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sonnet

  • Lire Shakespeare

    Une énième traduction des sonnets de Shakespeare vient de paraître. Gare aux traducteurs, il y a 90% de traîtres parmi eux.

    Le dernier en date, arrogant connard sortis de l'université, commence par dire que Shakespeare n'est pas chrétien, alors qu'il ne connaît le christianisme que par ouï-dire ou par la démocratie-chrétienne, cette putain de charogne. Ce genre d'abruti ferait bien de laisser Shakespeare en paix et d'écouter du Bach ou du Mozart, je ne sais trop quel acolyte de Satan du même genre.

    A ceux qui veulent lire les sonnets de Shakespeare en français, je conseille la traduction de François-Victor Hugo, inégalée à ce jour, et qui le restera sans doute à jamais, en raison du déclin de l'esprit français.



  • Veille de l'Archer

    "Quand j'ai vu par la main cruelle du temps mutiler les trésors fastueux d'âges révolus et enterrés,

    Quand je vois qu'on abat des tours jadis altières, et l'éternité d'airain en proie à un cancer mortel ;

    Quand j'ai vu l'Océan vorace grignoter le Royaume de la terre,

    Et le marécage s'étendre sur le terroir ferme, l'abondance s'augmentant des pertes, et les pertes s'augmentant des provisions,

    Quand j'ai vu une telle inversion des pôles, jusqu'à l'Etat lui-même réduit à la décadence...

    La ruine m'a conduit à ressasser ceci : que le Temps viendra et m'enlèvera mon amour,

    Songe semblable à une mort, une pleurnicherie pusillanime pour obtenir ce que le songe lui-même fait redouter de perdre."

     

    W. Shakespeare, sonnet n°64 (trad. Lapinos) ; sonnet à rapprocher de "Hamlet", acte II, scène 1 : "To be or not to be..."

    Que ma traduction sans mesure ni rythme, opposée à d'autres, traduise correctement ou pas la pensée de l'auteur, les sonnets de Shakespeare et son intention didactique manifeste posent le problème de l'ambiguïté de la poésie, qui hésite entre deux formes d'abstraction contraires, deux idées de l'art universel opposées, qu'on ne peut pas traduire de conserve. De quelle façon l'unité peut être ce qui divise ?

    Shakespeare a-t-il voulu seulement charmer l'oreille de son auditoire ou allumer dans son coeur une flamme révolutionnaire ? Ou bien les deux en même temps ? Qu'est-ce qui prime ?

    Le genre poétique correspond assez à ce que François Bacon baptise "instance de la croix", c'est-à-dire le carrefour où les chemins se séparent en directions opposées (in : "Novum Organum")

    Compte tenu de la manière très chrétienne dont Shakespeare arrache son masque au temps tout au long de son oeuvre, comme un penseur matérialiste ; compte tenu de ce que les vers doivent à l'écoulement des heures, on peut honnêtement penser que la versification et l'harmonie ne sont pas le premier mobile de Shakespeare, plus près de vouloir retourner contre le diable ses propres armes, arc contre arc, flèche contre flèche.

  • Tranchant double

    "Mon oeil joue le peintre et place la substance de Votre beauté dans le tableau de mon coeur ;

    Mon corps est comme un cadre qui l'englobe.

    Que la perspective soit l'art du meilleur peintre,

    A travers laquelle on pourra reconnaître le talent du peintre

    A trouver où Votre véritable dessein gît,

    Latent dans mon théâtre,

    Dont les croisées sont pourvues du vitrail de Vos yeux.

    Maintenant voyons quelles bonnes révolutions "yeux pour yeux" a donné :

    Mes yeux ont peint Votre forme et Vos yeux sont pour moi les fenêtres

    De mon for, par lesquelles, réjouissant dès l'aube, le soleil mène à Vous contempler jusqu'au milieu ;

    Jusqu'à présent les yeux habiles, avides de gloire,

    Peignent -mais les seules apparences-, ignorant le coeur."

    W. Shakespeare, Sonnet 24 (trad. Lapinos)

    La difficulté à traduire Shakespeare tient à ce que son art participe de la vision et d'une science exacte des corps animés et inanimés. La langue anglaise de Shakespeare, souple et peu conventionnelle à l'instar de la langue grecque d'Aristote, se prête mieux à la peinture qu'aux litanies funèbres ; à l'érotisme de la science plutôt qu'au sado-masochisme sentimental (Que le thème du poème "Le Phénix et la Colombe" soit romantique est peu probable étant donné la requalification des sentiments amoureux par Shakespeare en prurit de la politique - et vu que le phénix est dans l'esprit de Shakespeare un oiseau démoniaque. François Hugo a fait une effort louable pour ne pas donner dans la guimauve et la traduction hystérique qui conduit à voir des pédérastes partout dans l'oeuvre de S. Mais l'oeuvre de Shakespeare recèle une métaphysique encore plus cohérente que celle que François Hugo dévoile partiellement.)

