La grossièreté du cinéma français fait ressortir la subtilité de certaines productions yankies. Plus belle la vie évoque même la politique-fiction de George Orwell, représente une sorte de France totalitaire scénarisée par BHL. Tous les clichés sont là. En dehors de quelques méchants qui ont des bobines d’électeurs de Le Pen, le soleil brille sans éclipse sur une société pluriculturelle métissée.
La proportion importante de fictions policières, elle, est caractéristique de la mentalité puritaine. L’état-policier, l’état-hygiénique, c’est un rêve typiquement bourgeois. Avec une fascination, une incrimination particulière des crimes sexuels tels que le viol, l’inceste ou la pédophilie (qui dans la civilisation classique grecque ne sont même pas des crimes, sauf peut-être pour les stoïciens, et encore…).
Les malversations de la “Société générale” ou de l'UIMM, l’étalage de la haine des nantis de Neuilly les uns pour les autres ont certainement des répercussions sociales plus graves que tel ou tel acte pédophile, mais cela le bourgeois ne le voit pas.
Bien sûr il y a des raisons politiques d’abord à la supériorité de l’industrie cinématographique des Etats-Unis. Seul un cuistre peut l’imputer à la richesse des studios d'Hollywood.
Les Yankis ne lisent pas, ou peu. Et la frontière entre le cinéma et la littérature n’existe pas, n’a quasiment jamais existé aux Etats-Unis. Cette fonction de propagande subtile, elle est jouée en France par une sous-littérature écrite, des écrivains comme Eric-Emmanuel Schmitt, Anna Gavalda, BHL, Marc Lévy, Frédéric Beigbeder, Patrick Besson, etc.
Patrick Besson ne demanderait pas mieux que d’être scénariste pour TF1, et il n’est pas si “cher” que TF1 ne puisse l’embaucher, mais il n'y pas encore de demande en France pour un produit impertinent, même si Sarkozy en rêve, pour pimenter ses soirées avec Carla.
À côté de séries comme 24 h, Les Experts, Prison break, qui jouent sur des ressorts banals, la fascination commune pour le sexe et la violence, avec une dose de suspense et de patriotisme yanki en plus, et qu’on peut qualifier de “pornographiques” sans s’y attarder, d’autres séries plus psychologiques visent le public féminin.
Il faut garder à l’esprit que près de soixante-quinze pour cent de la production littéraire commerciale est épongée par des femmes ; si le bovarysme touche de plus en plus les hommes, c’est d’abord historiquement une affaire de femmes. Si la gent féminine fait des efforts hypocrites dans ce sens, elle reste assez imperméable à la débilité psychologique profonde d’un match de football ou de rugby.
Sex and the city est l’exemple le plus célèbre de ce genre de séries qui donnent dans l’épaisseur psychologique, sans équivalent à la télé française
Sex and the city est une sorte de publicité pour la société new-yorkaise, mais sans verser dans le manichéisme, avec un contraste qui rend la propagande plus efficace. Spielberg est plus efficace que Léni Riefenstahl : le public paie pour voir les films de Spielberg !
Reste que l’androgynie morale des héroïnes de la série Sex and the city, pour le public français amateur de jolies femmes, est assez dégoûtant.
Plus récemment, dans la même veine "impertinente", la série Dr House évite aussi les clichés du cinéma européen, balourd jusque dans les analyses sociales de Chabrol, ou ontologiques de Godard.
Ce personnage de toubib handicapé, chef du service des cas épineux, qui appelle un chat un chat, et une chienne une chienne, en dit assez long sur la société yankie. À condition de ne pas porter sur cette série le regard d’une téléspectatrice française moyenne.
Cette série n’est bien sûr pas fabriquée pour le public français d'abord.
Ainsi le Dr House étant politiquement incorrect, il se doit pour les Etats-Unis d’être athée ; difficile à piger en France où ce sont au contraire les “intégristes” musulmans ou catholiques, les membres de l’Eglise de Scientologie, qui sont politiquement incorrects, l’athéisme étant banal sous nos latidudes.
Le comique de cette série est typique du nouveau comique bourgeois. Le Dr House fonctionne exactement de la même façon que les bouquins de Nitche. Il dit ce qu’un bourgeois peut entendre de plus choquant, tout en restant dans les limites de ce qu’un bourgeois peut entendre. Aussi politiquement incorrect soit-il, il ne faut pas s’attendre bien sûr à ce que le Dr House nie l’existence des chambres à gaz, par exemple, ou se mette à vanter les mérites de Ben Laden en tant que résistant à l’occupation israélo-américaine, ce genre de truc, même pour rigoler, dans le cadre d’une fiction, par pure provocation (le rire doit beaucoup à l'effet de surprise) ; l’émoi dans les chaumières serait trop grand et l’avenir commercial de la série compromis (Même si aux Etats-Unis elle fut diffusée en “pay per view” sur une chaîne du cable, ce qui est une donnée du cahier des charges.)
Le bourgeois est plein de petits tabous que le Dr House brise par surprise, et ça chatouille. La ménagère yankie est prête à ce que ses valeurs antiracistes ou féministes, la limitation de vitesse ou l’interdiction de fumer soient ridiculisées par un personnage de fiction, qui a l’excuse d’ailleurs d’être handicapé. De toutes façons ces valeurs sont superficielles et n’engagent à rien. Mais pas touche aux grands tabous bourgeois.
