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Le code Rousseau

Sur la mentalité des femmes de la toute fin du XVIIIe, la correspondance entre Beaumarchais et sa jeune maîtresse Amélie Houret de La Morinaie est éclairante (Maurice Lever et sa femme Évelyne se sont occupés de sa publication après qu’elle fut exhumée dans une vente aux enchères publiques en 2005.)

Certes, chez Amélie, ce n’est pas encore le féminisme qui imprègne les rapports du couple bourgeois moderne, mais c’est une étape. Il me semble que les idées féministes ont transité par cette sorte d'amour courtois exprimé dans le discours de la maîtresse de Beaumarchais, courtoisie un peu différente de celle du Moyen-âge. À ces calembredaines, Beaumarchais réplique presque invariablement, lorsqu'il réplique, par des propos "épicés" - pas de temps à perdre en vaines homélies.
De cet amour courtois il reste quelque résidu dans la doctrine de l’Église moderne sur le couple ou dans certains films d'Hollywood qui exploitent la nostalgie du public. Comme cet amour courtois suppose forcément que la femme et l'homme assument des rôles un peu contrastés, les vrais féministes en avance sur leur époque ont relégué ces oripeaux romantiques au grenier ; ils se réclament plutôt de l’hédonisme, cet hédonisme que Michel Onfray veut mettre à la portée des classes populaires, ce qui implique une juste baisse des tarifs de la capote anglaise et des SMS.

Pour apprécier à sa juste valeur morale le petit extrait que j’ai recopié ci-dessous d’une lettre d’Amélie, il faut savoir que la Comtesse de la Morinaie était une sorte de putain de luxe, une séduisante petite brune aux yeux bleus, pas très richement mariée, qui avait dragué Beaumarchais afin d’augmenter son revenu et celui de sa mère, à sa charge, en passant sous le joug d’une célébrité. Quand la sécurité sociale n’existait pas, il fallait bien trouver moyen de tirer jouissance des rapports humains…

« (…) Vous avez connu tant d'honnêtes femmes [c’est-à-dire de braves gourdes] qu'elles vous ont donné des préventions terribles contre le sexe entier. Hélas ! à force de me méconnaître, vous m'avez rendue à moi-même, mais en cessant d'avoir de l'amour pour vous, je n'ai pas cessé de vous aimer.

Il a succédé à cet amour effréné une amitié forte et généreuse qui ne vous quittera jamais. Et pour vous prouver que j'ai plus de sensibilité que d'orgueil, si ma possession pouvait réellement faire votre bonheur, je vous l'offrirais encore
[Toute l’essence féminine est dans cette phrase, Beaumarchais a dû bien se poiler en la lisant.] Persuadée, mon bon ami, que votre santé a besoin du plus grand repos, que vous vous tuez toutes les fois que vous faites usage de vos facultés physiques, je vous engage à calmer votre tête sur cet objet [Le vieux B. devait mettre encore pas mal de “verdeur” dans ses assauts pour que sa (com)promise les redoute autant, même à distance.]

Vous êtes blasé, Beaumarchais, parce que vous fûtes trop avide de jouissances matérielles. Quand les gens s'exaltent à ce point, ils absorbent les nobles, les douces affections de l'âme. Ces lettres dont je me suis toujours plainte, et qui vous ont tant de fois fait m'appeler "bégueule" sont le dernier terme de la débauche et la première marque de la dépravation de l'âme
[Un prêtre moderne ne dirait pas mieux !]
Ce bon J.J. Rousseau, tant persécuté, tant calomnié, sensible jusqu'à l'épiderme, ce Jean-Jacques qui sera éternellement le dieu des cœurs tendres avait en horreur tous les écrits qui peignaient ce désordre des sens.

