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jimenez

  • La théorie de Hockney

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    Bien que l'hypothèse de David Hockney soit fausse, il n'est peut-être pas inutile d'en dire deux mots (Autant prévenir de suite le passionné de cinéma ou de poker qu’il risque de trouver cette bafouille consacrée à "Hockney et la peinture occidentale" un tantinet longuette…)

    Pour le béotien, rappelons en quelques mots en quoi consiste la théorie de Hockney, publiée pour la première fois il y a quelques années dans le New-Yorker, un canard qui s’emploie sans beaucoup de succès à essayer d’introduire le snobisme Outre-Atlantique.
    Une observation attentive de la peinture occidentale, dans laquelle Hockney prend la responsabilité d’inclure les mièvreries "branchouilles" d’Andy Warhol, a amené Hockney à la conclusion que les peintres utilisent communément pour peindre, depuis le XVe siècle, un dispositif de chambre claire, fait d’une source lumineuse vive et d’une grosse lentille qui projette l’image du modèle et permet au peintre de la "décalquer" sur sa planche. Il va sans dire que "décalquer" est à mettre entre guillemets, car Hockney n’est pas assez "californien" pour penser que du quattrocento jusqu’à Ingres les peintres se sont montrés assez malhabiles peindre de simples décalcomanies. Plutôt que de décalquer, il s’agit de relever les cotes assez rapidement, à l’envers (l’image est projetée à l’envers, si j’ai bien compris le dispositif).

    Pour Hockney, il n’y a guère de doute que cet instrument a introduit le réalisme dans la peinture en Occident dès la fin du XVe siècle !

    Les arguments de Hockney sont assez empiriques, il ne dispose pas de preuves écrites de l'usage de ce dispositif. Bien entendu ce n'est pas ça qui prouve qu’il a tort. En revanche l’argument qu’il avance pour justifier la difficulté de dénicher des preuves écrites est révélateur : selon Hockney, le goût du secret professionnel de ces peintres serait la cause de cette pénurie… Ça me laisse sceptique : les peintres avaient de nombreux apprentis, et si dans une ville comme New York on arrive peut-être à emporter son secret dans la tombe, dans une ville comme Bruges ça devait être beaucoup plus difficile…
    L’autre argument de Hockney justifie à ses yeux que les historiens d’art européens traitent sa théorie par le mépris. Pour ces historiens, suppute-t-il, la chambre claire dévaluerait le génie des peintres européens.
    Faux. Ma théorie à moi est symétrique : c’est parce que le talent, le savoir-faire de ces peintres bouleverse tellement Hockney, il lui paraît si invraisemblable, qu’il a inventé cette théorie qui l'aide à accepter la modestie de son talent par rapport à celui de ces surdoués qui le dominent de la tête et des épaules, malgré la sincérité peu commune de Hockney.
    En outre, la représentation du peintre comme un type génial et fulgurant est une idée moderne, une idée "de cinéaste", et Hockney est sûrement plus pénétré de cette fausse idée que n’importe quel historien d’art européen. Il convient en effet de distinguer les historiens d’art des guignols comme Catherine Millet, Jean Clair-l’Obscur, Marc Jimenez, Yves Michaud, etc., qui font la pluie et le beau temps auprès du public bobo, dans les médias et les administrations françaises.
    L’historien sait parfaitement que derrière chaque surdoué du pinceau il y a un travailleur acharné. Il n'y a pas de miracle. Il y a un monde entre l'artiste expérimental et le peintre expérimenté.

    Indéniablement les questions d'optique passionnent les peintres. Cette fascination a fini par se transformer en répulsion, d'ailleurs, lorsque la photographie a commencé de détruire la peinture pan par pan. Le tort d'Hockney est d’isoler une technique précise parmi beaucoup d’autres qui ont modifié au cours des siècles la manière des peintres de synthétiser ce qu’il est convenu d’appeler "la nature" de façon plus ou moins décisive - l'invention de la peinture à l'huile est décisive - et pas irréversible.
    Nul n’est mieux placé qu’un peintre pour savoir que la "ressemblance", par exemple, est bien plus à sa portée qu’à la portée d'une machinerie quelconque. Un portrait par Hockney, avec tous ses défauts, est mille fois supérieur à une reproduction d’un visage suivant le procédé photographique.

    L’intérêt de la théorie de Hockney, c’est qu'elle est une reconquête de la peinture par un peintre. C'est marre des tartines de Gombrich pour expliquer la permanence rétinienne ou ce genre de phénomène qu'un peintre éprouve directement et que le spectateur ne gagne pas beaucoup à se voir expliqué. Si le point de vue subjectif et suggestif de Baudelaire sur la peinture a de la valeur, c'est en proportion de l'amour que Baudelaire porte à cet art, pratiqué par son paternel qui l'a initié.

    On ne peut qu’encourager Hockney à continuer à se pencher sur l’art occidental et ses secrets de fabrication. Bien que cette démarche d’apprentissage soit pénible, vu l'âge de Hockney et sa cote astronomique en dollars, elle est la seule voie qui ne soit pas une impasse.