Chaque semaine qui passe et l'absence d'Alphonse Allais dans le paysage intellectuel français se fait plus cruellement sentir… Avec un philosophe de cette envergure et de ce niveau de bagout, la démocratie était tout de même plus facile à avaler pour nos ancêtres ! Mais le bicarbonate de soude de la pensée moderne s'est dissout dans le Grand Tout moléculaire et le Parisien est, à présent, entièrement à la merci de la cuistrerie métaphysique. Elle le suit partout : à la rubrique "Éditorial" des quotidiens, du plus gratuit au moins payant, en version "light" dans la bouche de Claire Chazal, au bar bobo d'à-côté, où on diffuse Delerm en sourdine pour faire plaisir aux "professeurs des écoles" qui viennent siroter un sirop d'orgeat en mâchant du chewing-gum après la classe ; sans oublier de rendre à Onfray, BHL, Ferry et Finkielkraut, co-inventeurs de la "philosophie de gare", l'anti-hommage qui leur est dû.
À la saillie modeste a succédé la platidude arrogante. Les temps sont mous…
Tentons une expérience… Tâchons de deviner quelle solution le maître normand aurait imaginée pour remédier au problème prégnant - ô combien -, de la baisse du pouvoir d'achat ; quel aurait été son oracle ? Nul doute qu'il eût su trouver les mots équitables et que son expertise eût été d'un grand secours, lui qui toujours boucla difficilement ses fins de mois, insouciant qu'il était de la publication au format de poche de son œuvre d'humour graissant, assez sincèrement démocrate pour ignorer les royalties.
D'abord Allais eût approuvé sans réserve la villégiature de notre futur Président de la République, qui a décrété la question du pouvoir d'achat "priorité nationale", sur un yacht de luxe en mer Méditerranée ; lorsqu'on veut augmenter le budget des Français, il est préférable de se rendre compte d'abord par soi-même des effets d'un pouvoir d'achat renforcé - c'est bien la moindre des choses quand on prétend avoir du bon sens.
Ensuite, Allais eût su comment exprimer tout le suc comique d'un personnage tel que Thierry Breton, ex-ministre de l'Économie et des Finances, un pionnier sur le terrain de la question essentielle du pouvoir d'achat des Français, qui a ouvert discrètement le chemin au Président Sarkozy sur ce champ de bataille, condensant en une sorte de formule magique ses observations concrètes au microscope. Si la bourse des citoyens Français n'a pas gonflé en fonction des espérances légitimes au cours de ces dernières années, dit "grosso modo" Thierry Breton, qui ne s'encombre pas avec la langue de bois, c'est à cause de la facture de téléphone portable ! Elle pompe en effet tout l'excédent, et même au-delà (sans aucune connotation religieuse) !
On ne saurait être mieux placé que Thierry Breton pour faire le bilan de ces télécommunications coûteuses. En somme, si on est empêché de collectionner autant de nouveaux gadgets qu'on le souhaiterait, en France, situation humiliante si on la compare à celle de nos voisins américains, ou britanniques, ou même belges, voire allemands (un comble - quand on pense que ces salauds ont inventé les chambres à gaz !), c'est à cause des traites et des abonnements à des gadgets d'ores et déjà "out of date"…
Cette inéquation scandaleuse, bien sûr Thierry Breton ne le résout pas complètement, mais il a au moins le mérite de mettre le doigt dessus et de faciliter ainsi la tâche démesurée qui attend notre nouveau président à sa descente de Falcone - un nouveau président qui est tout sauf un gadget, à peine un gars "jet-set" (Les connaisseurs savent qu'Allais lui-même ne dédaignait pas un calembour osé ou une rime pauvre par-ci, par-là, afin de bien marquer sans doute sa différence avec Victor Hugo ou Jean Jaurès.)