Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

shakespeare

  • L'Etre et le Néant

    Comme un ami s'étonnait récemment de mon franc mépris pour la philosophie allemande de Jean-Paul Sartre, je lui répondis que cette philosophie étant diamétralement opposée de celle de Shakespeare, mon mépris était inévitable.

    La philosophie réactionnaire trouve quelques éléments qui la confortent dans le théâtre à vocation universelle de Shakespeare. La philosophie moderne, aucun. Les talibans sont plus modernes que Shakespeare. Le théâtre de Shakespeare procède impitoyablement au massacre des philosophes modernes, comme si Shakespeare avait prévu le nombre infini de leurs victimes.

    L'entreprise de censure "cryptocatholique" de J.-P. Sartre se limite à dénigrer une poésie hérétique française (Baudelaire, Flaubert...) car le rayonnement de Shakespeare est très faible en France ; on sabotera Molière beaucoup plus utilement (on peut s'amuser à regarder les mises en scène françaises du théâtre de Shakespeare comme un sabotage systématique, le plus souvent inconscient. Je ne suis pas certain qu'Anouilh ait fait exprès d'amputer "La Nuit des Rois" des scènes qui permettent de comprendre que Shakespeare n'est pas Marivaux).

    Le détournement de Shakespeare par Victor Hugo et Paul Claudel me paraît plus malin ou intentionnel. Victor Hugo est le prototype de celui qui n'aime rien parce qu'il aime tout. Le rapport de Victor Hugo à la littérature et à l'art est le même que son rapport aux femmes, il est pantagruélique.

    Dès les premières pièces, Shakespeare désacralise la littérature et la culture, sapant ainsi complètement la modernité. C'est ce qui a plu à Nietzsche, et pourquoi il a cru être Shakespeare réincarné pendant un certain temps... avant de déchanter car "L'Eternel retour" n'est qu'une philosophie de bonne femme selon le "grand Will". Si la philosophie réactionnaire plaît tant aux femmes, c'est parce qu'elles savent bien qu'elles l'ont inventée.

    Shakespeare montre que l'Amour et l'Argent sont les deux agents principaux de décomposition du corps social. Courir après l'Argent, c'est courir après le Néant. Cela explique, par exemple, pourquoi des personnes multimillionnaires, ont la sensation au soir de leur vie d'avoir gâché leur existence et que leur fortune ne s'oppose pas aux Néant ; on peut les voir s'adonner alors à des activités encore plus puériles, comme courir après l'Amour ou entamer une collection de timbres, aller visiter la lune en fusée.

    Il me semble que c'était mon état d'esprit quand j'étais au collège, et que j'avais effectivement l'impression de me mouvoir au ras du Néant, comme le marin sur son bateau. Par chance j'ai pu découvrir assez tôt dans ma vie -expérimentalement- que le marin aspire au Néant, c'est-à-dire à disparaître de la surface de la terre sans laisser de traces - j'explique de cette façon que la culture japonaise soit une culture de mort et que les Japonais se soient convertis aussi facilement à la barbarie occidentale moderne.

    C'est, à peine quelques années plus tard, en observant que toutes les lycéennes alphabétisées de mon lycée lisaient Sartre (un vrai piège à filles), que je me suis demandé : - Qu'est-ce qu'elles peuvent bien trouver à ce machin allemand ? Et alors j'ai lu Sartre. J'ignorais qu'il était laid et qu'il avait trouvé le moyen d'y suppléer en jonglant avec les mots, comme font la plupart des pasteurs en chaire le dimanche pour le plus grand bonheur des dames, suivant une observation déjà ancienne (de La Bruyère).

    L'Amour et l'Argent, porte-parole du Néant, sont de très vieux démons : la philosophie antique les avait déjà vaincus, dira-t-on. Ce n'est pas si sûr ; il n'est pas certain que l'Antiquité avait compris Homère et la victoire d'Ulysse sur "la bête de la terre", comme les disciples d'Homère les plus sagaces comprennent son "Iliade" et son "Odyssée" aujourd'hui.

    D'autre part Shakespeare montre comment la bourgeoisie et la philosophie moderne font du Néant, ce à quoi l'Antiquité n'avait pas pensé, un usage politique, de telle sorte qu'on peut comparer la philosophie moderne avec "un livre des Morts".

    Je me demande si Karl Marx avait saisi la monstruosité de la bourgeoisie moderne dans toute son étendue ? La charogne n'est pas seulement "belle", selon le mot de Baudelaire (qui en dit un peu trop au goût du censeur Sartre), c'est le plat quotidien du charognard moderne, dont il se repaît jusqu'à dévorer ses propres enfants en cas de disette.

  • Un malentendu à propos de Karl Marx

    Il est un malentendu persistant à propos de Karl Marx, entretenu par le régime des Soviets, puis par les intellectuels communistes en France, un malentendu tel que l'on peut dire que le marxisme n'a pas essaimé en France*.

    Ce malentendu consiste à prendre Karl Marx pour un "utopiste". Le projet clairement affiché de Marx et Engels était de vacciner le prolétariat contre le romantisme révolutionnaire, c'est-à-dire l'utopie. Lénine, qui n'était pas illettré, savait très bien qu'il inventait quelque chose qui n'avait qu'un lointain rapport avec la critique marxiste.

    Si, donc, la critique marxiste n'a rien perdu de son utilité, c'est en raison des ravages persistants de l'utopie, sans doute le principal obstacle au progrès.

    Si on prend la peine de lire Marx, on verra qu'il ne démolit pas seulement l'utopie du ruissellement libéral, avant que l'Histoire n'ait illustré la puissance génocidaire de cette utopie -cousine germaine du communisme-, dont l'égalitarisme n'est autre que l'expression juridique ; l'illusion du ruissellement rejaillit sous la forme de l'illusion de l'égalité parfaite.

    Marx démolit aussi l'utopie des "droits de l'homme" virtuels : dès la fin du XIXe siècle, bien avant G. Orwell, Marx a défini la démocratie-chrétienne comme un Etat de non-droit (anarchique).

    Marx démolit encore l'utopie de l'Etat providentiel hégélienne, architecture néo-gothique derrière laquelle on devine l'Etat totalitaire ultra-moderne. L'Etat soviétique omnipotent est, en réalité, une architecture hégélienne. Le clergé communiste s'est employé, pour cette raison, à réhabiliter la philosophie de G.W.F. Hegel, dont Marx avait démontré qu'elle ne tenait que par des syllogismes.

    On peut ici parler de "clergé" car l'Etat hégélien est une institution analogue à l'Eglise romaine. Le tour de passe-passe de Hegel consiste à intégrer le processus historique dans l'Etat, tandis que l'Eglise romaine était structurée autour du "droit naturel". Dans les deux cas, qu'il s'agisse du "sens de l'Histoire" hégélien ou du "droit naturel" catholique romain, il s'agit de PURE RHETORIQUE. L'Etat totalitaire hégélien repose donc sur une théorie de la providence, la plus destructrice du progrès véritable ; la liberté et la démocratie brillent comme des idoles au fronton des régimes totalitaires.

    George Orwell prolonge bien K. Marx quand il décrit "Big Brother" comme une idole, réclamant l'amour des citoyens et non seulement le respect et la crainte comme un Léviathan ordinaire (tel que Hobbes l'a théorisé et qui n'a jamais vu le jour).

    Orwell prolonge encore Marx puisque "1984" est une contre-utopie. La religion des régimes totalitaires est l'utopie, qu'elle soit nationale-socialiste (utopie biologique), communiste (hégélienne), ou libérale (ruissellement de la richesse). En affinant l'analyse, on démontrerait que ces trois utopies ne diffèrent que par des détails.

