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alphonse allais

  • L'Evolution finale

    Ce qui fait que l'artiste ou l'homme de science sera peu enclin à gober la théorie de l'évolution, c'est qu'elle est, de toute évidence, une pure clause de style.

    Alphonse Allais, le seul surréaliste vraiment sérieux, comme son sens de l'auto-dérision l'indique (il est difficile de prendre l'humanité plus au sérieux que l'espèce des primates), emploie toutes les ressources de son art afin de souligner toutes les incohérences que la théorie de l'évolution entraîne pour un esprit français : elle oblige à prendre la religion au sérieux ; à voir dans les salauds des surhommes, puisqu'il faut être un salaud pour s'adapter à la société, etc. On devine derrière le ton badin d'Allais un homme extrêmement colère que la société française, du fait de son élite républicaine, soit en train de devenir nazie.

    Si Céline avait lu Allais plus attentivement, il aurait été encore moins nazi, car il aurait su que les hommes les mieux adaptés dans ce monde ne sont juifs que dans la mesure où c'est à la mode de l'être. En principe, ils sont de confession assyrienne ou babylonienne. 


  • Identité, piège à berniques

    "Elle est passée par ici, elle repassera par là, elle court, elle court l'Identité française..." ; serait-ce une cousine de l'Arlésienne? On peut regretter l'absence d'Alphonse Allais, super Français du centre de Paris (Il y a toujours au moins un tiers de Belge, de Boche ou de Rital, dans le provincial), très bien placé pour tirer tout le comique de cette situation algébrique, extraire le PGCD ou la racine carrée de la patrie.

    Car faire rire du néant au lieu d'en tirer des conséquences astronomiques, voilà bien qui distingue le Français de ses cousins germains et qui oblige, si on choisit d'élire comme moi Allais architype français, de reconduire Blaise Pascal et Jean-Paul Sartre à la frontière illico.


  • Créationnisme

    Je suis persuadé qu'Alphonse Allais joue aussi un rôle dans la formation de L.-F. Céline. A. Allais est aussi sous le signe du caducée.
    Lectures d'enfance ne comptent pour rien. Ainsi, pour moi, le "Savant Cosinus" de Georges Collomb (alias Christophe). Sans lui aurais-je reconnu dans Darwin ou Poincaré l'idée fixe diabolique ?

    "Ce remarquable ouvrage est rempli d'aperçus nouveaux autant que philosophiques. Il est, à la fois, instructif et moralisateur.
    Instructif, parce qu'à chaque pas le lecteur est invité à fouler les plantes-bandes de la science pure et à en extraire une masse de conséquences pratiques et variées, si tant est qu'il soit possible d'extraire une conséquence d'une plate-bande !"


    Avertissement de Christophe précédant un pamphlet plus féroce et plus ancien que celui de Céline contre Courtial des Pereire.

  • Philologie

    La "philologie" est une passion romaine déguisée en sagesse grecque. Derrière le fétichisme délicat de Jacques Lacan ou Roland Barthes, Philippe Sollers ou Frédéric Nitche, se cache l'extrême violence de la bourgeoisie. Il n'y a qu'un seul philologue vraiment sensible, c'est Alphonse Allais. Chacun sera jugé sur ses oeuvres, les branlements ne comptent pas.

  • L'Economie pour les Nuls

    "Il suffit de remarquer que les crises sont chaque fois préparées justement par une période de hausse générale des salaires, où la classe ouvrière obtient effectivement une plus grande part de la fraction du produit annuel destiné à la consommation." Karl Marx

    Les médias capitalistes tentent tant bien que mal de dissimuler deux faits à l'opinion publique :

    - Le premier, c'est que la crise actuelle correspond bien au schéma économique auquel Karl Marx consacra vingt années d'études. Il s'agit bien en effet d'une crise due à l'excès de crédit et de Capital, et non au manque de Capital ; la surproduction de biens de consommation n'est que le corollaire de l'excès de Capital.

    Autrement dit les gaspillages dantesques dont nous sommes les témoins, derrière lesquels se dissimulent des vies de labeur harassantes, à quelques milliers de kilomètres de nous, ne sont pas dûs à l'incompétence des banquiers, mais à l'impossibilité de faire fructifier normalement l'excès de Capital accumulé par les grands banques nationales. Nulle philantropie bien entendu dans les prêts consentis à des foyers insolvables aux Etats-Unis, mais une conséquence de ce "débord" de crédit.

