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En avoir ou pas

Avant que Me X. Serre-Pollet ne soit publiquement et unanimement reconnu du grand public grâce à l’affaire du “serial killer” Henri Bienfourny, les effractions de clôtures, conflits de garde d’enfant et autres attentats à la pudeur avaient été le pain quotidien du jeune avocat. Il avait ainsi rongé son frein au barreau de Nantes pendant dix longues années - le temps pour son physique de jeune premier de s’affermir et pour ses effets de manche de gagner en crédibilité.

Grâce à un maton de la centrale de Nantes, ex-copain de promo, Serre-Pollet avait pu approcher Bienfourny dans sa cellule et le convaincre de le choisir, lui, plutôt qu’une célébrité comme Me Mollard. Puis il n’avait pas déçu son client, lui trouvant même des circonstances atténuantes inattendues en fouillant un peu dans son passé.
En 2001 et 2002 en effet, Bienfourny avait été bénévole à la Banque alimentaire, avant d’en être chassé pour apologie de crime contre l’humanité. Un matin qu’il était seul présent pour la distribution des invendus du Centre Leclerc de la Beaujoire aux chômeurs du quartier, Marcel avait effectué toute la distribution avec un brassard frappé d’une croix gammée qu’il s’était procuré sur internet.
L’habileté de Me Serre-Pollet fut de passer sous silence cet incident, ce geste aussi inexcusable qu’inexplicable, mais d’émouvoir cependant le jury avec l’engagement de son client dans cette cause humanitaire.
Bienfourny évita d’écoper d’une incompressibilité aussi oiseuse qu’humiliante. Et vu qu’il avait quand même fait sept victimes, c’était une issue inespérée.

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Selon le rapport de l’expert-psychiatre, le schéma criminel du “serial killer” Bienfourny le poussait à s’attaquer à de jeunes filles au pair danoises, qu’il séquestrait dans un vieux “blockhaus” de la côte Atlantique, théâtre de ses jeux de môme, puis de ses ébats amoureux d’ado ; ça durait quelques jours au cours desquels Bienfourny violait sa proie à plusieurs occasions avant de la noyer une nuit de pleine lune et de grande marée, et cela systématiquement, même si on comptait aussi une femme de ménage portuguaise de quarante-deux ans dans la série.

L’extraordinaire perversité des crimes sexuels de Bienfourny auraient dû lui valoir le dégoût et la haine bien mérités des médias et des téléspectateurs, mais, curieusement, cette haine se focalisa sur son avocat.
Etait-ce l’air insolent de Me Serre-Pollet ? Sa façon désinvolte de répondre aux questions des journalistes par-dessus la jambe et en mimant le geste de se dépoussiérer les ongles ? Toujours est-il que Serre-Pollet ne put bientôt plus poser les pieds sur un plateau de télévision sans être hué dans tout l’Hexagone, de Lille à Marseille et de Brest à Strasbourg. Hélas sans que cette désapprobation générale n’incite le moins du monde le cynique avocat à se remettre en question.

Même lorsque Bienfourny fit paraître, après six mois d’emprisonnement seulement, un livre de confessions intimes intitulé - Morale du Tueur en série -, le scandale rejaillit sur son avocat, qu’on accusa d’avoir servi d’intermédiaire entre les éditions du “Gallinacée” et son ex-client. Me Serre-Pollet eut beau se défendre en jurant ses grands dieux qu’il n’avait jamais acheté un livre neuf de sa vie, et surtout pas un livre publié par le “Gallinacée”, il ne fut pas cru.

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La mobilisation médiatique et l’indignation des Français autour de l’affaire Bienfourny étaient à peine retombées qu’éclatait à son tour le scandale de la chapelle Saint-Brandon. Un couple d’étudiants à la fac de Droit de Brest, Erwan Marcheznouar et Clémentine Legazoal, après avoir célébré une messe noire dans la chapelle Saint-Brandon, petit joyau d’art gothique des XIIIe-XIVe siècle, qui justifiait largement l’afflux de touristes venu chaque été pour la visiter, le jeune couple avait entièrement recouvert le monument classé d’inscriptions sataniques rose fluo, avant d’y mettre le feu en enflammant un bidon d’essence.

