À chaque époque correspond plus ou moins un type emblématique ; par exemple au XIIe siècle le chevalier errant en quête d’aventure, au XVIIIe la belle Pompadour, à l’Empire Napoléon-le-Sanglant ou son grognard, au XIXe siècle l’agioteur immoral, puis le poilu dans son cul de basse fosse au début du XXe siècle, etc.
C’est la caissière de supermarché qui me paraît le mieux incarner la nôtre, d'époque ; incontestablement elle se tient à un des points névralgiques du système actuel.
Observant dans mon panier à provisions que je me suis ravitaillé pour le pain, le fromage et la barbaque, hors de son magasin, la caissière de la supérette du coin se fait un devoir de me tancer, avec modération, mais de me tancer quand même, pour mon infidélité.
C’est là qu’on se rend compte qu’un siècle d’idéologie féministe, de bouleversements sociaux, travail des femmes et égalitarisme capitaliste, n’a pas fondamentalement changé la nature féminine. Si ma caissière, appelons-la Stéphanie ou Nathalie, engage la conversation avec tous les hommes célibataires apparemment en bonne santé physique et financière, entre vingt et quarante ans, c’est bien sûr qu’elle rêve d’échapper à sa condition d’esclave capitaliste en tee-shirt uniforme. Il s’agit pour Stéphanie de saisir le pigeon au vol. Comment lui en vouloir ? Bien sûr, elle a appris par cœur sa leçon sur les femmes émancipées, mais le décalage est tel entre la légende dorée de l'émancipation et sa réalité, que son bon sens a refait surface.
Et ce reproche qu’elle me fait d'aller m’approvisionner ailleurs que dans sa crèmerie, trop hygiénique à mon goût… comment ne pas y voir une résurgence de la bigoterie féminine ? C’est absolument désintéressé de sa part, elle n’est pas actionnaire de la supérette qui l’emploie - dans des conditions, encore une fois, totalement inesthétiques et donc dégradantes, particulièrement pour une jeune femme ; elle prêche donc bien pour sa paroisse de façon réflexe, elle veut me convertir absurdement à sa religion de fait, sans se poser de questions. Je retrouve là, sans doute parce que je suis misogyne, une constante du caractère féminin à travers les âges, l'absence de doute.
Le temps imparti à Stéphanie à chaque rencontre en caisse avec un homme qui incarne un avenir meilleur, au soleil plutôt que sous les néons, ce temps est très bref - du speed dating, selon l’expression consacrée. Alors, pour me convaincre en un éclair qu’elle a du caractère et de la vertu, Stéphanie ajoute cette confidence : « Ce matin il y a un mec qui m’a mal parlé dans un rayon. Redis-ça encore, je lui ai dit, et je te démonte ta gueule ! Cash ! »
Je suis censé émettre un sifflement admiratif ; je n'y arrive pas. Stéphanie ne peut pas savoir que j’ai vécu quelques mois “à la colle” avec une gonzesse qui, bien qu’elle professât des idées très traditionnelles et antiféministes, était capable de briser des éléments de vaisselle en faïence peints que je lui avais offerts, sur un mur à quelques centimètres de mon visage, lorsque je rentrais du turbin plus tard que prévu ; par conséquent le “caractère” de Stéphanie ne m’impressionne pas ; à vrai dire j’ai même depuis lors une attirance particulière pour les femmes masochistes qui accepteraient par principe de se faire fouetter par leur homme ou qui accouchent huit ou neuf fois à intervalles resserrés sans rechigner (le problème, c’est que ce genre de femme est toujours plus ou moins mariée, et qu’à moins d’une jeune veuve…).
Cependant, bien qu’elle soit encouragée par les tribunaux actuellement, où les magistrats de sexe masculin se font de plus en plus rares, je ne crois pas que la violence des femmes soit un phénomène nouveau. L’amour courtois, les gentilles damoiselles qui tombent en pâmoison pour un rien : c’est déjà les prémices de l’idéologie féministe !
Je tâcherai de changer de caisse la prochaine fois.