« J'ignorais vous dit-il, que rien n'est moins tendre qu'un libertin, que l'amour n'est pas plus connu d'un débauché que des femmes de mauvaise vie, que la crapule endurcit le cœur, rend ceux qui s'y livrent impudents, grossiers, brutaux, cruels, que leur sang appauvri, dépouillé de cet esprit de vie, qui du cœur porte au cerveau ces charmantes images d'où naît l'ivresse de l'amour, ne leur donne par l'habitude que les âcres picotements du besoin, sans y joindre ces douces impressions qui rendent la sensualité aussi tendre que vive. Qu'on me montre une lettre d'amour d'une main inconnue, je suis assuré de connaître à la lecture si celui qui l'a écrite a des mœurs. Ce n'est qu'aux yeux de ceux qui en ont que les femmes peuvent briller de ces charmes touchants et chastes qui seuls font le délire des cœurs vraiment amoureux. Les débauchés ne voient en elles que des instruments de plaisir qui leur sont aussi méprisables que nécessaires. »

Comme c’est bien dit de la part de Jean-Jacques, lui qui n’avait pas même besoin de toucher les femmes pour s’enflammer, que sa grandeur d’âme inclinait plutôt vers de jolies paroissiennes aristocrates, mais qui n’hésitait pas à exhiber ses attributs virils devant des lavandières lorsque la pression dans sa culotte était trop forte.
On voit que la morale de Rousseau, aussi bien que sa politique, bien qu’elles fussent toutes deux assez inimitables, ont nonobstant largement fait école dans les classes bourgeoises.

Commentaires

  • " Dans toutes vos liaisons amoureuses, préférez plutôt les femmes mûres aux jeunes filles... car elles ont une plus grande connaissance du monde. " Benjamin Franklin.

  • Vu le physique de tortue de Franklin, il n'avait guère le choix. C'était le genre à prendre les choses avec philosophie.

  • Quelle manque de spiritualité mon Lapinos ! Ou bien quelle morgue de bellâtre !

  • «Ayez les yeux bien ouverts avant le mariage, et à demi-fermés ensuite.» Benjamin Franklin.

    Tu vois mon Lapinos, Franklin avait un certain sens du réalisme en amour, lui ...

  • Ça fait assez longtemps qu'on se connaît pour que vous me dispensiez de votre petit sermon démocratique, Driout, non ?

    L'hypocrisie des Yankis qui parlent de "découvrir le monde" au lieu de dire "baiser" ! Moi quand j'ai besoin d'un renseignement d'ordre général, je demande à mon grand-père. Sur certains sujets votre blogue (T. 8) fournit des réponses intéressantes également, j'ai bien aimé le passage sur Juppé et ceux sur Baudelaire, moins mystiques que ceux sur les philantropes et la science yankis.

  • Sur le mariage, nul n'est plus avisé que Chardonne, il n'y a que les curés contemporains pour ne pas s'en apercevoir, sinon ils repiqueraient sa mystique, qui a le mérite d'être écrite en français. (« On ne sait jamais qui on épouse : le mariage nous l'apprendra. »)

  • Concernant Chardonne, sur le mariage, je préfère celle-ci : "Il faut se garder d'un penchant au scepticisme, vieille manie de la plume, quand on écrit sur ce grave sujet de l'amour. (...) Je sais que l'amour d'une jeune fille, le plus grand, celui qui engage une vie encore disponible, peut durer sans désillusion, sans affaiblissement. Cet amour qui persiste et s'approfondit dans l'intimité est impossible à décrire. tout ce que l'on peut dire c'est qu'il existe."

  • Le silence de vos dames assidues - la Grande Mademoiselle par exemple pour ne pas la citer - sur le sujet est éloquent !

  • "Cet amour qui persiste et s'approfondit dans l'intimité est impossible à décrire", pour qui se prend-il celui-là, il ne pourrait pas écrire "m'est impossible à décrire" (par exemple parce que je n'ai jamais réussi à être une jeune fillle amoureuse, malgré mon extraordinaire sensibilité et mon goût pour la chose sentimentale). Ou bien "est ennuyeux à décrire", comme peut-être la vie d'un chartreux ?