    Si la critique du capitalisme apparaît moins nettement dans "1984" que dans la satire d'Huxley où la plus immonde société de consommation est admise par 99% des citoyens ("Brave New World"), la raison en est que ce sont les ruines de l'Europe industrielle qui ont servi de décors à Orwell. "1984" est concentré sur le dernier pouvoir auquel s'accroche Big Brother - celui des mots. La ruine est, quoi qu'il en soit, où l'économie capitaliste conduit systématiquement, cycliquement.

    Marx n'est pas un utopiste : il croyait à la capacité de l'humanité de s'extraire de la logique autodestructrice de l'économie capitaliste, quoi que ce ne soit pas dans l'intérêt des élites dominantes de s'extraire d'un tel mode de gouvernement, car leur domination en dépend, et qu'elles ne connaissent pas d'autre moyen que l'esclavage.

    *Si la critique marxiste avait exercé une influence en France, il n'y aurait pas autant de Français à croire que le suffrage universel est un "instrument démocratique".

  • Le Chrétien et le Capital

    Commençons par dire pourquoi la "taxation des riches" et l'augmentation du SMIC ne sont pas des programmes d'inspiration marxiste. K. Marx s'opposa sur ce point aux socialistes français, pour une raison bien précise : la revendication d'un salaire minimum par les partis socialistes signifiait que leurs dirigeants n'avaient rien compris à la démonstration du "Capital" - démonstration que la "plus-value" implique la spoliation des travailleurs salariés.

    Lire la suite

  • Simone Weil au bac

    Les élèves de terminale devaient composer cette année, lors de l'épreuve du baccalauréat de philosophie, sur un thème de prédilection de Simone Weil (1909-1943) : l'Etat ou la science, ou encore la condition ouvrière (commentaire d'un texte).

    Simone Weil n'a pas produit comme Shakespeare une pensée philosophique complète ; mais son indépendance d'esprit et son anticonformisme méritent d'être salués, et ce d'autant plus que les profs de philosophie sont désormais aplatis devant l'Etat, prêchant la bonne parole des cartels sur les plateaux de télévision ; de cette valetaille, Simone Weil fut l'antithèse.

    Son meilleur essai (le plus cohérent), "Réflexion sur les Causes de la Liberté et de l'Oppression sociale" (1934) est le plus "orwellien". L'auteure y met en évidence la force oppressive de la Culture, en lieu et place de la Nature. La tyrannie moderne incite, de fait, à se prosterner devant la Culture. Sans théoriser la "société du spectacle", Orwell a montré que Big Brother est un Etat absorbé par la production d'une culture bas-de-gamme, au niveau du confort intellectuel ; la "novlangue", conçue par les linguistes, est aussi une production culturelle conçue pour éradiquer l'esprit critique. Le terrorisme intellectuel a changé d'étiquette plusieurs fois en France depuis les années 1950, mais il est constant, prenant des formes plus ou moins subtiles.

    L'Etat moderne totalitaire est un instrument d'oppression du peuple par les élites dominantes : Simone Weil explique pourquoi et comment cette fonction est liée à l'illusion d'une domination de la Nature par la technologie.

    Cependant la critique du marxisme par S. Weil me paraît incompréhensible et hors sujet. Non seulement K. Marx a annoncé la destruction des cultures traditionnelles sous l'effet de l'économie capitaliste (ce qui n'est pour Marx ni une mauvaise chose, ni un progrès, mais un phénomène historique), mais il a prédit la "réification" de l'être humain. Marx a même démontré l'inaptitude du droit à réduire les inégalités, éventant ainsi le subterfuge de la sociale-démocratie, qui se double malheureusement souvent d'une ruse chrétienne (on pense ici en particulier à la ruse de la "doctrine sociale de l'Eglise catholique", ou à la ruse des supporteurs chrétiens de D. Trump).

    Dans sa critique de la physique quantique, adjacente à celle de l'Etat totalitaire, Simone Weil n'est pas loin de définir ce discours scientifique comme un "newspeak" défiant l'entendement. Malheureusement incomplète, la critique de Simone Weil a le mérite de souligner la démission de la philosophie face à un des aspects les plus dangereux de l'Etat totalitaire technocratique, et l'hypocrisie des prétendus "comités d'éthique scientifique".

    Sur le plan religieux, Simone Weil n'est pas loin du célèbre hérétique Marcion, qui croyait le christianisme fondé sur le rejet du judaïsme, quand la véhémence du Christ est dirigée contre le clergé juif, c'est-à-dire la trahison de l'esprit de la Loi de Moïse.

    L'hérésie de S. Weil est plutôt un errement : la méfiance de S. Weil vis-à-vis du clergé catholique peut se comprendre, dans une époque où il est s'est fait le complice de la barbarie capitaliste et de l'esclavage des ouvriers dont la condition lui semblait, comme à Marx et Engels, inhumaine ; le sentiment de culpabilité d'une partie du clergé catholique a d'ailleurs engendré en son sein un mouvement de prêtres-ouvriers (à un stade de la division du travail où l'esclavage le plus dur avait déjà été délocalisé en Chine ou en Inde).

    Athée et socialiste, tout comme Orwell, S. Weil n'était pas beaucoup moins dégoûtée que lui par le personnel ecclésiastique ; mais elle a été conquise par la doctrine pacifique de Jésus-Christ, qui contraste singulièrement avec la violence barbare de la bourgeoisie judéo-chrétienne.

    Le rejet de la religion juive, sous prétexte de la violence de l'Ancien testament, est surprenant de la part d'une helléniste comme Simone Weil, car la sagesse grecque passe aussi par des fables et des récits violents. Les héros grecs subissent la violence des éléments sataniques, mais ils exercent eux-mêmes souvent une violence symbolique, y compris Ulysse ; il ne faut pas oublier non plus la colère du Christ contre les Juifs et ses propres disciples, quand ceux-ci trahissent la Parole - colère qui prolonge celle de Moïse face aux Juifs idolâtres.

  • Sade ou Shakespeare ?

    Faut-il jeter Sade à la poubelle, suivant le désir des censeurs puritains ? On aurait tort de croire que les puritains n'ont pas de désir ; leur désir de censure est un désir en creux, un désir potentiellement sadique.

    C'est peut-être la seule leçon à tirer de Sade : derrière le puritanisme sommeille un sadisme, un désir de couper la tête du roi, ou de trancher les parties génitales des cinéastes, les rois de notre époque où l'illusion tient lieu de droit divin. Posséder, la suprême illusion - être possédé, la triste réalité.

    Si l'on jette Sade, on devra aussi brûler Barbey d'Aurevilly, ce Sade à repentirs, un vrai piège à filles comme le "divin marquis". Barbey avait, dit-on, une certaine expérience de la fascination que les types démoniaques exercent sur les bas bleus.

    Lire la suite

  • La Revue Z

    La Revue Z, littéraire et satirique, vient de paraître ; on peut se la procurer sur Amazon.com (n°ISBN : 979-8871742525).

    Je contribue à cette nouvelle revue (illustrée) notamment sous la forme d'un article portant sur le danger que représente la prose de George Orwell ("1984" en particulier) pour l'intelligentsia contemporaine, soi-disant "libérale", en réalité coercitive. Si Orwell ne représentait pas une menace de dissidence, il ne serait pas trahi, saboté, diffamé.

    La revue publie aussi une étude sur la philosophie de Shakespeare afin de compenser le retard pris par les études françaises sur les études anglo-saxonnes.

    Sommaire complet ci-dessous :

    shakespeare,revue,littéraire,amazon.com,satirique,orwell

  • Shakespeare philosophe

    Ce billet pour annoncer la publication prochaine, courant janvier, d'une nouvelle revue littéraire pas comme les autres, la "Revue Z" ; pas comme les autres car elle sera indépendante de la mode, sans être une tour d'ivoire littéraire ; pas comme les autres car elle sera abondammentshakespeare,revue z,littéraire illustrée.

