Quelques minutes d'antenne consacrées par "Europe 1" à l'enfer, au paradis et au purgatoire. La trêve estivale paraît l'occasion pour cette station de se pencher sur les sujets les plus futiles, puisque l'émission du lendemain fut dédiée aux ovnis.
"Experts" invités : Odon Vallet, l'abbé La Morandais, Michel Legrain, Malek Chebel, etc.
Résumé : un beau bordel cacophonique, d'où jaillissait de temps à autre une saillie du père Morandais. Celui-ci a pigé depuis longtemps - petit malin égaré dans une religion où on ne rencontre guère plus que des butors -, que les médias ne tolèrent l'intelligence que sous la forme de l'humour (à l'instar des régimes totalitaires).
- La section du purgatoire fut plutôt délaissée, bien qu'elle occupe dans l'histoire de la bourgeoisie ou du libéralisme une place décisive. L'Eglise romaine a décidé récemment de "blanchir" Luther, mais elle passe sous silence le combat de ce théologien contre le purgatoire et les spéculations des marchands allemands.
- Je note qu'Odon Vallet est l'auteur d'un bouquin qui vise à combattre les idées reçues sur les religions, bien qu'il ne se gêne pas pour en répandre lui-même, laissant passer l'énormité de son compère Legrain selon laquelle la foi dans le diable ne serait pas un trait caractéristique du christianisme, alors même que c'est un des points où la différence est la plus nette avec le judaïsme, qui renverse l'ordre naturel ou moral païen (égyptien ou romain) de façon moins catégorique (hormis le cas du prophète Daniel, auquel Shakespeare fait référence pour dénoncer la collusion du pouvoir politique avec les autorités de l'Eglise catholique).
Essayons d'être plus clair que ces spécialistes. Au préalable, signalons que dans le christianisme les seuls "experts", spécialistes des questions morales, sont les Pharisiens, les plus éloignés en somme de la vérité, ancêtres de nos intellectuels. On peut mieux le comprendre par le fait que l'équivalence est posée dans le christianisme entre la connaissance et l'amour. Le Christ est non seulement fidèle à l'amour de son père, mais omniscient. C'est d'ailleurs ce qui explique que la foi n'est pas une préoccupation centrale dans le christianisme, comme elle fut auparavant dans certaines religions païennes. Le peintre Michel-Ange a bien cerné le christianisme dans cette formule synthétique : "On aime bien que ce que l'on voit bien."
- N'étant pas préoccupé de la question de la foi, mais de celle du salut, on pourrait s'attendre à ce que la question de l'enfer et du paradis occupe la première place dans le christianisme ; mais il n'en est rien. Le Christ en parle très peu. Il ne ressuscite pas dans l'au-delà, mais à la vue de ses apôtres. Rien n'indique qu'il faille situer les peintures du jugement dernier dans l'au-delà. Certains peintres comme J. Bosch montrent même carrément qu'il n'y a rien de plus actuel que l'enfer. Cette vision on ne peut plus réaliste a toutes les chances de rencontrer l'assentiment des opprimés. Elle n'est pas non plus si éloignée de la boutade (un peu éculée) qui consiste à décrire le paradis comme une morne plaine, boutade qui trahit l'attachement à un présent délicieux.
Plus réaliste, la Renaissance a donc logiquement renoué avec l'eschatologie et l'apocalypse, renvoyant les doctrines médiévales, teintées de paganisme ou d'animisme, aux calendes grecques (ou plutôt "romaines", étant donné qu'on trouve déjà chez Homère une sorte de pamphlet contre l'au-delà et les espérances déçues d'Achille, surprenant pas sa précocité).
J'ouvre une petite parenthèse : sans développer ici cet argument, on peut voir dans le rattachement parfaitement ésotérique de la doctrine catholique romaine à Thomas d'Aquin (ésotérique en premier lieu parce que personne ou presque ne lit cet auteur) une manière d'accommoder le catholicisme avec les préjugés libéraux dominants, qui pour la plupart ne font que réactualiser les préjugés en vigueur au moyen âge, à commencer par l'utopie funeste des "soldats de la paix", inventée sans doute par Thomas d'Aquin avec les meilleures intentions du monde, mais dont on connaît les suites largement catastrophiques, en particulier le blanc-seing moral donné à des opérations purement stratégiques.
Du débat entre les experts d'"Europe 1" je n'ai rien retenu, si ce n'est la définition de certaines conceptions antiques de l'au-delà, paradis ou enfer, parfois les deux imbriqués, comme des conceptions de nature "topographiques". Si ces conceptions ont perduré jusqu'au moyen âge, voire plus tard (chez le très archaïque Galilée, notamment, probablement sous l'influence d'autres spéculations mathématiques), elles sont typiquement païennes. La meilleure illustration est la religion égyptienne, fondée sur la géométrie. Elle traduit l'incapacité des régimes théocratiques à penser en dehors de l'espace et du temps, jusqu'à prêter à dieu lui-même les pouvoirs d'un architecte (sans doute la meilleure façon pour l'homme de s'approprier le pouvoir divin, ou de le reproduire par homothétie).
Comme quoi les vieilles hypothèses religieuses archaïques ont la peau dure, on peut observer qu'elles ont donné récemment le nirvana national-socialiste et son projet d'élever jusqu'au ciel, non seulement un pharaon ou une pharaonne, mais toute la race bourgeoise allemande ; perspective assez rapidement rentrée sous terre. Plus récemment, l'idéologie du gouvernement mondial, au caractère géodésique total, le globe terrestre bien quadrillé devenant une sorte d'Eden assisté par ordinateur, centré sur les augustes personnes de quelques "décideurs" multi-compétents. Toutes les utopies à caractère éthique ou moral, en somme.
Commentaires
"On aime bien que ce que l'on voit bien." Peut-être qu'une traduction plus conforme au siècle où Michel-Ange s'est exprimé mettrait la négation "ne" : On n'aime bien que...
Mais quel plaisir de pouvoir recommencer à lire de longs articles sur votre blog. Formule géniale : "Le globe terrestre bien quadrillé devenant une sorte d'Eden assisté par ordinateur"...