    - La "morale" de Jérôme Kerviel ou de Daniel Bouton, des escrocs de toutes sortes, n'est pas en cause non plus ; c'est surtout au plan mental que ce genre d'énergumènes est déficitaire. Le problème général est un problème de responsabilité, du banquier à la caissière de supermarché en passant par l'officier français volontaire pour une mission en Afghanistan, le tortionnaire d'un camp de  prisonniers en Pologne ou ailleurs. Le totalitarisme est au contraire "hypermoral" et le léviathan une grosse baleine qui dévore ses enfants.

    C'est l'excès de conventions dans tous les domaines qui mène à l'irresponsabilité. Ainsi, dans le domaine du langage, le soucis excessif des conventions, orthographiques ou grammaticales, reflète cet esprit femelle et les effets du "discours de la méthode" sur la virilité, le "fétichisme" du langage, très net chez des auteurs comme A. France ou son pasticheur M. Proust. Contre ce fétichisme en grande partie, Louis-Ferdinand Céline a bâti la seule oeuvre littéraire vraiment vivante du XXe siècle. La préoccupation du style chez Céline n'est que "résiduelle" et ce qui le mobilise est bien l'expression d'une vérité occultée au premier chef.

    Auparavant Alphonse Allais, auteur populaire lui aussi, dans le canard que lisait le paternel de Céline, faisait ressortir par ses pastiches cette sclérose de la langue française. Allais est mi-figue mi-raisin. La marque du totalitarisme en littérature consiste dans la "parodie involontaire" qui est le niveau de la littérature actuellement. 

    De la même phalange, Léon Bloy est, lui, un auteur presque entièrement dépourvu de style, mais qui a survécu comme Marx exclusivement par la force de son message eschatologique.

  • Facteur de X

    Il y a encore de la place en France pour l'humour de Coluche ou de Jean-Marie Bigard, mais on voit bien qu'il n'y en a plus pour l'humour d'Alphonse Allais. L'écart entre réalité et absurdité s'est considérablement comblé depuis Allais.

    J'en veux pour preuve que l'humour d'Allais, taillé pour divertir les Parisiens au saut du lit, se retrouve désormais rangé au rayon "Science" des bibliothèques : c'est Karl Popper, par exemple.

    La devise de Popper en termes "allaisiens" s'énonce telle que : "En Science comme aux Jeux Olympiques, l'essentiel c'est de participer."

    Popper : en voilà un qui a de bonnes chances de figurer dans le peloton de tête du Top 50 des crétins qui ont marqué le Siècle de la Lumière.

     

     

  • Laisser-Allais

    Quand Alphonse Allais inaugura l’art contemporain en grandes pompes (de clown) il y a plus d’un siècle, galerie Vivienne, déjà la civilisation montrait des signes de faiblesse. Toutes les conditions étaient réunies pour commencer de désespérer.
    Malgré tout Allais s’accroche à la légèreté française : avec lui les illusions valsent, au lieu de foutre le camp, comme chez Céline.

    L’humour potache érigé en art, le calembour élevé au rang de science, etc., il y a tout ça chez Allais, viking futuriste tiré à quatre épingles. Il possède dans sa pharmacie l’antidote au conformisme et à l'ennui démocratique. Il y a tout un tas de fioles cocasses. Un gugusse comme Finkielkraut, par exemple, improbable encore naguère, rendu possible aujourd’hui, semble sortir tout droit d’un conte défait d’Allais.

    *

    Il ne faut pas séparer abusivement Alphonse Allais de Léon Bloy. Le génial maniement de la langue, Bloy s’en rapproche aussi. Quant à Allais, il n’a rien d’un évolutionniste béat, c’est pour le moins un athée subtil comme on n’en fait plus.
    Les deux amis faisaient la paire de désespérés. Désespérés, qui, paradoxalement, redonnent espoir ; aussi isolés soient-ils au milieu de la mer des démocrates-crétins, ils brillent comme un fanal dans la nuit.

    *

    Céline a pris le relais, donc. À ce propos, on observe qu’un des effets de la démocratie, du capitalisme, a été d’anéantir ou presque la culture populaire.
    Après tout un fin lettré, un “humaniste” trouvera encore y compris dans des bouquins récents de quoi satisfaire sa curiosité intellectuelle. Les sources du savoir et de l'érudition, grâce à quelques-uns, ne sont pas complètement taries. Mais que reste-t-il de la littérature, de l’art populaire, que Céline et Allais incarnaient ?
    Bien sûr il y a des types louches comme Patrick Besson, quand ce ne sont pas carrément des abrutis comme Guillaume Durand, pour vous expliquer que Jean-Marie Bigard, Harry Potter, Louis de Funès ou Amélie Nothomb, c’est de la littérature populaire. Mais c’est ce qui s’appelle se moquer du peuple.

