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Idylle contemporaine

C'était à la Poste de la Rue des Saints-Pères, mardi, vers onze heures ; j'examinais avec attention une jeune femme - à peine, une fillette ! -, dans la queue : une brune un peu joufflue, l’air sensuel d'une gourmande au régime qui se retient de toutes ses forces de grossir et ses yeux brillent ; avec ça une paire de jambes bien droites, sculpturales, de loin le meilleur morceau.
Et je faisais complètement abstraction du fait que cette fillette était dotée de la capacité de raisonner et de s'exprimer, quand elle a rompu la file, s'est approchée de moi et m'a dit en face :
« - Hey, ça fait bien dix minutes que tu me dévisages, toi… T'as qu'à m’épouser maintenant ! »

Malgré tout le sang-froid qu'on m'a inculqué (chez les boy-scouts, notamment), je crois que j'ai quand même eu l'air surpris. Ces derniers temps, la presse n'a pas manqué de se faire l'écho d'un regain d'enthousiasme pour le mariage, mais comme je prends tout ce que disent les journalistes pour du bluff, j'avais négligé cette information.
L'effet de surprise passé, j'ai donné mon consentement, sans même m'enquérir du pedigree de cette demoiselle, putain ou pucelle ?, grande noblesse ou petite bourgeoisie ?, rien, pas même son prénom.
Je n'ai pas voulu passer pour une mauviette à la Poste. Pour reprendre l'initiative, j'ai même suggéré qu'on passe à l'acte sans plus tarder ; le temps de poster ma lettre, trouver un hôtel, et je serais à elle !

Tout se passait bien suivant ce plan dont la simplicité me séduisait de plus en plus, hormis l'intervention d'un nain grincheux derrière moi, le sosie de Pascal Sevran, qui, trouvant que je ne me précipitais pas assez vite vers le guichet qui venait de se libérer, m'a houspillé en zozotant. Je m'apprêtais donc à entamer ma lune de miel, pas la toute première mais presque, lorsque j'ai commis une gaffe… La guichetière était une jolie blonde un peu frisée. Elles ne sont pas toutes comme ça. Je lui ai rendu son sourire un peu triste (On le serait à moins, affronter de vieux luths comme Pascal Sevran toute la journée, ça ne doit pas être une sinécure !).

J'en ai trop fait, peut-être ? Difficile à dire… Toujours est-il que lorque j'ai voulu tirer ma nouvelle fiancée par la manche en direction de l'Hôtel du Pas-de-Calais, elle s'est dégagée vivement :
« Tu crois que j'ai pas vu le clin-d'œil que tu viens de lancer à cette pétasse ? Puique c'est comme ça, je préfère casser tout de suite ! »

En la regardant s'éloigner, d'un pas qui mettait en valeur ses jambes que je n'ai pas oubliées, j'étais déçu, bien sûr. Mais pour me réconforter je me disais qu'avec ces jeunes filles modernes, c'est fou ce qu'on économise comme argent et comme temps, quand même…

NDLA : Cette demi-nouvelle est une sorte d'hommage maladroit à au moins quatre écrivains à la fois, si vous n'avez que ça à faire, retrouvez lesquels. Un indice : ils sont tous morts.

Commentaires

  • Herman Melville, Henry James, Mark Twain, Raymond Chandler.
    J'ai bon ?

  • "maladroit", c'est le mot juste.

  • @ Tlön : Bien vu. Je crois aussi distinguer une touche de Jack London (entre "Martin Eden" et "Les Vagabons du rail"). Qu'en pensez-vous ?

  • "... cette fillette était dotée de la capacité de raisonner et de s'exprimer" : à force de voir et d'entendre la madone des bergeries, on finit par s'étonner qu'une personne du sexe puisse parler clairement et faire preuve de "bon sens rassis".

  • T'es sûr que tu n'as pas croisé Fifi Brindacier ?

  • Lapin épouse moi et je deviens catho tt de suite, j'apprendrai à préparer du boudin blanc..

  • Rien à faire, cette fille-là n'est pas de notre temps, disons jusqu'à Louis XIV mais pas plus loin.

  • Je suis assez étonné qu'on puisse encorre me soupçonner de vouloir rendre un hommage, même maladroit, à Henry James, à qui je ne dois qu'un décrochement de mâchoire. Twain c'est mieux me deviner, mais non, c'est Hermann Bose et son Till Eulenspiegel que j'avais derrière la tête.

    (Comment as-tu deviné que je raffole du boudin blanc, Gretel ? Avec une purée grossière de pommes de terre, mélangée à de l'aïoli, le tout arrosé de jus de viande.)

  • Bah, une amie auvergnate en raffole justement..me suis dis que ça devait être idem pour toi

    P.S:g lu tout récement un bouquin de Boris Vian...splendide!!

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