    Je contribue à cette opération sous la forme d'un article intitulé : Pourquoi Orwell dérange toujours autant les intellectuels ?

    La revue publie aussi une étude sur la philosophie de Shakespeare : les Français sont mal prédisposés à voir en Shakespeare un philosophe à part entière ; l'étude est donc conçue pour compenser ce handicap.

    Cette revue contiendra de surcroît des actualités, des critiques, des nouvelles... en somme tout ce qu'une bonne revue littéraire doit contenir (180 p. environ, disponible sur Amazon.com - éditée par l'asso. Zébra : zebralefanzine@gmail.com).

  • Homère vu par Shakespeare

    Je lis ceci dans un manuel scolaire (par Olivier Got) :

    «N’oublions pas cependant qu’Ulysse, sans les dieux qui le protègent, ne serait rien.»

    On pourrait l'oublier, en effet, tant les personnages de "L'Iliade" et de "L'Odyssée" paraissent proches de nous, au point que certains lecteurs athées peuvent apprécier la lecture des aventures d'Ulysse et de ses compagnons, s'identifier à tel ou tel héros (l'Odyssée magnifiant Ulysse entre tous).

    Certains auteurs modernes sont fascinés par Ulysse, bien que le héros grec ne soit absolument homère,shakespeare,ulysse,odyssée,achille,troilus,cressida,pericles,eneide,poseidon,athena,olivier got,cervantès,iliadepas animé par un esprit moderne ; en effet l'homme moderne est seul, tel Rimbaud, face à son destin. Parfois, au dernier moment, sous pression, il appelle Dieu au secours, quand il n'a plus sa mère.

    La théorie d'un Ulysse épicurien, par un autre prof (Luc Ferry), m'a fait rire ; elle est si franchouillarde ! Les moines sont épicuriens quand ils ne sont pas masochistes : ils n'ont aucun besoin d'Athéna pour leur apprendre à jouir raisonnablement.

    Attardons-nous, plus que le commentaire scolaire, sur la protection divine dont bénéficie Ulysse - la déesse Athéna ; il faut préciser aussi quel Dieu s’efforce d'empêcher Ulysse de retourner à Ithaque - Poséidon.

    Mais d'abord Athéna : cette émanation de Zeus est supérieure à Zeus lui-même ; elle sort par le haut, et non par le bas, comme Dionysos.

    Un commentaire athée superficiel consisterait à dire qu'Athéna représente le triomphe de l'intelligence humaine sur la religion, sur la soumission à des dogmes. C'est en partie exact, et c'est ce qui explique l'illusion que certains "modernes" peuvent avoir qu'Ulysse est un héros "affranchi des dieux". Ulysse n'est pas passif, il n'attend pas tout de la providence comme certains dévots. Néanmoins Ulysse obéit à Dieu (le massacre des prétendants est un ordre divin).

    L'homme moderne, lui, se croit "libre" ou "affranchi", quand bien même le confort, principal gain ou victoire de la modernité, devrait inciter l'homme moderne à s'identifier plutôt aux lotophages, esclaves de leurs propres désirs. Plusieurs épisodes de l'épopée d'Ulysse illustrent que, s'il y a bien un héros qui ne se laisse pas dominer par le désir, c'est Ulysse !

    Si l'on voit dans l'homme moderne un individu décadent, "anarchiste" comme dit Nietzsche, un individu qui ne croit en rien qu'en lui-même - dans ce cas l'homme moderne se place sous la protection d'un de ces dieux secondaires de la mythologie, tel Dionysos (mortel) ou Chronos (archaïque), quand ce n'est pas carrément Hadès (froid).

    La divinité d'Ulysse se mesure aussi par rapport à l'humanité d'Achille, qu'anime un désir de gloire proportionnel à sa puissance physique.

    La déception de l’au-delà, éprouvée par Achille (chant XI), est sans doute un passage crucial de l'Odyssée ; elle indique en effet le peu de cas que Homère faisait de la religion de l'Egypte antique (religion anthropologique, c'est-à-dire entièrement spéculative). Ce passage explique aussi la guerre de religion qui opposa Platon et ses disciples à Homère et ses disciples pendant des siècles, pour ne pas dire des millénaires.

    *

    Cet antagonisme ou cette dialectique n’a pas échappé à Shakespeare ; celui-ci a fait d’Ulysse dans "Troïlus & Cressida"  un chef politique contredisant l'idéal platonicien exposé dans "La République" - un chef politique qui sacrifie son honneur personnel à l'intérêt général. C'est-à-dire un chef "machiavélique" avant l'heure (le sens véritable du "machiavélisme" est clairement exposé par Shakespeare dans son théâtre).

    "Troïlus & Cressida" renverse complètement le propos de "L'Enéide". En effet Shakespeare a vidé "L'Iliade" de son héroïsme ou de son esprit chevaleresque, tout comme Cervantès a ridiculisé cet idéal dans "Don Quichotte".

    Mais Shakespeare ne trahit pas Homère en transformant "L'Iliade" en parodie satirique. L'Odyssée souligne bien le penchant naturel de l'homme à la guerre et au pillage. Par "penchant naturel", comprenez : "homme soumis au destin" (ce que Ulysse n'est pas).

    Shakespeare a lui-même doté l’Angleterre d’une épopée homérique – "Périclès, Prince de Tyr". On comprend que le public anglais l'ait beaucoup appréciée ; si l'Angleterre est la plus athénienne des nations européennes, c'est en grande partie grâce à Shakespeare.

    Shakespeare s'est efforcé de surpasser Homère ; il ne s'est pas contenté de l'imiter sans le comprendre, comme Virgile - d'ailleurs l'épopée métaphysique ne peut être semblable, en 1600, à ce qu'elle fut plusieurs siècles avant Jésus-Christ. Ce faisant Shakespeare ne trahit pas Homère, comme le théâtre de Racine qui transforme la tragédie antique en drame psychologique bourgeois.

  • Shakespeare et la Musique

    Je donne ci-dessous des extraits d'une étude d'une vingtaine de pages sur SHAESPEARE & LA MUSIQUE à paraître prochainement dans une nouvelle revue littéraire ("La Revue Z" - pour + d'infos écrire à zebralefanzine@gmail.com).

    L'omniprésence de la musique dans le théâtre de Shakespeare (surtout les comédies) a valu au dramaturge anglais le surnom de "barde" ; nous montrons dans cette étude que Shakespeare développe un point de vue philosophique complet sur la musique, et qu'il ne s'est pas contenté de la mettre au service de sa dramaturgie.

    Intro

    Le retard de la France à traduire Shakespeare se double d’un retard à admettre le dramaturge anglais comme un philosophe à part entière ; mais avant de nous pencher sur la place de la musique dans la philosophie de Shakespeare - philosophie qui recourt au procédé de la fable -, voyons d’abord pourquoi et comment Sh. incorpore la musique à sa dramaturgie.

    Les études savantes déclenchées par la présence -pour ne pas dire l’omniprésence de la musique dans le théâtre de Sh-, mentionnent d’emblée l’expansion de la musique au cours du règne d’Elisabeth Ire ; cette expansion coïncide avec celle du théâtre en Angleterre. Dès le début du XVIe siècle, l’Angleterre a la réputation, entre toutes les nations d’Europe, de s’adonner à la musique avec un enthousiasme exceptionnel. On estime que la Renaissance anglaise est avant tout littéraire et musicale.

    Un érudit a dénombré mille références à la musique dans les pièces de Sh., dont une centaine de chansons ou ballades, tantôt inventées par l’auteur, tantôt puisées par lui dans le répertoire populaire de son temps.