    Quoi qu'il en soit c'est une belle chose que ce dont parle ce monsieur Chardonne. Maintenant, question sérieuse : à partir de quand cesse-t-on d'être une jeune fille ?

    J'avais besoin d'une bonne colère, Lapinos, merci pour ces quelques lignes de Rousseau qui comme de juste me font sortir de mes gonds. Pas parce qu'il dit des bêtises et des horreurs, comme d'habitude et comme tant d'autres ; parce que comme d'habitude et comme si peu, il écrit toujours aussi bien pour penser toujours aussi mal.

  • Cher Pidiblue,

    Vous me flattez en attendant mes réactions, ou en supposant un sens profond à mon absence de réactions.
    Au risque de vous décevoir, je vous dirais simplement que ce message m'a laissée plutôt indifférente, et lorsque je n'ai rien à dire sur un sujet, je me tais!
    Je ne crois pas qu'on soit obligé d'avoir un avis sur tout... ni qu'on soit - le cas échéant - obligé de l'exprimer.
    Rassurez-vous, le prochain post de L. qui suscitera ma réprobation - ou mon vit intérêt (rien ne l'interdit dans l'absolu!) aura droit à mon commentaire.

  • Quand je vous disais, Driout, que les curés feraient bien de s'emparer de la mystique conjugale de Chardonne ! Au lieu de ça ils préfèrent s'endormir en lisant les encycliques de Benoît XVI (Qui ferait mieux d'écrire des poèmes, spécialité allemande plus digeste que les gros kugelhofs philosophiques ou théologiques), ou le dernier des goncourts, ou le dernier Éric-Emmanuel Schmitt.

    (Cette fois je ne vous comprends pas, Nadine, moi qui pensais que ce passage de Rousseau vous réconcilierait… Je n'irais pas jusqu'à dire que je l'ai choisi pour vous, mais presque. Sinon "impossible à décrire" et "ennuyeux à décrire", c'est à peu près la même chose pour un écrivain, mais impossible est beaucoup plus poétique - c'est pour cette raison que je le conseille aux curés en mal d'inspiration.)

  • "Au lieu de ça ils préfèrent s'endormir en lisant les encycliques de Benoît XVI (Qui ferait mieux d'écrire des poèmes, spécialité allemande plus digeste que les gros kugelhofs philosophiques ou théologiques)"

    Indépendamment de la valeur intrinsèque des écrits, c'est quand même davantage le "boulot" d'un pape d'écrire des encycliques plutôt que des poèmes, vous ne pensez pas?

    Juste pour ma gouverne... à part Bloy et Céline (pour eux, je pense avoir compris), qui trouve grâce à vos yeux, Lapinos?

  • Mépriser les putains et les débauchés, et notamment leur dénier l'aptitude à aimer, c'est cela qui devrait me plaire ? Juger une personne (juger une personne ! mais pour qui se prend-il encore ce détraqué protestant ?) à ses moeurs ? Pis, juger une personne à sa façon d'écrire qui rendrait compte de ses moeurs...

    Par ailleurs le blabla sur les vrais charmes de la femme chaste qui plaît aux vrais hommes parce que les autres dépravés ont besoin des femmes qu'ils méprisent je ne le comprends pas tout simplement. Ce n'est pas ma chasteté qui jamais fit le délire d'aucun homme amoureux de moi connu, et pourtant on m'a aimée, et pourtant on m'aime, et par ailleurs je n'en suis pas totalement dépourvue (de chasteté). Cela ressemble plutôt au discours d'un homme qui a peur de ce qu'il pourrait trouver chez les femmes en grattant un peu sous le chaste voile (pardon pour le poncif, celui de la peur je veux dire). Par exemple que la sensualité est parfois plus vive quand elle est moins tendre. Même chez l'ancienne jeune fille qui aime comme un chartreux.