  • Saisir l'occasion

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    D’après la jaquette de Comme disait Alphonse Allais, une occasion saisie chez Gibert, l’écrivain Patrice Delbourg est “bien connu des auditeurs de “France-Culture”. Ça m’écorche un peu la gueule de l’admettre, vu que “France-Culture” symbolise à mes yeux le moisissement d’une culture française en pleine période de paraphrase, mais l’hommage rendu par P. Delbourg à A. Allais a le mérite de nous emmener hors des sentiers battus ; pour une fois qu’on s’échappe du boulevard Zola, de l’avenue Alexandre Dumas, de l’impasse Lévinas, de la perspective Aragon, du quai Voltaire, du square des surréalistes staliniens, de l’autoroute Nitche, du rond-point des philosophes existentialistes, pour emprunter l’Allais transversale pavée de blagues d’Alphonse, philosophe de la seule espèce supportable, celle des philosophes qui ne se prennent pas au sérieux… On respire l'air frais !

    Le mérite du bouquin de Delbourg, paru discrètement en 2005 à l’occasion des cent ans de la mort de l’écrivain normand, est d’autant plus grand qu’il recopie de larges extraits d’Allais. Il se présente sous la forme d’un dictionnaire à entrées diverses et variées, de “A” comme “absinthe” à “Z” comme “zutiste” en passant par “K” comme “kamikaze”.

    *

    Où on s’aperçoit qu’Allais est le contrepoint de notre époque : aussi scientifique, familier des recherches du chimiste-poète Charles Cros, que notre époque est superstitieuse, aussi drôle que notre époque est philosophique, aussi divers que notre époque est uniforme, aussi sceptique que notre époque est crédule, aussi normand que notre époque est américaine - sa tombe au cimetière de Saint-Ouen a même été bombardée par l’aviation yankie - les salauds !

    Même l’athéisme et l’anticléricalisme d’Allais sont démodés. Allais est bien loin d’être un de ces bigots du Néant, bardés de principes et qui ne cessent de claironner leur foi dans le Vide et le Non-être, que les croyants les gênent dans leur pratique, bref, la litanie habituelle.
    Allais, il ne fait qu’exploiter la vieille parcelle de paganisme normand, il n’a pas de visées expantionnistes. Il est anticlérical comme Rabelais ou Molière ou Aymé, il se contente de remplir son devoir d’humoriste en égratignant les autorités, toutes les autorités, rien que les autorités ; et comme l’Église n’en a déjà plus beaucoup, d’autorité, du temps d’Allais, il n’est guère mordant.

    Nul doute qu’au passage Choiseul le père de Céline lisait les chroniques d’Allais et qu’il n’était pas assez rosse pour priver son fils Ferdinand de journaux. On peut imaginer que Céline a été influencé par ce style direct ou qu’Allais l’a aidé à sentir tout le parfum de son siècle, si caractéristique.

    En conclusion, lisez Allais, il ne vous en coûtera pas beaucoup plus cher qu’une place de cinéma et vous éviterez la migraine qui s’ensuit si le film vous était recommandé par “France-Culture”.

  • T'as ton yacht ?

    Chaque semaine qui passe et l'absence d'Alphonse Allais dans le paysage intellectuel français se fait plus cruellement sentir… Avec un philosophe de cette envergure et de ce niveau de bagout, la démocratie était tout de même plus facile à avaler pour nos ancêtres ! Mais le bicarbonate de soude de la pensée moderne s'est dissout dans le Grand Tout moléculaire et le Parisien est, à présent, entièrement à la merci de la cuistrerie métaphysique. Elle le suit partout : à la rubrique "Éditorial" des quotidiens, du plus gratuit au moins payant, en version "light" dans la bouche de Claire Chazal, au bar bobo d'à-côté, où on diffuse Delerm en sourdine pour faire plaisir aux "professeurs des écoles" qui viennent siroter un sirop d'orgeat en mâchant du chewing-gum après la classe ; sans oublier de rendre à Onfray, BHL, Ferry et Finkielkraut, co-inventeurs de la "philosophie de gare", l'anti-hommage qui leur est dû.
    À la saillie modeste a succédé la platidude arrogante. Les temps sont mous…

