Avant que j'aie le temps de dire "ouf", je me prends le "direct" en pleine poire. J'avais un peu la tête ailleurs, je pensais encore à ce modèle charmant. J'avais bandé les vingt premières minutes, au moins, c'était la première fois que ça m'arrivait, d'être déconcentré à ce point…
Je croise les deux types dans une rue déserte et, dix mètres plus loin, ils me hèlent, menaçants, et rappliquent en faisant semblant de me demander des explications comme quoi je les aurais regardés de travers et tout. Et "boum" ! Heureusement le plus costaud, à peu près le même gabarit que moi, a mis à côté de mon pif, dans la pommette. Je bronche pas, je lâche même pas mon carton à dessins. Je peux pas leur expliquer que je regarde tout le monde de travers, les gonzes comme les gonzesses, c'est un truc de dessinateur. Connaud, au lieu de ça je leur dis qu'ils sont pas très courageux de s'y mettre à deux contre un. J'esquisse pas un geste de réplique. Je suis pas rassuré. Ils ont l'air un peu avinés, des gueules patibulaires, et je les sens capables de me filer un coup de surin pour me faire passer le goût du code de la chevalerie. Surtout celui qui m'a pas frappé, un grand maigre. Ils se contentent de m'insulter, de me traiter de pédé.
Un type sort de chez lui sur le trottoir d'en face, nous aperçoit, puis se rend compte qu'il a oublié un truc important dans son appartement, des clés ou quelque chose comme ça parce qu'il tâte ses poches, et il rentre chez lui.
Les deux types finissent par décarrer. Putain, ces salopards m'ont couvert de honte ! Je ne vais plus pouvoir me regarder dans la glace pendant deux jours ! Je suis resté sans réaction.
Tous les six mois environ, j'ai le même genre de problème avec des individus de type maghrébin ou antillais à chaque fois, rapport à mon regard de dessinateur, je pense ; parfois je m'en suis sorti mieux, parfois moins bien. Presque sûr qu'avec des bobos je me serais pas laissé marcher sur les pieds comme ça. Mais avec ces types qui souffrent de manque de respect, ils n'ont pas tenté de me faire les poches, je suis plus ou moins paralysé. J'ai pas été éduqué à cogner le premier. J'ai fait un peu de rugby, de boxe, mais ça n'a pas grand-chose à voir. Ce qui me manque c'est le déclic, la haine… Avec des bobos j'aurais la haine, naturellement…
bobos
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La haine