    On ne s'attardera pas ici sur ce qui a été déjà exposé en détail par des spécialistes dans de nombreux articles dédiés à la musique au temps de Sh. ; nous en avons dit le minimum en préambule pour nous attacher à l’usage original de la musique par Sh., en tant que dramaturge, puis à son propos sur la musique en tant que métaphysique ; la musique eût en effet ce statut élevé dans l’Antiquité (les pièces de Sh. situées dans l’Antiquité y font plusieurs fois référence), mais aussi au Moyen-âge et à la Renaissance, du fait de l’appropriation par la culture occidentale de la culture antique.

    La musique dans le théâtre de Shakespeare n’est pas seulement ornementale ou destinée à le rendre plus attractif et populaire. Les moyens du théâtre public commercial, qui étaient ceux de Shakespeare, ne lui permettaient pas de rivaliser avec le théâtre de cour, beaucoup plus richement doté en musiciens et chanteurs qualifiés. Seule une poignée de musiciens et acteurs-chanteurs était employée par le théâtre du « Globe ».

    Sh. met la musique au service de sa mise en scène, précédant ainsi l’usage par les metteurs en scène de cinéma d’accompagnements musicaux pour « créer une atmosphère » ou stimuler les sens du spectateur ; de surcroît les chansons qui émaillent les pièces (dont les mélodies se sont envolées avec le temps) jouent un rôle de révélateur des personnages, qui s’expriment ainsi sur un autre registre, moins conscient.

    Plan de l'étude :

    - Une Comédie parfaite (Etude de l’intrigue dédoublée et des personnages de « La Nuit des Rois ».)

    - Eloge de la Folie (De l'importance de comprendre Erasme pour comprendre Shakespeare.)

    - La Musique démystifiée (Sh. et la musique comme métaphysique.)

    - Miroir, mon beau miroir… (Sur les limites de l'anthropologie.)

    revue z,shakespeare,érasme,métaphysique,musique,extrait,littéraire

     

  • Sur la Dictature sanitaire

    Quelques mots à propos de la dictature sanitaire instituée en France en mars 2020.

    A ceux qui trouvent le terme « dictature » trop fort, on répondra qu’il décrit mieux la réalité du mode de gouvernement actuel que le mot « démocratie ».

    L’assentiment de la majeure partie des Français à la dictature n’enlève rien à son caractère de impérieux ; depuis plus d'un demi-siècle la France est une monarchie républicaine hypercentralisée, et le parlement joue un rôle symbolique, pour ne pas dire décoratif.

    La crise sanitaire, comme le mouvement des Gilets jaunes auparavant, a eu pour effet de souligner un élément caractéristique de l'organisation politique actuelle, un élément «orwellien» puisqu’il s’agit du rôle crucial joué par les médias. L’assignation des Français à leur domicile et un périmètre de promenade réduit aurait été impossible sans le rôle de "persuasion" de la télévision et de la radio ; l’armée et la police n’auraient pas pu contenir la population française à elles seules.

    On pense ici à «1984» car son auteur y souligne le rôle du mensonge dans la dictature moderne ; celle-ci ne repose pas tant sur la contrainte physique que sur l’adhésion du plus grand nombre aux discours de propagande répétitifs, remplaçant peu à peu la culture écrite.

    On peut parler de fable marxiste car ce que Orwell qualifie de "mensonge" est très proche de l'idéologie combattue par Marx au nom de la science. Les différentes idéologies se justifient les unes les autres, un peu comme « la droite » justifie « la gauche » sur l'échiquier politique français, et vice-versa.

    En effet le nazisme se justifie par rapport au communisme ; le communisme se justifie par rapport à la démocratie-chrétienne (bourgeoisie), et la démocratie-chrétienne se justifie par rapport au nazisme. Tandis qu’en historien, au contraire, Orwell souligne les points de convergence entre les régimes nazi, communiste et démocrate-chrétien ; en effet ce qu’ils ont en commun est plus important que les divers slogans démagogiques qui permettent de les distinguer.

    Orwell accuse de surcroît «les intellectuels» d’être les actionnaires du mensonge, c’est-à-dire de maintenir autant qu’il est possible le peuple dans l’ignorance, au niveau de l’idéologie. Je ne veux pas m’y attarder ici, mais il ne serait pas difficile de démontrer que la télévision et la radio sont avant tout des instruments de manipulation de l'opinion publique, afin de la réduire à une masse la plus malléable possible.

    Certains font observer que la dictature chinoise est beaucoup plus sévère ; peut-être, mais ce genre de comparaison est très difficile à faire ; le nombre de suicides est-il plus élevé en Chine ou en France ? On l’ignore. Quoi qu’il en soit, pour des raisons économiques évidentes, on ne peut plus distinguer nettement la France de la Chine, car une bonne partie des produits de consommation courante vendus en France sont fabriqués en Chine par des esclaves.

    De mon point de vue, la crise sanitaire n’est qu’un aspect de la crise économique qui frappe l’Europe, une réplique de la secousse violente de 2008. La crise sanitaire n’a quasiment de sanitaire que le nom. La paralysie du système hospitalier, d’où découle la décision de placer le pays dans un coma artificiel, faute de réponse appropriée à la situation, est un problème économique et non directement médical. Le système hospitalier tel qu’il fonctionne en France reflète d'ailleurs une conception capitaliste de la médecine, qui touche tous les aspects : l’organisation des hôpitaux, mais aussi les études de médecine et la recherche médicale.

    On pourrait multiplier les exemples concrets à propos de cette médecine qui n’en est pas vraiment une ; je n’en citerai qu’un, ô combien significatif : l’arnaque du viagra à l’échelle mondiale ; il n’est guère difficile de comprendre en quoi et pourquoi la fameuse pilule bleue est un « remède » typiquement totalitaire.

    Disons aussi pourquoi la fable de G. Orwell n’est pas «complotiste», pourquoi elle ne fournit pas une explication et une solution simplistes. Orwell pointe la responsabilité des «intellectuels», ce qui n’implique pas tant une action concertée de leur part, que la faiblesse morale des intellectuels, qui trouvent dans l’idéologie ou le mensonge un certain confort, exactement comme le soldat ne peut pas se passer de «l’esprit de corps», ou les femmes de la «famille». Orwell ne craignait pas l'inconfort intellectuel, ce qui est la marque d'un esprit plus scientifique que militant.

    Les médias et la presse ne forment pas plus que l’armée française un «complot». Ils sont simplement caractéristiques d’une organisation politique où le mensonge, c’est-à-dire la publicité, la substitution du rêve à la réalité, joue un rôle essentiel.

    «1984» ne signale pas tant l’activité politique sournoise d’un parti accaparant le pouvoir qu’il souligne la passivité politique du plus grand nombre, travestie parfois en activisme politique. Les rares dissidents sont considérés et traités comme des grains de sable enrayant la mécanique du pouvoir.

    «Big brother» pourrait aussi bien être une intelligence artificielle, résolvant les problèmes d’organisation, exactement comme si l’espèce humaine était une espèce animale comme les autres.

    *

    Et les chrétiens dans tout ça ? Les chrétiens sont dans une position particulière sous plusieurs rapports. D’abord parce que le mensonge médiatique revêt parfois une teinture ou une coloration chrétienne. La démocratie-chrétienne, qui associe la démocratie à Jésus-Christ au mépris de son interdiction de mêler le Salut aux affaires humaines, n’est que la queue d’un vieux procédé consistant à accommoder la Foi chrétienne aux besoins des élites dirigeantes. La démocratie-chrétienne est avant tout destinée à légitimer le pouvoir de la bourgeoisie.

    Or les chrétiens fidèles sont les mieux placés pour reconnaître cette apostasie et la combattre ; je prétends d’ailleurs que c’est ce que Shakespeare a fait dans de nombreuses pièces, abattant méthodiquement tous les pans de la culture médiévale dans laquelle ce mensonge s'enracine.

    D’autre part, suivant les explications d’Augustin d’Hippone dans son sermon sur la chute de Rome, il n’y a pas de nation ni de ville sacrée sur cette terre pour les chrétiens puisque la « Jérusalem céleste » est la seule terre sacrée des chrétiens, dont la signification est métaphysique.

