L'écrivain britannique G.K. Chesterton est parfois surnommé le "prince du paradoxe". Je préfère surnommer ainsi le diable ; ou encore son acolyte le plus zélé, l'anthropologue chrétien.
+ Le paradoxe qui nous est le plus familier est celui de notre condition humaine ; nous l'éprouvons chaque jour : devoir vivre pour mourir. Le rôle précis de l'anthropologue chrétien est de faire paraître cet enchaînement de causes aussi naturel que possible. Grosso modo, cela revient à inciter l'homme à se rapprocher de l'animal, qui ne se doute de rien et jouit ainsi plus à son aise que n'importe quel philosophe épicurien.
+ Deux sortes d'esclavages permettent d'échapper à ce grain de sable, logé dans la mécanique ou l'âme humaine : le premier est l'esclavage, subi ou forcé, le plus commun ; celui du travail qui permet de ne pas penser à sa fin ; le second est l'esclavage volontaire, celui des diverses drogues et religions, qui répondent ainsi à un besoin social essentiel, selon Marx : l'abrutissement des foules. Plus encore que l'esclavage antique, l'esclavage moderne traduit l'ignominie du clergé.
+ Il peut paraître paradoxal que Satan ait besoin de chrétiens pour accomplir son oeuvre, et que de banals suppôts ne puissent pas mieux l'y aider. Ce n'est pas paradoxal, c'est à cause du Christ : en triomphant de la mort, il fait obstacle à toute forme de civilisation ; ce ne sont plus seulement les savants spirites qui sont incités à se rapprocher de dieu, au moins à éprouver ce qui les sépare de lui, comme dans l'Antiquité auparavant, mais tout homme.
+ Le Christ fournit une clé qui échappe au contrôle du clergé : l'amour, c'est-à-dire la charité. Pensez aux répercussions de cet exemple, qui consiste à dissuader tout homme d'entrer dans un moule, d'épouser une fonction quelconque, d'adopter un style... bref de ne pas se comporter en mortel. Voilà pourquoi Satan a besoin d'acolytes à l'intérieur même de l'Eglise, afin de réconcilier l'humanité avec la mort. C'est toute la bêtise de Nitche de ne pas s'avancer masqué, mais au nom de Satan. Beaucoup plus habile et efficace aurait été de sa part de se déguiser en anthropologue chrétien et de prôner une quelconque "doctrine sociale". Même Hitler est plus subtil que Nitche, qui ne fut sans doute pas d'un grand secours au dieu qui règne sur la civilisation, jusqu'à réduire le fils de l'homme à une petite hostie.
+ "Je préfère vivre, car je n'ai pas le courage de me tuer." dit Louis-Ferdinand Céline, se situant ainsi moralement au-dessus de la mêlée des philosophes existentialistes, qui ont perpétué dans la République l'oeuvre des anthropologues chrétiens d'antan, et que l'idée de demeurer seuls en enfer paraît terrifier. Ne pas donner à son existence d'autre raison que la lâcheté, lorsqu'on n'est pas chrétien, quand tant d'autres déclarent poursuivre une foutaise, telle que la culture ou le cinéma, tous les mensonges officiels, voilà qui lave Céline du soupçon de complicité de crime contre l'humanité qui pèse sur lui. Céline n'a jamais vécu pour être heureux, ni fait croire qu'on pouvait l'être sur cette terre. Il a seulement manqué d'imagination, comme son siècle.
+ Un homme s'est bien sûr chargé personnellement du cas des anthropologues chrétiens. Si définitivement, il me semble, que je ne peux faire mieux que le rappeler. Cet homme, c'est Shakespeare, ou Hamlet si vous voulez, menacé dans Elseneur par tous les dangers de mort que la civilisation fait courir à l'homme.