    Donc la langue de Shakespeare ne se lit pas de gauche à droite, elle est faite pour provoquer l'imagination et l'intelligence comme le dessin, non la rêverie. C'est la raison pour laquelle, faute d'un outil adéquat, le théâtre français ne parvient jamais à retrouver comme Shakespeare la formule apocalyptique des tragédiens grecs, même si Molière exploite dans son "Festin de pierre" le thème de la double face du diable (Don Juan-le séducteur/Sganarelle-le dévôt) cher à Shakespeare. Sans oublier que, question d'anticléricalisme, Shakespeare n'est pas en reste sur Dante Alighieri.

    *

    Plus moderne que l'allemand, le français l'est moins que l'anglais. Peut-on ainsi vraiment aimer Montaigne ET Shakespeare ? A moins de préférer les momies aux êtres de chair comme Proust, cela paraît difficile. Il faut choisir.

    Etant donné la profession de foi géocentrique d'Hamlet, l'importance de la forme sphérique en peinture à la Renaissance, les pièces de Shakespeare étant représentées en outre au théâtre du "Globe", je discerne un clin d'oeil au coeur du sonnet 24. Où j'ai mis "théâtre", un autre traduit par "échoppe", faisant référence à l'atelier du peintre. Je ne crois pas tant personnellement que Shakespeare file la métaphore du peintre de bout en bout mais qu'il révèle plutôt le secret de son théâtre et qu'il est, d'une manière différente de Christophe Colomb, lui aussi un "révélateur du globe".

    Et Miranda dans "La Tempête" :

    - O, wonder!

    How many goodly creatures are there here!

    How beauteous mankind is!

    O brave new world

    Thas has such people in't! Et Prospéro son mage de père de répondre :

    - Tis new to thee.

    "Brave new world" : cette expression reprise par A. Huxley comme titre de son (médiocre) "best-seller" a été justement interprétée comme une allusion au "Nouveau Monde" découvert par Christophe Colomb. Précisément ce monde n'était pas neuf pour François Bacon, auteur de la "Nouvelle Atlantide" et plein d'éloge pour la "sagesse des anciens". Bacon tient que l'Atlantide a réellement existé, et croit dans la valeur historique du témoignage de Solon dans le "Timée" de Platon ; Bacon passe même par le mythe des Atlantes pour expliquer le peuplement de l'Amérique (à noter que les vestiges d'une cité engloutie ont été découverts au large de Cuba où Bacon situe le territoire des Atlantes.

    *

    Il ne faut pas entendre "perspective" ici au sens que lui donnent parfois les muséographes et les archéologues allemands, qui correspond plutôt à la peinture académique et plate de Vermeer, non pas à la peinture de la Renaissance dans laquelle la "perspective" -au sens contemporain- joue un rôle secondaire d'effet spécial dans les grandes compositions ; perspective si secondaire que dans son architecture même, Michel-Ange s'en soucie peu, et lorsqu'il s'en préoccupe, c'est en tant qu'illusion d'optique, pour en jouer ou bien atténuer ses effets. L'idée de la perspective aujourd'hui est inspirée du BTP et des cabinets d'architecture et ne correspond en rien à la mentalité du peintre de la Renaissance.

    Sonnet 24 à rapprocher du "Novum Organum" de François Bacon (aphorisme 9, Livre II) :

    "(...) Ainsi la recherche des formes qui (par leur nature assurément et conformément à leur loi propre) sont éternelles et immobiles, constituera la métaphysique ; la recherche de la cause efficiente, de la matière, du progrès latent, du schématisme latent (toutes choses qui concernent le cours commun et ordinaire de la nature et non les lois fondamentales et éternelles), constituera la physique. Et on leur subordonnera respectivement une science pratique : à la physique, la mécanique ; à la métaphysique la magie (le mot étant épuré), que je nomme ainsi en considération de la largeur de ses voies et de son plus grand empire sur la nature."

    L'empirisme n'est pas ici, on le voit, l'empirisme néo-pythagoricien Galilée ou Descartes, Newton, dont beaucoup d'expériences sont entièrement théoriques, comme les prétendues expériences de Galilée sur la tour de Pise, complètement fantaisistes, ou sa balistique ridicule fondée sur des boulets lancés dans des gouttières ; l'expérience prônée par Bacon est ancestrale et n'a rien à voir avec le gadget technique ou balistique, les conventions algébriques ésotériques de Huygens ou Descartes. L'orgueil laïc est tel qu'au lieu d'écarter carrément Bacon, ce que la place qu'il accorde à la magie par rapport à la physique ou la mécanique oblige n'importe quel commentateur honnête à faire, ou de réserver un traitement à part à Bacon dans l'histoire des sciences, il est NECESSAIRE dans la religion laïque que Bacon soit le père de la science moderne, contre la lettre même de sa démarche scientifique.