François Bacon (pas le patouilleur anglais du XXe, le savant du début du XVIIe siècle) se définit lui-même comme un "citoyen du monde", l'un des tous premiers humanistes, donc, à porter un regard critique sur le phénomène de la mondialisation.
Dans un petit opuscule, "La Nouvelle Atlantide", parfois raillé par des savants bien moindres que lui (Pierre Vidal-Naquet, par ex., entiché de Platon au contraire de Bacon), Bacon décrit même avec assez de précision toutes les inventions ultérieures de la polytechnique jusqu'à nous, comme pour mieux en minorer le mérite. Que sont Edison, Faraday, Bell, Von Braun, si Bacon a pu décrire à l'avance les fonctions et l'usage de toutes leurs trouvailles ? Et leur métaphysique, quand ils ont comme Poincaré ou Einstein l'audace d'en commettre une ? C'est la métaphysique du bricoleur.
F. Bacon entend se situer au niveau d'Aristote et de son imagination et méprise par conséquent la mécanique (déductive). S'il ne les méprise, il prend les mécaniciens pour ce qu'ils sont : des bricoleurs et des téléphonistes -sans fil ou avec. L'intérêt de tel ou tel penseur des Lumières françaises pour Bacon est un intérêt pour une science radicalement différente de celle de Descartes ou Newton (Descartes est plus proche de Newton que Newton de Bacon).
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"Citoyen du monde", Bacon n'en est pas moins l'esprit le plus occidental qui soit, au sens le plus complet, c'est-à-dire cosmologique aussi. Bacon est en effet astrologue plutôt qu'astronome (comme des esprits attentifs bien que peu fonctionnaires ont remarqué que Hamlet, prince de ce pays septentrional qu'est le Danemark, l'est aussi ; et pour ceux que ça intéresse, on peut trouver facilement sur internet un bref extrait d'une thèse peu académique consacrée à l'astrologie d'Hamlet par Erwin Reed en 1905. J'ai relevé moi-même d'autres éléments que Reed n'a pas vu allant dans le même sens. C'est-à-dire que la thèse de Reed infirme assez efficacement la croyance universitaire selon laquelle le propos d'Hamlet relèverait d'une coïncidence banale, ou même qu'il serait secondaire pour comprendre la pièce).
Seul un benêt italien tel que Stendhal peut croire que le principal souci de Shakespeare est de faire partager à son public des émotions, confondant ainsi Shakespeare avec le code civil ou le code pénal, principal ressort émotionnel du cinéma yanki.
Non, pour dire mieux, il faut dire que Bacon est astrologue CONTRE l'astronomie. On saisira mieux le caractère occidental de Bacon si on comprend que l'astrologie est incompatible avec la science pyschologique. Ce sont les Romains, puis les Allemands à leur suite ("Heil Nero !"), qui ont ajouté de la psychologie à la mythologie grecque (en France on peut citer Versailles comme foyer d'irradiation psychologique, ville nouvelle où flotte d'ailleurs encore aujourd'hui un parfum d'inceste, exactement comme aux Etats-Unis ; d'où Stendhal tient-il que Racine est moins émouvant que Shakespeare ? Il y a dans Racine de quoi émouvoir des charrettes de jeunes filles en fleurs qui se tordront la gueule à condition qu'elles aient deux sous de jugeotte, en voyant le portrait que Shakespeare a peint d'elles en Ophélie).
Helléniste beaucoup plus sérieux, Bacon accorde à la mythologie grecque une valeur scientifique et historique, politique à la rigueur, mais pas "psychologique". Derrière le duel entre Troyens et Grecs, il y a un duel entre Apollon et Athéna, dont celle-ci sort victorieuse. Bacon place le casque d'Athéna et la colombe de l'Esprit au frontispice de ses ouvrages savants. Shakespeare fait de Troie une place-forte païenne.
L'esprit de Bacon mérite d'être qualifié d'"esprit universel", à l'opposé de l'esprit libre-échangiste ou capitaliste qui représente l'"esprit particulier élémentaire".
En ne choisissant pas entre ces deux esprits antagonistes, le pape qui est en partie dépositaire des trésors intellectuels de l'Occident fait le diplomate. Autrement dit c'est un lâche.