On ne sera pas étonné que Me Serre-Pollet saute dans le premier train en partance pour Brest afin de proposer ses services à Clémentine et à Erwan. Compte tenu du succès de Serre-Pollet dans la délicate affaire Bienfourny et de la maigreur de leurs comptes en banques à l’un et à l’autre, les prévenus acceptèrent sans hésiter ses services.
Me Serre-Pollet n’était pas de ces avocats qui conseillent à leurs clients de plaider coupable, comme en témoignent les larges extraits de sa plaidoirie reproduits dans un numéro spécial illustré de Ouest-France consacré à l’affaire des “Diaboliques de Tréguenon” :

« Mesdames et Messieurs, Mesdemoiselles les Jurés, cher public… Sommes-nous, oui ou non, dans un régime authentiquement laïc et républicain ? Oui, en vérité, je vous le demande, la laïcité est-elle toujours le meilleur rempart contre la superstition et les croyances ésotériques de religions qui remontent jusqu’au Moyen-âge ?
Au nom des seuls intérêts touristiques d’un canton, d’un département ou même d’une région, qui disposent par ailleurs d’une vue unique sur le large, faut-il reléguer les principes les plus sacrés à un rôle de figuration ? Les Droits de l’Homme à bénéficier d’une éducation entièrement dépourvue de préjugés religieux… ces droits inaliénables, en vertu de quoi devraient-ils demeurer virtuel pour celui qui vit dans l’ombre d’une chapelle et dans l’écho de son carillon dominical ? Comment opposer demain ce droit aux jeunes barbus fanatiques de l’Islam, qui réclameront de vos filles qu’elles soient vierges, si on ne le fait pas respecter hic et nunc !? Comment ??

« (…) Ce que l’Etat n’ose pas faire, afin de ménager une certaine frange de la population qui vit encore dans les mythes du passé, Clémentine et Erwan n’ont-ils pas eu, eux, au contraire le courage de l’accomplir, malgré le vent, malgré les flammes, et malgré le vent qui soufflait sur les flammes, nous renvoyant ainsi à nos petites lâchetés quotidiennes ?

A titre personnel, permettez-moi d’exprimer une opinion : il y a toujours eu une petite frange d’esprits réactionnaires tournés vers le passé obscurantiste de notre pays, freinant des quatre fers comme des brutes. Les mutations nécessaires au progrès, s’il avait fallu attendre l’assentiment de cette minorité de fanatiques, n’auraient jamais eu lieu. Ce n’est que mon sentiment, bien sûr, mais je voulais vous le faire partager.

« (…) Permettez-moi donc, Mesdames et Messieurs, et Mesdemoiselles les Juré(e)s, de rendre hommage à la foi sincère de Clémentine et Erwan dans l’avenir de la laïcité. Au moins on peut dire qu’ils n’ont pas renié les principes qui leur furent enseignés il y a quinze ans à l’école communale Yves Coppens de Kerguenon où ils effectuèrent leur maternelle, côte-à-côte, déjà.

D’ici dix, quinze, vingt ans, il n’est pas dit que le conseil municipal de Kerguenon - gardons-nous d’insulter l’avenir ! -, que ce conseil ne décide de baptiser une rue du nom composé de ce jeune couple de pionniers laïcs ici présent, sous vos yeux, dans le boxe des accusés. Souvenez-vous de l’affaire Dreyfus : il en a fallu du temps !
En attentant, Mesdames et Messieurs, Mesdemoiselles les Jurés, je réclame pour mes clients Clémentine et Erwan l’acquittement pur et simple ! »


Un tonnerre d’applaudissement suivit cette plaidoirie où Me Serre-Pollet avait mis, outre ses arguments, tout son cœur et tout son allant. Comme leur avocat le leur avait recommandé, Erwan et Clémentine n’ajoutèrent pas un mot, se contentant de regarder le Président du Tribunal droit dans les yeux sans ciller.

Un arrêt de non-lieu fut d'abord rendu. Mais le syndicat d’initiative, ainsi que la municipalité, ayant demandé et obtenu un procès en révision, firent venir un avocat de Paris. Celui-ci argua du distinguo entre une saine “laïcité” qui ne nuit à personne, pas même au patrimoine immobilier, et le “laïcisme”, dérive dangereuse du droit qui entraîne les individus à se croire détenteurs d’un principe supérieur ; pire : à ne pas dissocier la forme du fond et à se priver par conséquent de la principale ressource du droit civil laïc !
Le premier jugement fut cassé, Erwan et Clémentine finalement condamnés à un euro de dommages-intérêts et à ne plus s’approcher des édifices religieux du département à moins de cinquante mètres.

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