Massacre d’un écrivain belge à coups de couteau de cuisine… Pour couper un bouquin, il faut un tournemain… que je n’ai pas ! Ou je pousse trop doucement la lame, et dans ce cas la coupe n’est pas nette, ou alors je donne des grands coups francs et j’arrache les coins. Merde. Le plus dur, c’est quand il faut découper un angle.
C’est comme avec les femmes au début, on manque d’entraînement, l’enthousiasme brouille la vue et on commet des indélicatesses. La différence, c’est peut-être que l’enthousiasme dure plus longtemps avec les livres, il y a une plus grande variété.
Les livres d’occasion de bonne qualité, c’est désormais la denrée au meilleur rapport qualité/prix, où la déflation est la plus nette. La loi de l’offre et de la demande fait que dans l’économie capitaliste les choses de prix n’intéressent plus grand monde, la concurrence est quasi-nulle.
On peut ainsi se soûler de grandes œuvres au nez et à la barbe des démocrates, prêts à débourser, eux, jusqu’à sept euros pour une séance de cinéma, médiocre distraction de deux ou trois heures, voire jusqu’à quinze euros pour un de ces navets de la rentrée littéraire, le dernier Dantzig ou le dernier Dantec. Et je ne prends pas les pires ! Oui, il y a quand même quelque chose de courageux dans le cas de Dantec à exercer ce métier alors qu’il est incapable d’écrire correctement ; je suis sûr que sa mauvaise humeur vient surtout de là, de sa mauvaise posture.
Dans le cas de Dantzig, un critique littéraire prend toujours des risques à étaler son absence de style après avoir étrillé Jean-Jacques Rousseau, Céline ou Barbey d’Aurevilly, même si on pense que les lectrices de Elle ou de Lire n’y verront que du feu, probablement.
Avant que l’avalanche de la rentrée littéraire ne nous recouvre, avec son lot de méchants nazis et de gentils Juifs récurrents, la énième envolée lyrique sur le 11 Septembre, les odes plus ou moins subtiles au nouveau pouvoir libéral-sarkozyste, la romance existentialiste de telle secrétaire de rédaction chez Grasset ou chez Gallimard, je parie sans prendre de risque que rien de tout ça n’arrivera à la cheville d’Escales parmi les livres du Belge Albert T’Serstevens, paru en 1969, une des dernières années érotiques, sans doute, où on pouvait encore découper les livres vierges avant de les lire.