    *

    Tentons une expérience… Tâchons de deviner quelle solution le maître normand aurait imaginée pour remédier au problème prégnant - ô combien -, de la baisse du pouvoir d'achat ; quel aurait été son oracle ? Nul doute qu'il eût su trouver les mots équitables et que son expertise eût été d'un grand secours, lui qui toujours boucla difficilement ses fins de mois, insouciant qu'il était de la publication au format de poche de son œuvre d'humour graissant, assez sincèrement démocrate pour ignorer les royalties.

    D'abord Allais eût approuvé sans réserve la villégiature de notre futur Président de la République, qui a décrété la question du pouvoir d'achat "priorité nationale", sur un yacht de luxe en mer Méditerranée ; lorsqu'on veut augmenter le budget des Français, il est préférable de se rendre compte d'abord par soi-même des effets d'un pouvoir d'achat renforcé - c'est bien la moindre des choses quand on prétend avoir du bon sens.

    Ensuite, Allais eût su comment exprimer tout le suc comique d'un personnage tel que Thierry Breton, ex-ministre de l'Économie et des Finances, un pionnier sur le terrain de la question essentielle du pouvoir d'achat des Français, qui a ouvert discrètement le chemin au Président Sarkozy sur ce champ de bataille, condensant en une sorte de formule magique ses observations concrètes au microscope. Si la bourse des citoyens Français n'a pas gonflé en fonction des espérances légitimes au cours de ces dernières années, dit "grosso modo" Thierry Breton, qui ne s'encombre pas avec la langue de bois, c'est à cause de la facture de téléphone portable ! Elle pompe en effet tout l'excédent, et même au-delà (sans aucune connotation religieuse) !
    On ne saurait être mieux placé que Thierry Breton pour faire le bilan de ces télécommunications coûteuses. En somme, si on est empêché de collectionner autant de nouveaux gadgets qu'on le souhaiterait, en France, situation humiliante si on la compare à celle de nos voisins américains, ou britanniques, ou même belges, voire allemands (un comble - quand on pense que ces salauds ont inventé les chambres à gaz !), c'est à cause des traites et des abonnements à des gadgets d'ores et déjà "out of date"
    Cette inéquation scandaleuse, bien sûr Thierry Breton ne le résout pas complètement, mais il a au moins le mérite de mettre le doigt dessus et de faciliter ainsi la tâche démesurée qui attend notre nouveau président à sa descente de Falcone - un nouveau président qui est tout sauf un gadget, à peine un gars "jet-set" (Les connaisseurs savent qu'Allais lui-même ne dédaignait pas un calembour osé ou une rime pauvre par-ci, par-là, afin de bien marquer sans doute sa différence avec Victor Hugo ou Jean Jaurès.)

  • Petit bond en arrière

    AVANT-PROPOS

    Je souhaiterais dissiper le soupçon comme qui dirait qu'un antiphilosophe comme moi, "quelque part", ne serait rien d'autre qu'un philosophe qui se cache, voire s'ignore ! Qu'il me soit permis d'évoquer pour ça un souvenir, tant qu'il est encore frais.
    Voici : j'étais jeune alors, plutôt oisif, j'étais étudiant et j'habitais une jolie ville de province en grande partie peuplée de gens qui me ressemblaient.
    Un ensemble de matières aussi dissemblables que l'allemand et l'anglais figuraient au programme de mes études. Je me préparais ainsi un cervelle "baroque" ; en revanche, j'estimai à vue d'œil, dès la "rentrée", que la variété des types humains et féminins qui composaient ma classe était un peu réduite ; je résistai aussi longtemps que je pus aux avances d'une grande blonde aux yeux bleus, très musclée, prénommée Gwendoline, avec des tresses bien sûr, par pur respect humain de ma part ; qu'est-ce qu'on peut être con quand on a dix-sept ans !… mais c'est une autre histoire.

    Mon esprit, disons "positif", et mon humour, plutôt épais, je dois l'admettre, me valaient d'écoper de sales notes en philosophie. Il faut dire aussi que l'exercice de la dissertation est un exercice assez schématique en soi, alors si vous l'appliquez à une matière aussi subtile que la philosophie, c'est à tomber la tête la première dans le néant ! Conçoit-on l'ennui que serait une dissertation de mathématiques !? Oui ? eh bien cette approximation permet à ceux qui n'ont jamais composé de dissertation de philosophie de s'en faire une idée assez exacte. Pour ceux qui ne seraient pas convaincus, même en mathématiques on ne se gêne pas pour faire des approximations.

