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traduction

  • Veille de l'Archer

    "Quand j'ai vu par la main cruelle du temps mutiler les trésors fastueux d'âges révolus et enterrés,

    Quand je vois qu'on abat des tours jadis altières, et l'éternité d'airain en proie à un cancer mortel ;

    Quand j'ai vu l'Océan vorace grignoter le Royaume de la terre,

    Et le marécage s'étendre sur le terroir ferme, l'abondance s'augmentant des pertes, et les pertes s'augmentant des provisions,

    Quand j'ai vu une telle inversion des pôles, jusqu'à l'Etat lui-même réduit à la décadence...

    La ruine m'a conduit à ressasser ceci : que le Temps viendra et m'enlèvera mon amour,

    Songe semblable à une mort, une pleurnicherie pusillanime pour obtenir ce que le songe lui-même fait redouter de perdre."

     

    W. Shakespeare, sonnet n°64 (trad. Lapinos) ; sonnet à rapprocher de "Hamlet", acte II, scène 1 : "To be or not to be..."

    Que ma traduction sans mesure ni rythme, opposée à d'autres, traduise correctement ou pas la pensée de l'auteur, les sonnets de Shakespeare et son intention didactique manifeste posent le problème de l'ambiguïté de la poésie, qui hésite entre deux formes d'abstraction contraires, deux idées de l'art universel opposées, qu'on ne peut pas traduire de conserve. De quelle façon l'unité peut être ce qui divise ?

    Shakespeare a-t-il voulu seulement charmer l'oreille de son auditoire ou allumer dans son coeur une flamme révolutionnaire ? Ou bien les deux en même temps ? Qu'est-ce qui prime ?

    Le genre poétique correspond assez à ce que François Bacon baptise "instance de la croix", c'est-à-dire le carrefour où les chemins se séparent en directions opposées (in : "Novum Organum")

    Compte tenu de la manière très chrétienne dont Shakespeare arrache son masque au temps tout au long de son oeuvre, comme un penseur matérialiste ; compte tenu de ce que les vers doivent à l'écoulement des heures, on peut honnêtement penser que la versification et l'harmonie ne sont pas le premier mobile de Shakespeare, plus près de vouloir retourner contre le diable ses propres armes, arc contre arc, flèche contre flèche.