Le drame du parvenu est de parvenir. Il est alors privé de son mobile. Il ne lui reste plus qu'à tenter de se maintenir au sommet, ou bien à repartir à zéro. L'artiste, lui, ne parvient jamais, à moins que ce ne soit un parvenu, cherchant la reconnaissance. Aussi ambitieux soit Picasso, il est agité jusque dans les dernières années de son existence par la peur que son oeuvre soit nulle et non avenue. La société ne le voit pas du même oeil : elle exige du rêve et des artistes à se mettre sous la dent, même s'il n'y a plus que des nerfs.
La civilisation parvient dans les mêmes termes ; mais elle ne peut pas se retourner. Une civilisation parvenue à maturité exige dans ses vieilles années toute la ruse des anthropologues pour se maintenir, et une philosophie creuse, mais dont l'écho puisse se répandre largement, comme l'existentialisme ou l'épicurisme, dont Epicure fit cadeau à la Grèce avant qu'elle ne s'éteigne.
La civilisation est plus bête qu'un parvenu, plus cruelle aussi, cependant des millions d'hommes y sont attachés, comme à une vieille mère qui n'aurait jamais commis de péché.