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la morinaie

  • Le code Rousseau

    Sur la mentalité des femmes de la toute fin du XVIIIe, la correspondance entre Beaumarchais et sa jeune maîtresse Amélie Houret de La Morinaie est éclairante (Maurice Lever et sa femme Évelyne se sont occupés de sa publication après qu’elle fut exhumée dans une vente aux enchères publiques en 2005.)

    Certes, chez Amélie, ce n’est pas encore le féminisme qui imprègne les rapports du couple bourgeois moderne, mais c’est une étape. Il me semble que les idées féministes ont transité par cette sorte d'amour courtois exprimé dans le discours de la maîtresse de Beaumarchais, courtoisie un peu différente de celle du Moyen-âge. À ces calembredaines, Beaumarchais réplique presque invariablement, lorsqu'il réplique, par des propos "épicés" - pas de temps à perdre en vaines homélies.
    De cet amour courtois il reste quelque résidu dans la doctrine de l’Église moderne sur le couple ou dans certains films d'Hollywood qui exploitent la nostalgie du public. Comme cet amour courtois suppose forcément que la femme et l'homme assument des rôles un peu contrastés, les vrais féministes en avance sur leur époque ont relégué ces oripeaux romantiques au grenier ; ils se réclament plutôt de l’hédonisme, cet hédonisme que Michel Onfray veut mettre à la portée des classes populaires, ce qui implique une juste baisse des tarifs de la capote anglaise et des SMS.

    Pour apprécier à sa juste valeur morale le petit extrait que j’ai recopié ci-dessous d’une lettre d’Amélie, il faut savoir que la Comtesse de la Morinaie était une sorte de putain de luxe, une séduisante petite brune aux yeux bleus, pas très richement mariée, qui avait dragué Beaumarchais afin d’augmenter son revenu et celui de sa mère, à sa charge, en passant sous le joug d’une célébrité. Quand la sécurité sociale n’existait pas, il fallait bien trouver moyen de tirer jouissance des rapports humains…

    « (…) Vous avez connu tant d'honnêtes femmes [c’est-à-dire de braves gourdes] qu'elles vous ont donné des préventions terribles contre le sexe entier. Hélas ! à force de me méconnaître, vous m'avez rendue à moi-même, mais en cessant d'avoir de l'amour pour vous, je n'ai pas cessé de vous aimer.

    Il a succédé à cet amour effréné une amitié forte et généreuse qui ne vous quittera jamais. Et pour vous prouver que j'ai plus de sensibilité que d'orgueil, si ma possession pouvait réellement faire votre bonheur, je vous l'offrirais encore
    [Toute l’essence féminine est dans cette phrase, Beaumarchais a dû bien se poiler en la lisant.] Persuadée, mon bon ami, que votre santé a besoin du plus grand repos, que vous vous tuez toutes les fois que vous faites usage de vos facultés physiques, je vous engage à calmer votre tête sur cet objet [Le vieux B. devait mettre encore pas mal de “verdeur” dans ses assauts pour que sa (com)promise les redoute autant, même à distance.]

    Vous êtes blasé, Beaumarchais, parce que vous fûtes trop avide de jouissances matérielles. Quand les gens s'exaltent à ce point, ils absorbent les nobles, les douces affections de l'âme. Ces lettres dont je me suis toujours plainte, et qui vous ont tant de fois fait m'appeler "bégueule" sont le dernier terme de la débauche et la première marque de la dépravation de l'âme
    [Un prêtre moderne ne dirait pas mieux !]
    Ce bon J.J. Rousseau, tant persécuté, tant calomnié, sensible jusqu'à l'épiderme, ce Jean-Jacques qui sera éternellement le dieu des cœurs tendres avait en horreur tous les écrits qui peignaient ce désordre des sens.

    « J'ignorais vous dit-il, que rien n'est moins tendre qu'un libertin, que l'amour n'est pas plus connu d'un débauché que des femmes de mauvaise vie, que la crapule endurcit le cœur, rend ceux qui s'y livrent impudents, grossiers, brutaux, cruels, que leur sang appauvri, dépouillé de cet esprit de vie, qui du cœur porte au cerveau ces charmantes images d'où naît l'ivresse de l'amour, ne leur donne par l'habitude que les âcres picotements du besoin, sans y joindre ces douces impressions qui rendent la sensualité aussi tendre que vive. Qu'on me montre une lettre d'amour d'une main inconnue, je suis assuré de connaître à la lecture si celui qui l'a écrite a des mœurs. Ce n'est qu'aux yeux de ceux qui en ont que les femmes peuvent briller de ces charmes touchants et chastes qui seuls font le délire des cœurs vraiment amoureux. Les débauchés ne voient en elles que des instruments de plaisir qui leur sont aussi méprisables que nécessaires. »

    Comme c’est bien dit de la part de Jean-Jacques, lui qui n’avait pas même besoin de toucher les femmes pour s’enflammer, que sa grandeur d’âme inclinait plutôt vers de jolies paroissiennes aristocrates, mais qui n’hésitait pas à exhiber ses attributs virils devant des lavandières lorsque la pression dans sa culotte était trop forte.
    On voit que la morale de Rousseau, aussi bien que sa politique, bien qu’elles fussent toutes deux assez inimitables, ont nonobstant largement fait école dans les classes bourgeoises.