    La rébellion contre la dictature n’est donc pas plus chrétienne que le soutien à celle-ci. Ces deux erreurs, qui sont comme des pièges tendus par Satan, n’en sont qu’une seule, en fait.

    Rebelles ou obéissants, les gens le sont généralement par nature et alternativement ; nul n’est justifié d’accuser son prochain. Le chrétien ne doit pas craindre d’être traité de lâche par les rebelles ou d’anarchiste par les tenants de l’ordre public dictatorial. La Foi soustrait le chrétien à la folie du monde.

    Le Christ s’est contenté de souligner l’extrême difficulté pour le jeune homme riche d’accéder aux choses spirituelles, et on peut penser que cela vaut plus globalement pour les parties du monde corrompues par une richesse excessive, telle que l’Occident aujourd’hui.

  • Bacon contre Aristote

                Cette note a pour but d’éclairer un épisode majeur de l’histoire moderne des sciences, parfois mal compris. Sur l’importance de cet épisode, je reviendrai dans ma conclusion, en précisant pourquoi le propos de F. Bacon reste novateur, bien que plusieurs siècles se sont écoulés depuis.

    On relève dans les écrits du chancelier Bacon de nombreuses critiques de la philosophie d’Aristote, en particulier dans son « Novum Organum », dont le titre indique un changement de cap par rapport au philosophe et savant grec. Pour filer la métaphore nautique, F. Bacon estime qu’il est temps pour l’homme de se donner les moyens de « franchir les colonnes d’Hercule » du Savoir.

                A travers Aristote, c’est surtout la scolastique qui est visée par F. Bacon, c’est-à-dire la
    francis bacon,science,aristote,novum organum,voltaire,shakespearepensée scientifique dominante de son temps, à laquelle B. reproche de s’épuiser en vaines exégèses de la doctrine philosophique et scientifique d’Aristote.

                En inculpant Aristote plutôt que la scolastique, F. Bacon atténue les coups qu’il porte au savoir académique et ses représentants, afin de ne pas tomber dans un des travers qu’il impute à Aristote, à savoir le goût et l’usage excessifs de la polémique. « La vérité n’est pas, explique F. Bacon, du côté de celui dont les arguments sont les plus convaincants ou qui plaide le mieux. » Telle qu’elle se présente du temps de Bacon, la scolastique est surtout un art rhétorique, dont le contenu scientifique est pauvre et qui entrave le progrès de la science (Bacon explique de façon détaillée comment la dialectique conduit à des erreurs de jugement).

                Un autre péché de la scolastique aux yeux de Bacon est le culte excessif de l’Antiquité gréco-romaine, dont Bacon s’est astreint au long de sa vie à faire un bilan juste, en tirant le meilleur parti de chaque auteur, pour peu qu’il soit digne d’intérêt.

                Pour donner une image, Bacon se comporte exactement comme un affamé qui aurait trouvé une orange dans la rue et s’appliquerait à en détacher les parties pourries pour se réserver les seules encore mangeables ; tel est l’usage que Bacon fait des doctrines antiques ; cette image a l’inconvénient de dissimuler l’effort surhumain accompli par Bacon pour trier le bon grain de l’ivraie en passant au crible les auteurs antiques.

                En comparaison les érudits qui se réclament d’une antique tradition multimillénaire enfouie, dont ils auraient retrouvé la trace dans quelque vieux grimoire, tel un Pic de la Mirandole, un Henry More (ou l’un de leurs successeurs), font penser aux alchimistes qui seraient, à les entendre, sur le point de découvrir la transmutation des corps vils en or, mais se gardent bien d'en donner la recette.

                Le reproche adressé à Aristote vise donc d’abord la méthode scientifique ; la science ne peut donner de véritables fruits sans une bonne méthode selon F. Bacon ; ce principe est admis depuis le XVIIe siècle sans pour autant que la méthode prônée par Bacon, qu'il nomme "induction vraie", ait pour autant fait florès. Sur le plan de la méthode ou du raisonnement scientifique, Aristote était de l’école de Platon.

                Quant aux éléments effectifs ou concrets de la science d’Aristote, bien que B. fasse grief au philosophe et savant grec d’être trop approximatif ou lacunaire, et de ne pas percer ainsi les mystères de la Nature en profondeur, on doit remarquer que B. s’accorde avec le géocentrisme (position centrale de la terre dans l’univers) d'Aristote et Ptolémée, géocentrisme plus conforme à l’expérience que le système héliocentrique (mouvement de la terre) de Copernic, qui constitue le préambule de la théorie de la relativité, c’est-à-dire d’une représentation de l'univers fondée sur le calcul des distances interplanétaires (comme une planisphère terrestre est une représentation algébrique de la terre).

                Pour résumer (à l'extrême) le bilan détaillé du chancelier F. Bacon, disons qu’il estime la science de Démocrite, posant les bases de l’atomisme, meilleure que celle du précepteur d’Alexandre. B. accorde peu à Platon dans le domaine de la science physique ; et à Pythagore il accole toujours le qualificatif de « superstitieux », refusant de le ranger parmi les savants à part entière.

                De l’Egypte il est difficile de parler, dit Bacon ; quant aux Romains, ils ne sont pas doués pour la science, la politique étant l’essentiel de leur part. Sur les Grecs on peut donc prendre un appui, à condition de ne pas considérer le savoir des Grecs comme un sommet.

    *

               Disons maintenant pourquoi ce qui paraît une opposition ancienne à la science scolastique, remontant au début du XVIIe siècle, demeure d’actualité.

                Pour simplifier mon propos, je passerai par le truchement de la philosophie des Lumières, qui un peu moins de deux siècles plus tard introduit Bacon en France (une grande partie du génie de Voltaire consiste à s’être incliné devant Bacon ; sa plus grande erreur est de ne pas s’être penché assez).

                Donc Voltaire, d’Alembert et Diderot ne se rangèrent pas seulement derrière Bacon et son oeuvre de rénovation, mais aussi un peu hâtivement derrière Isaac Newton, qui passe pour le grand savant de leur temps. Or la théorie de la gravitation d’Isaac Newton, largement déduite des travaux de W. Gilbert sur le magnétisme et les aimants, est peu compatible avec le "Novum organum" de Bacon et le processus d'expérimentation qu'il recommande ; le système de Newton est en effet beaucoup trop hypothétique ou lacunaire pour être admis entièrement selon les critères de Bacon. Qu’on me pardonne de m’en tenir à cette remarque pour compléter ma démonstration que, dès le début –tout du moins en France- Bacon n’a eu que des "demi-disciples", si on peut dire ; F. Bacon a ensuite été relégué de plus en plus, pour ne plus servir que de vague référence ensuite.

                Il serait donc abusif de croire ou prétendre que la réforme scientifique de Francis Bacon a produit tous ses effets. Un lecteur attentif du «Novum Organum» se rendra compte que l’état actuel de la science, à l’aube du XXIe siècle, aurait déçu le chancelier, ne serait-ce qu'en raison de l'éparpillement de la science en une multitude de disciplines, et d'une accointance quasiment "médiévale" avec certaines hypothèses farfelues de science-fiction.

    Dans un autre ouvrage, "La Nouvelle Atlandide", F. Bacon énumère tous les fruits à venir de la science empirique : l'avion, la communication à distance, le réfrigérateur..., comme pour dire : - Ce n'est qu'une question de temps avant que ces inventions, dont on peut déjà décrire le principe, ne soient effectives. On ne doit pas confondre la science avec les inventions qui résultent secondairement de l'investigation des phénomènes naturels. Et Bacon a même prévu que, de cette confusion, pouvait résulter une idolâtrie nouvelle, reposant sur les miracles de la science empirique.

