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  • Religion de Voltaire

    Cloué au lit par une grippe, je relis les "Lettres philosophiques" de Voltaire.

    Son propos est assez actuel ; sans doute le style clair et net de Voltaire n'est-il pas étranger à cette impression, tandis que la plupart des auteurs contemporains ne parviennent pas à donner vie à leur style.

    La religion catholique honnie par Voltaire a fondu en France comme neige au soleil, réduite désormais à une petite secte condamnée à rêver de la grandeur catholique d'autrefois (ou du futur).

    Cependant le culte de l'Etat perdure en France, le respect de l'autorité incarnée par les fonctionnaires chargés de la police, de l'enseignement et de la défense du pays ; dans ce goût de l'uniforme et de la censure, on reconnaît le service rendu autrefois par le clergé catholique aux représentants de la puissance publique.

    Pour mémoire, Voltaire s'oppose d'une part au clergé catholique, et plus encore au jansénisme ; d'autre part il combat le matérialisme athée de certains "philosophes", qu'il juge aussi excessif. De fait, le XXe siècle sera le siècle d'une forme de fondamentalisme athée.

    Voltaire est lui-même matérialiste, mais non athée. Cette opinion religieuse n'est pas si originale, car on la retrouve dans l'Antiquité chez certains philosophes, dont Aristote.

    Les convictions religieuses de Voltaire sont difficiles à cerner exactement ; la formule de sa foi dans un dessein supérieur intelligent fluctue au gré de l'influence de tel ou tel savant philosophe - l'admiration de Voltaire pour Newton est bien connue. On pourrait dire que la religion de Voltaire fut celle dont Newton, savant et théologien, fut le prophète.

    Voltaire est partisan d'une religion "moyenne", préservant la France des abus du clergé catholique comme de certains philosophes faisant la promotion d'un athéisme dogmatique.

    Rien d'étonnant à ce que Voltaire s'en prenne à Pascal et ses "Pensées", dans une lettre philosophique (XXV) qui constitue un morceau de bravoure. On constate que Voltaire n'a pas tout renié de sa scolarité chez les jésuites, car c'est un efficace propagandiste. Il joue sur le velours, diront certains, car Pascal ne peut lui répondre.

    On ne peut se ranger complètement du côté de Voltaire ou de Pascal, tant la vérité semble divisée entre les deux. Voltaire convaincra plus facilement un esprit français, car la clarté de l'expression est de son côté, et il n'a pas de mal à souligner les contradictions entre certaines pensées, ou la confusion de telles autres. Voltaire a sans doute raison d'accuser les admirateurs de Pascal de le trahir en admirant ce qui paraît un brouillon, des "Pensées" ébauchées mais non finies.

    Un sujet de discorde entre Voltaire et feu Pascal, c'est l'aptitude de l'homme au bonheur. Pascal affirme l'inaptitude particulière de l'homme au bonheur ; il y décèle la trace d'un manque dont Voltaire ne veut pas entendre parler. Pour Voltaire au contraire, l'homme est particulièrement apte au bonheur, et les Parisiens ou les Londoniens le prouvent bien, qui savent profiter de la vie dans des limites raisonnables.

    Sur ce point, je penche plutôt du côté de Pascal, bien que le moraliste italien J. Léopardi a mieux décrit cette insatisfaction de l'homme, à qui il manque toujours quelque chose, même quand il est le plus heureux des hommes. On ne saurait mieux dire que : "Le suicide prouve dieu." : c'est ce que s'efforce de dire maladroitement Pascal, et que Voltaire contredit, affirmant que l'homme ne pense qu'à vivre.

    La succession d'événements politiques plus catastrophiques les uns que les autres depuis le siècle de Voltaire paraît indiquer la difficulté de l'homme au bonheur, c'est-à-dire à fonder une société, non pas juste mais seulement stable. Voltaire lui-même paraît bien humain quand il déplore le terrible séisme de Lisbonne et son injustice, que rien ne peut justifier.

    Le chancelier Francis Bacon Verulam, auquel Voltaire consacre une brève lettre philosophique (XII), distingue suivant la mythologie grecque les hommes "épiméthéens" des hommes "prométhéens" : les premiers sont plus aptes au bonheur, mais moins perspicaces et intelligents, plus "terre-à-terre" ; les hommes prométhéens veulent en savoir plus et ne se contentent pas de réponses toutes faites sur la condition humaine, tel le mythe de l'éternel retour - questionnement qui peut être cause de désespoir ou de frustration.

    Au crédit de Voltaire et au débit de Pascal en revanche j'inscris tout ce qui relève de l'influence sur Pascal des calculs algébriques en quoi l'auteur des "Pensées" excellait, et dans lequel Voltaire n'a pas de mal à dénoncer une idéologie abstraite et étrangère à l'esprit évangélique.

    Qui est Dieu ? Cette question à laquelle les évangiles répondent partiellement en indiquant qu'il est source d'amour, alors que l'Antiquité ne connaissait presque que la puissance de l'instinct, maîtrisé grâce à l'art, cette question divise les chrétiens, qui souvent pour la résoudre ont appelé à leur secours la philosophie ou la science.

    Francis Bacon recommandait à ce sujet, pour ne pas accroître les divisions entre les chrétiens, de ne pas ériger en dogmes des principes incertains et des hypothèses, de la même manière que l'on ne devrait pas enseigner comme une science certaine ce qui n'est encore qu'une hypothèse.

    Les querelles scientifiques actuelles, que la censure s'efforce d'étouffer en ne laissant paraître dans la presse que le point de vue dominant, sont les petites soeurs des querelles théologiques du passé. La question du salut resurgit sous la forme du questionnement scientifique et historique. Le clergé chrétien a été comme dépossédé d'un questionnement qui, selon l'évangile, n'appartient à personne en particulier.