    CHAPITRE I

    Dans une telle impasse, qu'auriez-vous fait, à ma place ? Moi, j'ai nié la philosophie en bloc ; face à un prof de philo, ça m'a paru la meilleure tactique. Dès l'introduction, j'écrivis que, les plus grands philosophes, dès qu'ils furent assez grands et vaccinés, s'empressèrent de se débarrasser du costume ridicule et démodé de philosophe, pour en revêtir un autre ; qui celui d'historien, d'économiste, de poète ou de prophète - tout sauf philosophe ! Ensuite, puisqu'il faut bien meubler, je racontai mes dernières vacances d'été, assaisonnées de galipettes un peu fictives, imitant J.-J. Rousseau - ou Voltaire, en tâchant de les présenter comme étant "universelles". C'était déjà un lieu commun dépassé à l'époque de voir en Voltaire un philosophe confortablement assis ; ses ennemis le dépeignaient plutôt comme un habile négrier, ses amis comme un poète, un artiste véritable ; on s'accordait seulement sur son intelligence ; si Voltaire revenait aujourd'hui, il présenterait plutôt le "Journal de 20 heures", un job dans ce genre, car "philosophe" ça n'a plus tout à fait le même cachet ; les philosophes sont sur des sièges éjectables. Ça serait le seul présentateur du JT à écrire lui-même le texte de son prompteur, sans fautes de français, et tout le monde attendrait avec impatience l'heure du JT.

    En vain. Mon professeur lissa ses moustaches en me rendant ma copie ; elles avaient poussé de la même manière que Nitche à cacher sa bouche et attraper toutes les miettes au passage de chaque morceau, ce qui trahit un esprit peu pragmatique ; il hocha la tête en signe de réflexion, mais s'entêta à me prescrire la lecture de tout un tas de penseurs polonais, danois ou allemands, « o-bli-ga-toires ».
    Ma bête noire, ma tête de Turc, je me rappelle que c'était Kant, Emmanuel Kant. Un esprit positif, au sens de réfractaire, voit vite à quel point la notoriété de Kant est largement usurpée, un signe des temps.
    Dans une époque où les demi-savants font la loi, Kant peut passer pour un esprit fort, et encore, il y a beaucoup de conformisme dans l'attitude de ceux qui éprouvent de la commisération vis-à-vis des "raisons" de Kant. Devant des savants entiers, Kant passerait pour un demi-habile, au mieux, le genre qui admet sans trop se poser de questions que l'homme descend du singe - est-ce que vous me suivez ? En France, au XVIIIe siècle, à peu de distance de Molière, nul doute qu'on eût jeté des tomates à la figure de Kant ! Un gugusse qui prétend éliminer Dieu de ses calculs, sous prétexte qu'on ne peut pas prouver son existence, si ce gugusse ne croit pas en Dieu lui-même, qu'Il n'a pas de réalité assez concrète pour lui, passe encore, on peut l'admettre, aussi étrange et bestiale que cette incrédulité puisse paraître. Mais, car il y a un mais, si ce gugusse croit lui-même en Dieu, comme c'est le cas de Kant, son raisonnement ressemble à un gag, au petit film des frères Lumière, l'"Arroseur arrosé".
    On est en devoir d'émettre un sérieux doute sur la santé mentale de Kant si l'on est véritablement athée ou véritablement chrétien ; il n'y a que des crétins pour se sentir "obligés" vis-à-vis de Kant - les crétins, une espèce que l'évolution sociale semble nettement favoriser en ce moment.

    Je sentis que mon professeur n'était pas loin d'éprouver les mêmes sentiments, mais je ne les formulai pas assez poliment pour qu'il me donnât la moyenne.