                De nombreux développements ou «excroissances» scientifiques contemporaines contredisent même nettement le projet baconien. On pourrait citer de grands noms (par la réputation) de l’épistémologie au cours des deux derniers siècles qui ignorent le projet de rénovation de Bacon ou s’assoient carrément dessus. Autant dire que presque tous le font, car Bacon ne conçoit pas l’épistémologie comme une discipline autonome.

                On peut résumer les caractéristiques «baconiennes» de la science contemporaine aux différents progrès accomplis empiriquement au cours des quatre derniers siècles dans des domaines aussi variés que la médecine, la physique moléculaire ou atomique, la radiophonie, certains modes de transport révolutionnaires, notamment à travers les airs et l’atmosphère de la terre… à condition de faire un bilan de ces inventions, et de remarquer, par exemple, que la médecine paraît régresser depuis une cinquantaine d’années dans de nombreux pays occidentaux.

                D’autre part, et c’est ici le plus important, les inventions technologiques issues de la recherche scientifique ne sont, du point de vue de Bacon, qu’un bénéfice secondaire ; elles ne sauraient en aucun cas constituer le but principal de la science. En effet, suivant la comparaison de la science physique avec un arbre poussant vers le ciel, qui figure le savoir ultime en ce domaine, les diverses branches ou spécialités de la science ne doivent pas trop s’écarter du tronc à peine de ployer excessivement, voire de céder sous leur propre poids, devenant stériles comme sont les arts qui procèdent exclusivement de l’imitation.

                Or la science contemporaine a l’aspect du réseau de branches enchevêtrées qui forme la canopé, non de l’arbre montant au ciel voulu par F. Bacon ; à l'opposé, la scolastique combattue par Bacon en son temps était une ligne droite tirée en partant du sol jusqu'au ciel, mais entièrement théorique et dépourvue de branches et de fruits. Démontrer l'existence de Dieu est de même absolument inutile puisque la distance qui sépare l'homme de Dieu est infranchissable par le moyen de l'intellect.

                D’une grande prudence et loin de croire le progrès scientifique une chose facile, pouvant reposer sur les forces d’un seul, F. Bacon envisage qu’il y aura, au cours du voyage pour franchir la limite des colonnes d’Hercule, accidents et naufrages, déceptions, comme lors du voyage de Christophe Colomb afin de découvrir le Nouveau Monde et permettre la cartographie complète de la terre.

  • Pourquoi Shakespeare ?

    Léon Bloy (1846-1917) est l'auteur de pamphlets virulents contre la bourgeoisie en général et la bourgeoisie catholique en particulier, dont les mondanités le révulsent ; ces mondanités chrétiennes attestent du règne de Satan sur les esprits et les coeurs.

    La presse catholique ("L'Univers" et son directeur Louis Veuillot) est la cible de Bloy, qui lui reproche d'entretenir cet esprit mondain, contraire à la Foi et la Charité. Lui-même journaliste, Bloy rêve d'une presse catholique plus combative, mais son style pugnace heurtait la susceptibilité de ses confrères et du milieu littéraire.

    Le rôle du journaliste chrétien selon Bloy est de confronter l'actualité, du fait divers jusqu'aux événements politiques majeurs, à la révélation chrétienne, autrement dit l'apocalypse, récit prophétique du recul du monde et ses actionnaires face au progrès de la Vérité divine.

    Cette définition du journalisme correspond assez à "l'entreprise Shakespeare" ; Shakespeare a l'audace de raconter le choc d'une violence inouïe entre la volonté humaine et la Vérité divine, et les répercussions tragiques de ce choc, les convulsions qu'il entraîne, aussi bien dans les pièces dites "historiques" et celles qui ont le caractère de fables ou de mythes.

    Quelques critiques littéraires ont reproché à Shakespeare d'introduire la comédie dans la tragédie et l'altérer ainsi. Cela revient à introduire l'homme du peuple dans un cercle aristocratique, mais aussi à résumer "l'homme moderne" à un personnage de comédie, jouant dans une pièce écrite à l'avance.

  • Autour du nombre 666 (2)

    Billet en réponse à une objection faite à l'interprétation du "nombre de la bête" comme un nombre désignant le "calcul humain" et non un homme en particulier (Hérode, Néron, l'évêque de Rome, Hitler...).

    Pour replacer l'objection dans son contexte, on peut lire la note contestée, ainsi que l'interprétation attribuée à Tresmontant.

    - Le débat a lieu depuis les premiers temps du christianisme de savoir si la vision apocalyptique de Jean a une valeur limitée aux premières années de l'Eglise ou si elle a une portée plus large, eschatologique.
    Je penche pour la deuxième interprétation, pour plusieurs raisons : la principale est que les avertissements contenus dans l'apocalypse de Jean coïncident avec ceux contenus dans l'apocalypse de l'Apôtre (Paul) et les avertissements du Messie lui-même.

    Les chrétiens qui négligent l'apocalypse de Jean, négligent en général aussi l'enseignement de Paul (qui dissuade de croire que l'on peut obtenir le Salut en accomplissant de "bonnes oeuvres").

    - Une raison complémentaire est le caractère symbolique ou mythologique de l'apocalypse de Jean, qui est une formule littéraire "conservatoire", faite pour durer.

    On ne voit pas bien pourquoi la vision de Jean annoncerait un événement proche d'une manière symbolique, difficile à comprendre ("bête de la mer", "bête de la terre", "cavaliers de l'apocalypse"...). La vision du prophète Daniel décrit aussi des événements très lointains à l'échelle humaine, vision qui présente de nombreuses analogies avec la vision de Jean.

    Pour ces raisons (et d'autres encore expliquées dans ce blog), je ne crois pas que le nombre 666 désigne un homme en particulier, satan,apocalypse,jean,666,christianisme,tresmontant,paul,shakespearebien qu'il soit tentant comme cela a été fait pendant des siècles de démasquer tel ou tel : Hérode, Néron, Hitler...

    Je penche du côté des interprètes qui voient dans le nombre 666 l'indication d'un "déterminisme" ou d'une volonté humaine. Comme je l'explique dans un petit essai, l'oeuvre à caractère mythologique de Shakespeare dévoile la signification du nombre 666, "qui est un nombre d'homme", tout spécialement "Roméo & Juliette".

  • La Science du Couple - PUB

    arnolfini.jpg

    Publication d'un opuscule de quarante pages au titre ironique : "La Science du Couple".

    J'y démontre que "Roméo & Juliette" est la satire la plus radicale jamais écrite contre l'amour courtois, c'est-à-dire contre la culture occidentale.

    Pour se procurer ce tirage limité (10 euros + frais de port), écrire à l'éditeur associatif Zébra : zebralefanzine@gmail.com

  • Tee-Shirt baconien

     

    shakespeare,baconian,francis bacon,verulam,baconien,tee-shirt,message

    Comment se procurer ce tee-shirt iconoclaste, fait pour agacer tout ce que l'Université compte comme spécialistes de l'oeuvre de Shakespeare ? Ici.

  • Shakespeare et le Diable

    "Dans Shakespeare, le diable est extrêmement discret : c'est en eux-mêmes que Richard III, Macbeth ou Iago vont chercher leur noirceur." Georges Minois, in : "Le Diable", collection Que-Sais-Je ?

    Dans Shakespeare, la présence du diable est celle de la musique ou de l'odeur (du "Danemark").

    En marge d'un opuscule en cours de rédaction sur "Satan dans l'Eglise", quelques observations :

    - L'absence du diable dans Shakespeare est une des nombreuses preuves que le tragédien anglais est l'auteur le moins médiéval, et par conséquent le plus "antimoderne" qui soit ; les tentatives pour démontrer que Shakespeare est un auteur catholique romain sont vouées à l'échec.

