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La Sagesse contre le Capital

"Ne courez pas après la mort par les égarements de votre vie ; et n'attirez pas sur vous la perdition par les oeuvres de vos mains.

Car Dieu n'a pas fait la mort, et il n'éprouve pas de joie de la perte des vivants.

Il a créé toutes choses pour la vie ; les créatures du monde sont salutaires ; il n'y a en elles aucun principe de destruction, et la mort n'a pas d'empire sur la terre.

Car la justice est immortelle.

Mais les impies appellent la mort du geste et de la voix ; la regardant comme une amie, ils se passionnent pour elle, ils font alliance avec elle, et ils sont dignes, en effet, de lui appartenir.

Ils se sont dit, raisonnant de travers : "Il est court et triste le temps de notre vie, et, quand vient la fin d'un homme, il n'y a point de remède ; on ne connaît personne qui délivre du séjour des morts.

Le hasard nous a amenés à l'existence, et, après cette vie, nous serons comme si nous n'avions jamais été ; le souffle, dans nos narines, est une fumée, et la pensée une étincelle qui jaillit au battement de notre coeur. Qu'elle s'éteigne, notre corps tombera en cendres, et l'esprit se dissipera comme l'air léger.

Notre nom tombera dans l'oubli avec le temps, et personnes ne se souviendra de nos oeuvres. Notre vie passera comme une trace de nuée ; elle se dissipera comme un brouillard, qui chassent les rayons du soleil, et que la chaleur condense en pluie.

Notre vie est le passage d'une ombre ; sa fin est sans retour, le sceau est apposé et nul ne revient.

"Venez donc, jouissons des biens présents ; usons donc des créatures avec l'ardeur de la jeunesse, enivrons-nous de vin précieux et de parfums, et ne laissons point passer la fleur du printemps.

Couronnons-nous de boutons de roses avant qu'ils ne se flétrissent.

Qu'aucun de nous ne manque à nos orgies, laissons partout des traces de nos réjouissances ; et c'est là notre part, c'est là notre destinée.

"Opprimons le juste qui est pauvre ; n'épargnons pas la veuve, et n'ayons nul égard pour les cheveux blancs du vieillard chargé d'années.

Que notre force soit la loi de la justice ; ce qui est faible n'est jugé bon à rien.

Traquons donc le juste, puisqu'il nous incommode, qu'il est contraire à notre manière d'agir, qu'il nous reproche de violer la loi, et nous accuse de démentir notre éducation.

Il prétend posséder la connaissance de Dieu, et se nomme fils du Seigneur.

Il est pour nous la condamnation de nos pensées, sa vue seule nous est insupportable ; car sa vie ne ressemble pas à celle des autres, et ses voies sont étranges. Dans sa pensée, nous sommes d'impures scories, il évite notre manière de vivre comme une souillure ; il proclame heureux le sort final des justes, et se vante d'avoir Dieu pour père.

Voyons donc si ce qu'il dit est vrai, et examinons ce qui lui arrivera au sortir de cette vie.

Car si le juste est fils de Dieu, Dieu prendra sa défense, et le délivrera de la main de ses adversaires.

Soumettons-le aux outrages et aux tourments, afin de connaître sa résignation, et de juger sa patience.

Condamnons-le à une mort honteuse, car, selon qu'il le dit, Dieu aura souci de lui."

Telles sont leurs pensées, mais ils se trompent ; leur malice les a aveuglés.

Ignorant les desseins secrets de Dieu, ils n'espèrent pas de rémunération pour la sainteté, et ils ne croient pas à la récompense des esprits purs.

Car Dieu a créé l'homme pour l'immortalité, et il l'a fait à l'image de sa propre nature.

C'est par l'envie du diable que la mort est venue dans le monde ; ils en feront l'expérience, ceux qui lui appartiennent."

Livre de la Sagesse de Salomon, I,II.

On trouve ici, de la part de Salomon, la plus belle analyse de la psychologie païenne, qui n'a pas varié à travers les âges. On pense bien sûr aux Romains qui, vénérant la mort comme une déesse, sont curieux de voir comment le Christ va s'extraire de ses griffes. On peut reconnaître l'emprunt de Shakespeare ou François Bacon Verulam à Salomon, non seulement dans les sonnets de Shakespeare qui répondent au Cantique des Cantiques du même sage, mais aussi dans la fameuse tirade de Hamlet "To be or not to be", où celui-ci remet en question la morale médiévale (dite aujourd'hui "existentialiste"), qui consiste contre toute sagesse à prendre sa vie à l'envers, c'est-à-dire à ordonner sa conduite en fonction de sa fin. J'en profite pour souligner le quasi-analphabétisme des crétins romantiques, Stendhal en tête, qui ont traité Shakespeare d'auteur romantique.

François Bacon ne s'est pas contenté de la sagesse de Salomon, puisqu'il a décelé aussi dans la sagesse et l'art grec un effort pour atteindre l'immortalité, une mythologie rejoignant la sagesse juive ou chrétienne qui consiste à voir dans la mort le produit d'une volonté humaine mal orientée par les efforts conjugués des sciences morales et politiques qui visent la seule organisation.

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