme on parle d'écologie, histoire de passer le temps, et parce qu'il faut bien que les jeunes gens agitent des hochets pendant que les vieillards tirent les ficelles.

Le destin ne se serait-il pas montré moqueur avec Marx ? En effet, lui qui se voulait "athée", est resté dans la mémoire collective, à juste titre me semble-t-il, comme le dernier adversaire du "Veau d'or", le dieu des bourgeois, ennemi du Vrai Dieu dans la Bible. De son vivant, Marx a suscité l'enthousiasme de quelques chrétiens, qui retenaient surtout de son travail cet aspect. Il a toujours repoussé avec mépris cet "enthousiasme chrétien".

L'auteur de ce bouquin sur les dernières années de Marx (Marcello Musto) signale le peu d'intérêt de Marx pour les textes sacrés.

Néanmoins Marx fut un lecteur très attentif de Shakespeare. Sa conception de l'argent, par exemple, en découle entièrement. L'idée que l'argent est bien plus qu'un simple moyen d'échange, la dimension charnelle de l'argent, a été exhibée par Shakespeare dans "Le Marchand de Venise". Or Sh. est entièrement imprégné de la Bible. Le personnage du Juif Shylock a été conçu par un auteur qui n'ignore aucune ligne des épîtres de Paul.

De plus le peuple Hébreu, fuyant l'Egypte à travers le désert, est une métaphore de l'Histoire. Et cela, Shakespeare l'avait compris bien avant Marx.

Or la Bible, à travers la fable du Veau d'or, illustre la tendance innée de l'homme - de l'homme au niveau de l'instinct - à l'idolâtrie. Pourquoi le peuple juif trahit-il Moïse et le vrai Dieu au profit du Veau d'or ? La Bible répond : parce qu'il a peur. L'homme est idolâtre par nature. C'est d'ailleurs pourquoi l'athéisme, d'une certaine façon, n'existe pas, mais beaucoup se contentent d'obéir aux ordres de l'argent, le plus humain des dieux, et n'en veulent pas d'autre.

Commentaires

  • De mon côté, je pense surtout que Marx n'avait pas conscience de sa face sombre (un peu comme le "Ca" de Freud) que même étant révolutionnaire, il n'a pas échappé au Veau d'or, (il était notamment petit-fils de rabbin) d’où le paradoxe de Marx non-marxisme : ses disciples l'ont pris tel qu'il était et non tel qu'il se voyait lui-même.

  • Les disciples de K. Marx comprenaient mal sa théorie de la "plus-value" capitaliste. On constate que les socialistes français n'ont jamais compris Marx, puisqu'ils parlent aujourd'hui, plus d'un siècle et demi après la mort de Marx, de "financiarisation du capitalisme", CE QUI EST TOTALEMENT ABSURDE du point de vue marxiste. La financiarisation est le principe du capitalisme selon Marx, sa spécificité économique.

    Le jeune K. Marx était un "judéo-chrétien", sur le plan culturel. Son père avait délaissé la religion juive de ses ancêtres. Néanmoins K. Marx va devenir le plus farouche opposant au capitalisme, c'est-à-dire au culte du Veau d'or. Marx est devenu, presque à son insu, un disciple de Moïse. Le judaïsme est la religion la plus hostile au culte du Veau d'or.
    En ce qui me concerne je pense que Shakespeare n'y est pas pour rien.

  • "L'argent le plus humain des dieux", l'idole des idoles, le fétiche des fétiches a, je crois, dit Marx, pourquoi Shakespeare le ramène à un kilo de barbaque.
    Ton intro sur la "simplicité" en art est très juste mais un peu ambigüe. C'est très compliqué d'atteindre à la simplicité, ça demande beaucoup de travail et qui ne se voit pas; ça rappelle le paradoxe de la Foi: "comme voyant celui qui est invisible".

  • Histoire de préciser un peu : l'artiste s'oppose à l'intellectuel, comme le simple s'oppose au complexe. Si la Renaissance représente un sommet dans le domaine de l'art plastique, c'est en raison de sa simplicité. La Renaissance surpasse le Moyen-âge, plus complexe.
    La décadence, en art, se traduit par un retour à la complexité primitive. Le vocable de "fétiche" employé par Marx exprime très bien cette idée.
    Il me semble que l'admiration de Marx pour Balzac vient de là, de ce que Balzac a exprimé de façon plus simple ce que Marx avait démontré dans le Capital, par "A + B". Balzac est un artiste, tout comme Flaubert, mais comme les peintres de fresques, c'est-à-dire de tableaux de grande ampleur, faits pour être vus de loin, il ne peaufine pas les détails.

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