Un jeune type vient de se défenestrer du 11e étage, presque sous mes yeux. "C'est la vie !", comme on dit dans ces cas-là. Des dizaines de badauds contemplent longuement le spectacle du type, face contre la terre (vieille salope buveuse de sang). Je n'ai jamais bien pigé le principe du cinéma d'horreur.
Pour le chrétien que je suis, le suicide est un choix respectable. Bien plus, évidemment, que la ou les professions qui consistent à dézinguer autrui, au nom de quelque idéal, derrière lequel on retrouvera toujours, en creusant un peu, la propriété, concept majeur.
On peut aller, comme le moraliste Léopardi, jusqu'à voir dans le suicide un acte libre, qui arrache l'homme à la génétique ou au déterminisme animal. Bien sûr ce n'est pas Léopardi qui est "nihiliste", comme de joyeuses buses écrivent parfois, c'est la société qui l'est. L'interdit social ou religieux du suicide a pour seule fonction de blanchir la société. La société, c'est Ponce-Pilate : elle s'en lave les mains. L'irresponsabilité fleurit sur le fumier du droit. Le cavalier noir de l'apocalypse, le plus terrifiant, tient dans la main une balance.
La société pousse au crime, mais pas trop, comme si elle voulait se repaître sans hâte, par crainte de l'indigestion.
Dans l'ordre social, qui osera dire que la conduite de ce pauvre type est scandaleuse ? Il n'avait plus aucun désir de vivre, donc de baiser, donc de consommer, donc de se soigner, donc de devenir président de la République, donc de se sacrifier pour une noble cause abstraite. Le Christ ne condamne pas Judas, il circonscrit son mobile à l'ordre social.
La colère de Dieu est contre cet ordre. Il ne passera pas la rampe. "L'apocalypse ou la mort.", comme écrit mon pote Fodio. Chaque chrétien par ses actes de charité contribue au dévoilement de l'ordre social atroce. Le plan du désir, infini, est une mise en abîme sournoise.