    CHAPITRE II

    Donc, si je n'avais pas grignoté, ici ou là, dans le droit fiscal ou dans les déclinaisons allemandes, quelques notions utiles, je crois que je serais mort d'anémie intellectuelle avant la fin de l'année scolaire. Par chance, vers le mois d'avril, un événement se produisit qui allait changer le cours de mes études. Mon prof de philo, à mesure qu'il voyait que jamais je ne saurais jongler avec des concepts, des chiffres, des valeurs, des bilans, etc., me prédisait un avenir de plus en plus sombre, une absence de réussite sociale totale. C'est alors qu'ému par mon cas, il fit quelque chose que sa morale de professeur de philosophie réprouvait vivement : il m'autorisa à étudier le philosophe de MON choix et à le lui présenter dans un exposé AUSSI PEU didactique que possible. Par patriotisme, et vu que je suis Normand, j'élus d'emblée le plus grand philosophe normand, celui qu'on surnomme communément par chez moi le "viking", ou encore le "menhir" de la pensée", j'ai nommé le fort, le doux Alphonse Allais. Je n'eus ensuite pas beaucoup d'efforts à faire : Allais a tant de souffle, il est si saillant, si ponctué, voire croustillant, acide ou amer en fonction de l'horaire des marées, en un mot il a un tel don d'ubiquité, que mon professeur fut bouleversé à la lecture de mon compte-rendu synthétique. Je n'avais pas fait autre chose que recopier deux pages du "maître", en fait, afin de ne pas trahir sa pensée, désireux qu'elle parût au regard de mon professeur dans toute sa complexité.
    De ce choc, il résulta un changement immédiat pour moi : mon professeur me dispensa pour le reste de l'année d'assister à son cours de philosophie. Ainsi j'eus le loisir de m'initier à la natation dans une piscine olympique, natation dont je suis toujours adepte, et qui me procure sagesse et humidité.

    CHUTE

    Je n'ai pas de nouvelles depuis, de mon professeur de philosophie, vous savez ce que c'est, la vie désunit parfois ce qu'elle a unit mystérieusement, les desseins du Très-Haut sont impénétrables, etc. Je l'ai perdu de vue mais reste persuadé d'un truc, c'est que s'il vit encore aujourd'hui, s'il n'a pas sombré dans la folie, et cette moustache en forme de râteau était une signe avant-coureur, c'est que chaque semaine, au moins, il lit, deux pages d'Alphonse Allais.

  • Intelligent design?

    Pas plus tard qu'hier soir j'ai croisé Agnès Jaoui près de chez moi ; une semaine plus tôt c'était Fabrice Luchini : on ne se sent plus en sécurité nulle part !

    *

    Toutes cette poudre au yeux, cette réclame, ce fétichisme, ce gaspillage, cette superstition, ces effets d'annonce, toute cette campagne présidentielle, je croyais que c'était ça qui me déterminait à me passionner en ce moment pour des sujets sérieux comme la poésie, les sciences - l'évolution des êtres vivants et des sociétés, par exemple ; et puis tout à coup une autre cause évidente m'a sauté aux yeux… le 11 avril 2007, la veille de consulter un ouvrage de référence sur la théorie de la sélection de parentèle d'Hamilton (quand on pense qu'il y a des crétins qui lisent Luc Ferry, BHL ou Finkielkraut…), j'ai emprunté à contresens la rue Darwin pour déboucher dans la rue Lamarck afin de me rendre chez un ami. Je m'en suis aperçu seulement en essayant ensuite de retrouver dans les pages jaunes de l'annuaire l'adresse de mon pote afin de le remercier de m'avoir prêté pour me remonter le moral un recueil d'excellentes nouvelles d'Alphonse Allais (quand on pense qu'il y a des crétins qui lisent Kant, Nitche ou Heidegger…).

    *

    Le déterminisme de notre "Candide à la présidentielle", Nicolas Sarkozy, lui, s'apparente fort à la "méthode Coué" ; on pourrait parler aussi d'"autodétermination" ; Sarkozy en son for prie pour qu'il existe une recette pour être élu et pour n'avoir oublié aucun des ingrédients de la recette-miracle. Il doute peu en revanche d'être né pour finir à l'Élysée.
    Oh, j'espère qu'il a songé à mettre un cierge à Notre-Dame ! Ça ne coûte rien… Vu son éducation, Ségolène, elle, l'a sûrement fait (on peut faire faire ça par un commissionnaire discret.)
    « Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Nicolas, que ta philosophie ne peut en rêver ! »

    *

    Ah, humain, je reste trop humain pour ne pas verser malgré tout dans la futilité et les ragots ! En feuilletant un bouquin d'Anne Wiazemski, j'apprends que Robert Bresson n'était qu'un vieux pervers libidineux ; ce n'est pas un vrai "scoop" vu qu'on ne saurait être un grand cinéaste à moins.