    - L'obsession médiévale du diable, on la retrouve dans la société moderne contemporaine, à travers le phénomène de diabolisation systématique. Non seulement la philosophie dominante aujourd'hui est "néogothique" (Hegel), mais son éthique de la diabolisation l'est. Le cas de Hitler est frappant, mais il n'est pas isolé : toutes les idéologies totalitaires/hégéliennes du XXe siècle impliquent un tel mécanisme.

    - Shakespeare s'inscrit dans la lignée de l'apôtre Paul, qui trace la figure de l'Antéchrist et non celle du "diable", c'est-à-dire d'un "principe du mal" commun à toutes les cultures. L'Antéchrist se manifeste principalement à travers la trahison de l'Esprit-Saint. Or plusieurs personnages, rois ou ecclésiastiques catholiques, jouent ce rôle dans les pièces imaginaires comme dans pièces historiques, non seulement le personnage du Juif Shylock dans "Le Marchand de Venise".

    - A propos de la discrétion du diable, on pense à cette remarque de Baudelaire : "Le plus grande ruse du diable est de faire croire qu'il n'existe pas." On imagine la réaction d'un sataniste déclaré tel que Nietzsche lorsqu'il a lu cette remarque, qui relègue son oeuvre à un vain pamphlet.

    L'Antéchrist est en effet à la fois très puissant et discret, bien qu'aux chrétiens comme à Baudelaire, il est révélé par l'exaltation systématique de la chair, dont le puritanisme n'est pas la moindre expression.

  • Dans la Matrice

    Quelques moralistes athées décrivent bien le totalitarisme ; expliquant, par exemple, qu'il procède de la ruse plutôt que de la violence, contrairement à la tyrannie antique.

    G. Orwell caricature ainsi la tendance du discours totalitaire à vider complètement les mots de leur sens : "La guerre c'est la paix, l'esclavage c'est la liberté, l'ignorance c'est la force." On peut ajouter à la liste : "La censure, c'est la liberté d'expression."

    La ruse est une "douce violence" : en sont particulièrement victimes et la répandent autour d'eux les agents du capitalisme dont l'existence ressemble à un long étouffement entrecoupé d'orgasmes, traversée de rares éclairs de conscience.

    Le procédé totalitaire a donc assez bien été décrit et analysé ; mais le propos des moralistes athées est descriptif et se heurte comme à une énigme à la motivation profonde de cette nouvelle manière de tyrannie plus pénétrante.

    Seuls les chrétiens comprennent ce qui se trame vraiment, et c'est probablement Shakespeare qui l'a le mieux exposé. En effet la culture totalitaire opère le renversement le plus radical que l'on puisse concevoir du commandement évangélique d'obéir à l'Amour.

    J'énumère sur ce blog plusieurs exemples, mais il n'est que d'examiner la culture au sujet de l'amour, justement, pour le constater.

    Tandis que la culture antique ignore l'amour ou presque -on pourrait dire qu'elle ne le connaît que sous la forme du lien le moins social qui soit, c'est-à-dire l'amitié-, a contrario il n'y a presque rien dans la culture totalitaire qui ne soit justifié par le désir, déguisé en amour.

    Cet amour-là, parfaitement contrefait - l'amour de Juliette pour Roméo, et de Roméo pour Juliette, l'amour d'Ophélie pour Hamlet, l'amour de Laërte pour sa soeur, l'amour d'Othello, etc., Shakespeare n'en a pas souligné la contrefaçon par hasard, mais parce qu'il permet de déceler l'antichristianisme.

    Un autre indice qui ne trompe pas, c'est le rôle subversif de premier plan joué par de soi-disant chrétiens dans la culture totalitaire. Quiconque affrontera la démocratie-chrétienne se rendra vite compte que cela revient à affronter Satan en personne - dont les démocrates-chrétiens affirment (on les reconnaît notamment à ce signe) qu'il n'existe pas.

    En effet les évangiles et l'Apôtre -Shakespeare dans ses pas- ont prévenu les chrétiens que l'Antéchrist vient de l'intérieur de l'Eglise.

     

  • Shakespeare contre Dante

    "Aucun serviteur ne peut servir deux maîtres. Ou bien il haïra l'un et aimera l'autre, ou bien il s'attachera à l'un et méprisera l'autre (...)" (Luc : 16,13).

    La portée de Shakespeare reste grande car l'idéologie démocratie-chrétienne est fille (plus ou moins cachée) de l'ancienne "monarchie de droit divin", en théorie comme en pratique.

    Sans doute le passage de témoin entre l'ancien machiavélisme politique et le nouveau est-il plus facile à observer dans le Royaume-Uni, où la mue s'est opérée de façon moins brutale et sanglante. Le récit légendaire de la Révolution française, tel qu'il est enseigné en France, souligne l'opposition entre l'ancien et le nouveau régime, opposition beaucoup plus superficielle en fait qu'elle n'est en droit (à bien des égards, Napoléon ne fait que répéter Louis XIV).

    Les Etats-Unis, nation qui représente mieux qu'une autre la formule démocratique, reposent plus encore sur la fiction que la France et son récit légendaire de la Révolution française. Les Etats-Unis contribuent ainsi à faire passer la démocratie-chrétienne pour une idée neuve, ce qui n'est pas le cas.

    La bêtise des élites politiques soi-disant chrétiennes est le personnage principal des tragédies de Shakespeare, ce qui a pu faire dire à certains exégètes superficiels que Shakespeare est un auteur "athée".

    Cette bêtise, tantôt innocente, tantôt méchante, est jouée par le conseiller ecclésiastique du prince, qui occupe une position (intellectuelle) supérieure à celle du prince (Th. Wolsey, Th. More, Polonius...). Shakespeare prédit ici une réalité dont nous sommes les contemporains, à savoir l'enlisement de la politique et des politiciens dans la rhétorique politique, la "science politique" osent dire certains pour parler de cet art qui consiste essentiellement à "faire miroiter".

    Or, à l'origine de cette démagogie se trouve l'effort pour légitimer l'action des pouvoirs publics à l'aide des Evangiles. C'est en cela que la démocratie contemporaine hérite de la monarchie de droit divin, et c'est encore en cela que Shakespeare conserve toute son actualité -car le mensonge sur lequel repose l'Occident demeure essentiellement le même à travers les siècles.

    Lorsqu'un mensonge est éventé, il est nécessaire de lui donner une nouvelle forme. La démocratie-chrétienne remplace pour cette raison la monarchie de droit divin. La thèse politico-religieuse de Dante Alighieri, sous-jacente à la "Divine comédie", ne pouvait résister longtemps à la confrontation à la lettre et l'esprit évangéliques. 

    Shakespeare envisage même les différents mobiles de la trahison des évangiles et leur défense expresse de fonder sur la terre (et donc la chair) le Royaume de Dieu.

    De tous ces conseillers du prince sataniques, réels ou fictifs, mis en scène par Shakespeare, le cardinal Th. Wolsey, éminence grise d'Henri VIII, est le plus machiavélique et le plus conscient qu'il trahit la foi chrétienne en l'assujettissant au plan monarchique : c'est aussi le seul qui, en définitive, est capable de s'amender et de reconnaître son erreur. Shakespeare est plus sévère avec Thomas More, persévérant jusqu'à la mort dans sa thèse, dont le tragédien montre qu'elle conduit à un dilemme sans issue (suivant l'avertissement de Luc : 16,13).

    La fable ou le mythe d'Hamlet confère aux péripéties politiques du règne d'Henri VIII une portée générale et apocalyptique.

    Dans la logique des Evangiles, la vision prophétique de l'apôtre Jean nous montre l'affrontement entre le camp des serviteurs de Dieu et celui des serviteurs du Monde, en apparence débarrassé de Satan (la rhétorique démocrate-chrétienne est un christianisme qui élude le satanisme).

