Dire que Shakespeare est "machiavélien" est une manière de dire que Shakespeare raconte l'histoire d'Angleterre et celle du monde pour le besoin de la politique.
Il ajoute bien sûr à Machiavel ce que l'on qualifie aujourd'hui de "talent littéraire", ce dont Machiavel est moins bien pourvu.
Politique, histoire et littérature, ce sont là trois choses contre lesquelles les Etats-Unis sont imperméabilisés. Comme l'Union soviétique le fut aussi, on peut dire que le monde est privé de ces trois choses depuis 1945, se nourrissant d'ersatz. J'ignore quelle est la situation au pays des bonzes bénins pour qui "tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes" ? Comme beaucoup de révolutions, selon Shakespeare, la révolution culturelle chinoise revient peut-être au même ?
L'histoire selon Shakespeare est utile pour faire table rase de la mythomanie révolutionnaire, très répandue en France par la bourgeoisie de gauche comme de droite. On ne m'en voudra pas de mettre de côté l'extrême-droite, qui est pour ainsi dire le parti du goût des coups de bâtons du gendarme ; quand un gosse pleure en voyant Guignol donner des coups de bâtons au gendarme, on sait qu'il reçoit une éducation d'extrême-droite.
L'extrême-droite n'est pas du tout responsable d'avoir fait du flic un "gardien de la paix", encore moins de la police de la pensée, dont l'extrême-droite serait bien en peine de dire l'utilité.
La mythomanie révolutionnaire n'est pas exclusivement trotskiste, bien qu'elle ait été répandue en France par ce petit parti procédant un peu comme la franc-maçonnerie au temps de sa puissance. F. Mitterrand a injustement accusé le "lobby juif" d'être responsable du coup d'Etat oligarchique qui a eu lieu sous son règne. C'est plutôt un coup d'Etat trotskiste, dans la mesure où Lénine et Trotski sont des spécialistes du coup d'Etat ingénieux. Le dispositif monarchique gaulliste a grandement facilité ce coup d'Etat.
Il y a là une leçon d'histoire shakespearienne : les acteurs politiques sont punis par où ils ont péché. Trotski et sa famille ont été éliminés de façon barbare par le pouvoir absolu qu'ils avaient contribué à ériger sur les ruines de l'ancien. Trotski avait théorisé la violence sans limite contre les ennemis du Parti, employée par Staline contre lui. Malgré leur culture, Lénine et Trotski ont eu des difficultés à se situer dans l'Histoire : la révolution russe de 1905 (qui n'en était pas une) les avait pris au dépourvu.
La gauche comprend donc beaucoup mieux que la droite, selon l'exposé d'Orwell, la nécessité de fabriquer une histoire mensongère afin de méduser l'opinion publique ; la gauche, c'est-à-dire le cinéma aux Etats-Unis, où le niveau d'éducation est plus bas, et la propagande plus grossière.
La droite se contente d'ignorer l'Histoire, comme Tocqueville, à travers le prisme d'une utopie qui n'est pas "futuriste", contrairement à l'utopie de Robespierre, mais nostalgique. La révolution MAGA de D. Trump est une révolution de droite, "tocquevillienne", dans la mesure où il veut revenir à un état antérieur du capitalisme, idéalisé - c'est une mythomanie "rétrograde".
K. Marx ne contribue pas à la mythomanie révolutionnaire pour deux raisons principales : - d'abord parce qu'il qualifie précisément la révolution de 1789 de révolution bourgeoise, c'est-à-dire d'événement fondateur de la mythomanie et de la culture bourgeoises. Il ne fait pas de doute que Marx aurait qualifié la révolution bolchévique à peu près de la même façon, car elle coïncide avec l'effondrement de l'aristocratie foncière.
D'autre part K. Marx est tout aussi dissuasif que Shakespeare de confondre l'action politique avec la violence. Il y a, certes, une ambiguïté de la part de Marx puisqu'il semble décrire la révolution violente comme une étape nécessaire, suggérant ainsi une sorte de "déterminisme historique" parfaitement contradictoire avec l'idée de progrès historique ? Marx était-il mal guéri des âneries de Hegel ? Ce n'est pas certain, ce sont plutôt les interprètes de Marx qui l'ont ramené aux âneries providentialistes de Hegel. Marx fait le constat de la lutte violente entre l'aristocratie foncière et la classe bourgeoise, dont la liquidation des koulaks est un autre exemple. La résistance farouche de la bourgeoisie au progrès de la classe prolétarienne ne peut que conduire à des affrontements violents similaires. Il n'y a pas là de déterminisme : le déterminisme est celui de l'Etat soviétique : il ne pouvait pas plus s'en passer que la monarchie héréditaire ne pouvait se passer d'une théorie du droit divin.
La violence révolutionnaire n'est pas, d'après Marx, un acte politique, car elle est inconsciente comme le coup de poignard de Brutus pour assassiner le tyran César.
Si la Commune est restée comme une image pure et pieuse de la Révolution, exploitée par Lénine pour cette raison, c'est parce qu'elle est une déroute complète, dont aucun Communard n'est sorti vainqueur.
Le roman national républicain, entièrement déconstruit par Marx comme on démonte un jouet d'enfant, se résume à la flatterie du peuple par les élites dirigeantes ; le compliment se transformera en gifle retentissante si le peuple ne sait pas s'en contenter.