L'art ou la science capitaliste, en tant qu'ils servent à justifier la technocratie, se mordent la queue ; c'est-à-dire qu'ils n'ont d'autre but ou fin qu'eux-mêmes, et non le progrès. On aura beau pousser la copie de la nature, en quoi consistent l'art et la science technocratiques, au degré le plus élevé de précision et de puissance, la nature procréatrice et destructrice demeurera dans cet ordre, auquel l'idéologie de la civilisation se soumet, la plus grande et la plus belle, et l'art humain un artifice somme toute dérisoire. L'artiste à bout de souffle pourra alors, dépité, comme le poète Néron proclamer : "Vanité des vanités, tout n'est que vanité et poursuite du temps.". Dans l'ordre de la science et de l'art technocratiques, comme dans celui de la procréation, tel est le cas.
L'esthétique nationale-socialiste, résumée dans cette devise : "Ordo ab chaos.", est irrémédiablement entraînée vers le chaos et la folie dont elle croyait pouvoir triompher. Par exemple : la science juridique, obsession des technocrates, fait faillite dans la morale pure, qui occulte la vocation pratique du droit et la noie dans toutes sortes d'illusions. La publicité commerciale s'inscrit exactement dans la même perspective, en s'efforçant d'augmenter les biens de consommation d'une valeur mystique qu'ils n'ont pas. Derrière l'argument de la morale pure et de l'hédonisme nitchéens, c'est l'esprit de sacrifice inutile qui est inculqué au peuple, sans compter le mépris de lui-même et l'admiration pour une élite carnassière, d'anthropologues-anthropophages. Quelle plus belle preuve que la proscription de Céline et Marx par l'élite républicaine, au profit de la mélasse existentialiste boche. Céline et Marx qui s'adressent au peuple pour lui dire qu'il ne jourra jamais dans la civilisation un autre rôle que celui de Sganarelle auprès de Don Juan.
La modernité, dont le principal moteur est l'argent, a donc une double fonction : sociale ou religieuse d'abord, ainsi que vocation à entraver le progrès, sous couvert de l'argument de l'évolution.
Ce processus religieux est celui de "l'art pour l'art" ou de la "science pour la science" ; comprenez que le principe de "l'art pour l'art" le plus répandu est celui de l'artisanat ou de l'ingéniérie, dont la vocation pratique est moins masquée ; le comprendre permet de saisir pourquoi l'art populaire ou folklorique a une plus grande force que l'art ou la science de l'élite.
Ma haine du cinéma peut paraître original ; il n'en est rien : cet art technocratique profondément pédérastique est celui qui concourt le plus sournoisement à l'originalité, c'est-à-dire à la démence et à l'uniformité, fournissant à l'intellectualisme et la chiennerie des clercs le meilleur point d'appui.
Molière ne lèche pas le cul des puissants comme les petits poètes pédérastiques modernes. S'il y a une chose difficile pour un chrétien, c'est de se retenir de flanquer le feu aux salles de cinéma, où s'accomplit le viol de la conscience des gosses occidentaux avec la bénédiction des salopes qui les ont engendrés.
La meilleure preuve de l'erreur d'appréciation de Nitche, qui croit pouvoir faire la civilisation contre le peuple, c'est que la culture de l'élite, parvenue à un point de confiture philologique ou mathématique avancé, éprouve toujours la nécessité de se régénérer au contact de la culture populaire. La religion vampirise la culture populaire. C'est très net dans l'appropriation par le cinéma d'oeuvres populaires, auxquelles le cinéma confère un sens religieux, eucharistique, qu'elles n'ont pas, ou beaucoup moins.
L'esthétique nazie ou républicaine s'avère être une mystique de la décoration, une culture de vie dépourvue d'esprit critique. Seul le chapelain Baudelaire, dans cette synagogue de Satan, met le doigt sur l'aspect macabre du goût bourgeois (la beauté de la charogne). La culture de vie libérale est en effet narcissique à en mourir. Pour mieux vivre, elle met de côté l'aspect macabre du processus vital. Elle est particulièrement bien adaptée à la substitution de l'objet industriel à l'objet manufacturé. La poétique nazie de Hegel, on peut très exactement la traduire comme la publicité. C'est là que se situe l'aspect pornographique du nazisme ou du républicanisme.
Kandinski fournit aussi une théorie du même type, probablement la plus orgueilleuse et stupide de toutes, qui revient à peu près à vouloir initier le peuple à la musique classique, quand celle-ci est un art conçu spécialement pour les personnes qui se croient prédestinées.
Pourquoi l'esthétique nationale-socialiste étouffe-t-elle ? Elle se meurt d'être privée du pragmatisme d'une chaise ou d'une table ; tout au plus remplit-elle un rôle thérapeutique égoïste pour le concepteur de gadget. Si l'argent et le cinéma résistent mieux, liés l'un à l'autre, c'est parce qu'ils conservent encore leur fonction de ciment social selon la volonté de l'élite, ou du moins sans que la position sociale des intellectuels, leur irresponsabilité criminelle, soit remise en cause.
Le point d'ivresse religieuse est atteint lorsque les prêtres de cet ordre sinistre en viennent à accorder la plus grande puissance au langage humain, qu'ils se figurent comme la quintessence de l'art.
Le "point" mathématique par exemple, chez Kandinski, est investi d'un pouvoir magique (Blaise Pascal dit carrément "dieu"), alors que le point n'est qu'une convention, dont Kandinski méconnaît la fonction pratique et qui l'empêche donc de porter son art, ne serait-ce qu'au niveau de l'artisanat.