    La constance de Shakespeare (on pourrait citer une bonne dizaine de pièces) à dénoncer le mensonge sur lequel repose la culture occidentale (sans jamais condamner personne) est telle qu'il n'est pas difficile, en plus de certains éléments objectifs, de reconnaître Dante Alighieri dans le poète visé par les Sonnets de Shakespeare. Comment pourrait-il en être autrement ? Comment un auteur qui s'est employé à dénigrer la culture médiévale avec la force que même ses détracteurs reconnaissent à Shakespeare... comment un tel auteur aurait-il pu épargner Dante, l'auteur du plus beau des mensonges ?

    Sonnet 21

    Il n'en va pas de moi comme de tel poète

    Dont une beauté peinte a stimulé la Muse,

    Qui prend pour ornement le ciel même et compare

    Son bel objet d'amour à toutes choses belles,

    L'unissant fièrement au soleil, à la lune,

    Aux joyaux de la terre et de la mer, aux fleurs

    Premières-nées d'avril, à toutes les merveilles

    Qu'en cette vaste sphère enclôt tout l'air du ciel.

    Ah ! de mon amour vrai laissez-moi parler vrai (...)

    Il est reproché à Dante dans ce sonnet de transformer la prophétie évangélique en objet d'art à caractère érotique, alors même que le Messie dissuade de bâtir sur le sable. Du "grand mystère" chrétien évoqué par Paul de Tarse, Dante se contente de tirer un beau poème apparemment chrétien (mais en réalité teinté d'animisme, voire de pédérastie platonicienne) ; Shakespeare se propose au contraire "de parler vrai d'amour vrai", déboutant par avance tous les exégètes plus ou moins freudiens acharnés à voir dans les sonnets force connotations érotiques.

  • Satan dans l'Eglise

    Paradoxe, c'est dans l'Occident "judéo-chrétien" que s'est développée la plus haute idée de la civilisation, alors même que les Saintes Ecritures et les apôtres interdisent aux chrétiens de se comporter en actionnaires du monde.

    Cette très haute idée de la civilisation est notamment dissimulée dans la notion de "modernité", pratiquement indéfinissable. "Dieu est mort" dans un certain nombre de nations ultra-modernes qui prétendent mettre la religion entre parenthèses, mais une idée extrêmement raffinée de la civilisation a survécu à dieu. Or cette idée extrêmement raffinée est source d'une sidération religieuse similaire, au point que l'on peut parler de "fanatisme de la civilisation".

    Dans l'Antiquité, la civilisation représente un idéal moins élevé ; on le reconnaît à ce que la civilisation est alors mieux définie, de façon moins mystique. Même le philosophe païen Platon ne rêve pas d'une politique parfaite. On pourrait citer quelques caractéristiques de la civilisation grecque antique, d'ailleurs dissuasives de croire que la culture moderne perpétue la culture grecque antique.

    Comment caractériser les Etats-Unis modernes en revanche ? Par leur économie capitaliste ? Mais les ressorts de l'anti-économie capitaliste sont eux-mêmes assez mystérieux.

    Le sermon du célèbre évêque chrétien d'Hippone, Augustin, dissuadant les chrétiens de se préoccuper du sort de l'Empire romain, en pleine décadence, ferait sans doute un plus grand scandale aujourd'hui s'il était prononcé publiquement par le représentant d'une Eglise chrétienne ; on peut même observer que des politiciens rusés parviennent à mobiliser parfois des électeurs soi-disant chrétiens sur le thème de la décadence.

    Il faut citer le contre-exemple de Shakespeare, parfois indûment classé parmi les "modernes", mais dont l'oeuvre souligne nettement que la civilisation moderne repose avant tout sur le mensonge, un mensonge extraordinaire (dont Hamlet est averti par une épiphanie).

    Shakespeare permet de comprendre que la conception mystique de la civilisation est liée à une prosternation devant le Temps, que Shakespeare ne manque pas, de façon répétitive, de qualifier d'assassin, pour signifier son désengagement de la culture de mort moderne.

    A contrario l'effort de soi-disant chrétiens pour jouer les premiers rôles en politique et dans les affaires du monde (effort étrangement couronné de succès) nous avertit de l'activité de Satan dans l'Eglise, et cela d'autant plus que ces chrétiens charnels nient dans leurs conférences l'existence même de Satan, ou la minimisent.

  • Bilan de Léon Bloy

    Le centenaire de sa mort est l'occasion de se remémorer Léon Bloy (1846-1917). Cet écrivain paradoxal (catholique ET pauvre) a contribué au même titre que Karl Marx à mon éloignement définitif de la doctrine catholique romaine ; je tiens désormais cette doctrine pour une doctrine pharisienne, autrement dit le surgeon mort du figuier mort et maudit par le Messie.

    Le figuier mort signifie la loi juive, amputée de son sens spirituel et eschatologique par le clergé juif. Or Léon Bloy, au même titre que Karl Marx, a travaillé à faire renaître l'eschatologie au sein d'une culture "judéo-chrétienne" dont la vocation profonde est de contrecarrer la Révélation par tous les moyens, y compris en accomplissant l'iniquité au nom de Jésus-Christ si c'est nécessaire pour méduser les nations de la terre.

    Si Karl Marx ne s'avance pas, contrairement à Léon Bloy, sous la bannière de l'eschatologie mais celle de la "ligue des Justes" -rebaptisée "communiste"-, ôter à Marx la dimension eschatologique n'est possible qu'à condition de n'avoir lu ni Marx ni la Bible (ce qui est très fréquent dans ce pays).

    Léon Bloy est demeuré dans le giron de l'institution catholique ; je dis "institution" pour indiquer que l'on méconnaît l'Eglise romaine si l'on méconnaît la cause essentiellement juridique de sa doctrine. Le Sauveur ne parle sans doute pas de "figuier" par hasard ; ni les apôtres ne précisent par hasard que Judas Iscariote alla se pendre à un figuier.

    Léon Bloy a remarqué l'hostilité d'une partie du clergé catholique, l'a même éprouvée parfois durement, mais il n'a pas décelé dans la doctrine catholique romaine la vocation à contredire le sens apocalyptique de l'Histoire.

    La limite du propos de Léon Bloy est, d'une certaine façon, tracée par Léon Bloy lui-même. Celui-ci définit justement la tâche du littérateur ou du journaliste chrétien comme la confrontation des événements qui secouent le monde à la prophétie apocalyptique. Or, pour ce faire, Shakespeare a adopté un point de vue plus élevé que Léon Bloy.

    L'erreur la plus flagrante de Bloy est l'idéalisation du moyen-âge, quand bien même celui-ci se caractérise par la substitution du droit et de la philosophie romaines à l'eschatologie chrétienne, ce que Shakespeare a parfaitement vu et illustré dans plusieurs pièces, au contraire.

    L'erreur commise par Bloy est identique à celle que commettrait celui qui verrait dans la démocratie américaine aujourd'hui une nation chrétienne. En effet les Etats-Unis d'Amérique s'éloignent du message chrétien avec la même ostentation chrétienne que le moyen-âge s'en éloignait. La complexité de la culture américaine est analogue à la complexité du moyen-âge.

    La mentalité américaine est typiquement médiévale : parmi les nombreux signes qui l'indiquent, le goût américain pour le cinéma, c'est-à-dire pour la fiction. Les plus dures critiques du moyen-âge ont été faites au nom de la vertu, pour en fustiger le vice - un bref séjour aux Etats-Unis suffit pour s'apercevoir combien la culture moderne américaine dévalue la vertu, alors même que les Américains -tels des femmes-, ne cessent de causer "éthique" du matin au soir.

    Contrairement à Léon Bloy et son utopie, située dans un passé réconfortant, Shakespeare propose une vision purement apocalyptique, sans ancrage temporel. L'odeur de pourriture du Danemark est l'odeur de l'utopie politique chrétienne sans cesse renouvelée à travers les siècles.