De même si Le Pen fait toujours des cartons en termes d’audience à la télé, c’est aussi parce qu’il y a des bobos qui le regardent juste “pour se faire peur”.
Dans la vraie vie, un tel personnage “socialement incorrect” a peu de chances de faire mouiller les gonzesses qui, dans la série, sont toutes au garde-à-vous devant House. D’autant moins que malgré ses fonctions de chef d’un service hospitalier, le Dr House est complètement raide.
Même s'il est un phénomène avant-coureur, le bobo en France ne donne encore qu’une faible idée du niveau de conformisme qui règne aux Etats-Unis. La diffusion par TF1 de ce genre de série prouve que le décalage entre le public français et le public yanki tend à s'effacer ; tous les efforts des politiciens libéraux et de la propagande télévisée vont dans ce sens.
Malgré sa volonté d’indépendance, son refus ferme de se plier à l’hypocrisie bourgeoise, le Dr House comme Nitche en définitive rentre dans le rang et le système en ressort encore plus fort. C’est bien tout le sens du mépris qu’un catholique ou un communiste réserve à la philosophie de Nitche : en définitive elle ne fait que renforcer les valeurs bourgeoises, son principe est antirévolutionnaire, comme le mouvement de Mai 68 qui, sous couvert de combattre le puritanisme et l’ignorance, n’a fait que les renforcer, ajouter de l'hypocrisie à l'hypocrisie.
Nul hasard dans le fait qu’un cochon de curé démocrate-chrétien, dans une basilique française en 2008, invoque les bienfaits de la morale de Nitche dans son sermon. Idem pour l’hédonisme laïcard ridicule de Michel Onfray ; c’est la même religion.
L’”identité française” est un concept crétin de philosophe sarkozyste ; en revanche le peu d’honneur français qui subsiste incite à botter le cul de tels énergumènes en soutanes, plus prompts à défendre les valeurs bourgeoises évolutionnistes et athées que les valeurs évangéliques.
Comment prétendre à l’universalisme chrétien lorsqu’on se berce d’illusions aussi ringardes ? Certes un type comme Tariq Ramadan, à défaut d’être moderne, est plus français qu’un curé démocrate-chrétien, étant donné qu’être français, ça se mérite, ce n’est pas un magot ni une rente de situation.
Pour revenir à Dr House, c’est plus précisément l’apologie de la science (médicale) yankie à quoi cette série œuvre tout compte fait.
La science yankie, rappelons-le, en dehors de prolonger l’usage de quelques super-gadgets nazis (sans les nazis, les Etats-Unis seraient sans doute en faillite depuis longtemps), la science yankie n’a accompli aucune prouesse et ses missiles pourraient bien se retourner contre elle.
Depuis cinquante ans, quelle “potion magique” nouvelle les laboratoires américains multimilliardaires ont-ils élaborée ? Que dalle en dehors de produits dopants et de repeindre en rose des pilules vertes - même le “pot belge” est une invention belge.
(En sciences humaines, les Yankis nous ont “chipé” les trois plus grands raseurs que la France ait enfanté : Derrida, Robbe-Grillet et BHL ; si les universités yankies y mettaient plus de conviction et que le niveau d’anglais était un peu moins faible dans l’université française, le débauchage américain pourrait même contribuer à améliorer sensiblement le niveau moyen du corps professoral européen.)
Néanmoins, de façon dialectique, derrière la propagande, le scénariste de Dr House émet quand même une critique authentique. Elle est presque indiscernable puisqu’elle porte sur l’épistémologie.
Aux Etats-Unis, pour résumer, on peut dire que l’épistémologie stagne au “niveau Wikipédia”, c’est-à-dire le plagiat plus ou moins rigoureux d’encyclopédies solides dans un but prétendument humaniste, ce que certains qualifient (le plus sérieusement du monde) de “science démocratique”.
Cela donne le type de raisonnement statistique suivant : “Puisque 80 % des gens pensent que l’hypothèse évolutionniste de Darwin est exacte, eh bien c’est qu’elle ne peut pas être fausse.”
Les tirades du Dr House vont à l’encontre de cette épistémologie-là, et montrent plutôt bien ce qu’elle a d’arrogant et de niais à la fois.
Les assistants du Dr House incarnent la médecine académique, systématique, pleine de certitudes statistiques, et bien sûr carriériste. Sans le carriérisme à l’arrière-plan, on ne peut pas comprendre la science démocratique.
L’esprit imaginatif et ouvert, élitiste, du Dr House, au strict plan de l’épistémologie, l’emporte toujours dans cette série. Le Dr House a toujours raison et ses assistants ont toujours tort (Je précise que je n’ai pas vu la fin de la série et qu’il n’est pas exclu que le Dr House finisse cinglé ou avec une MST comme Nitche.)
Sur ce plan-là la série a valeur de pamphlet - ou de sous-pamphlet.
Si l’athéisme du Dr House est d’une banalité telle en France que même Sollers et BHL jugent plus branché de se draper d’une sorte de voile spirituel, en ce qui concerne son niveau scientifique le public français n’est plus très loin du public yanki. Je vous laisse conclure.