  • La liste est très longue de ceux qui trouvent grâce à mes yeux, Mlle, et je voudrais avoir deux vies pour les aimer mieux. Mais il n'y a pas de liste disponible, genre "les 539 béguins littéraires de Lapinos".
    D'ailleurs rien n'interdit à un pape d'écrire des poèmes, n'inventez pas des règles qui n'existent pas.

  • "La liste est très longue de ceux qui trouvent grâce à mes yeux, Mlle, et je voudrais avoir deux vies pour les aimer mieux." Ca me rassure, vraiment... et ça me réjouit.

    "D'ailleurs rien n'interdit à un pape d'écrire des poèmes, n'inventez pas des règles qui n'existent pas." Ca, ça me réjouit moins... pour ne pas dire que cela me déprime. Soit j'ai un gros problème d'expression (ce qui n'est pas exlu, mais qui me chagrinerait considérablement...), soit vous ne savez pas lire, ou vous refusez de lire ce que j'écris.

    "c'est quand même davantage le "boulot" d'un pape d'écrire des encycliques plutôt que des poèmes, vous ne pensez pas?" traduction à l'usage des Lapinos qui ne comprennent pas: un pape doit penser à écrire des encyliques, avant de penser à composer des poèmes; cela ne signifie nullement qu'il lui est interdit de composer.
    Serait-ce trop vous demander que de vous prier d'avoir une lecture honnête de ce que les gens écrivent?

  • Vous êtes un peu psychorigide, Mlle ! Encore une fois d'où sortez-vous que les papes doivent écrire des encycliques en prose plutôt que des encycliques en vers ? Après tout Jean-Paul II faisait bien du ski, pourquoi Benoît XVI n'écrirait-il pas des poèmes (puisque c'est une spécialité allemande plus universelle que leur philosophie malhabile).

    Nadine a des réactions assez étranges aussi… Pourquoi n'aurait-on pas le droit de juger les mœurs ? Quant à juger les mœurs de quelqu'un sur ce qu'il écrit, c'est un travers d'écrivain bien naturel, non ? Il y a sûrement des façons moins fiables de juger.
    (Mais peut-être m'est-il difficile d'être impartial car j'ai dans le tempérament quelques points communs avec Rousseau…)

  • Il n'y aurait pas l'accusation - une fois de plus - de psychorogidité, vous m'auriez fait rire, Lapin. Que de mauvaise foi en un seul homme !

    Aussi étrange que cela puisse paraître, je vous rejoins cependant en partie sur le deuxième point de votre commentaire : j'ai tendance à juger les mœurs... mais par délicatesse, je ne dirai rien sur Rousseau, puisque vous avez des points communs avec lui, vous pourriez mal le prendre.

  • Allez-y toujours, histoire de voir si je suis aussi susceptible que Rousseau…

  • Je pensais (pour Rousseau, cela va sans dire) aux lavandières, à Thérèse, et à l'Hospice des Enfants-Trouvés ; j'espère pour vous que vous ne vous retrouvez dans aucun des trois points, mon jugement serait sans appel (que voulez-vous, quand on est psychorigide...)

    Outre les Confessions et les Rêveries et autre Emile, dans le cadre de mes études, j'ai été contrainte de lire les Dialogues de Rousseau juge de Jean-Jacques. Sans commentaires.


    La Princesse de Clèves, vous la trouvez psychorigide?

  • Juger les moeurs évidemment, tout le monde le fait, les moeurs ce sont des sommes d'actes et il faut bien tâcher de distinguer le bien du mal. Juger les gens (les dépravés/les vertueux, les bons/les méchants, les saints/les damnés) à leurs moeurs, il me semble que ce n'est pas à la portée ni de JJ ni d'aucun d'entre nous. Pour tout vous dire je trouve ça un peu existentialiste.

    Lapinos j'espère que vous n'êtes pas genevois ! (et je me demande encore pourquoi vous pensiez que ça devait me plaire, que de malentendus dans ces relations virtuelles !)

  • • Il n'y a plus de jolies lavandières, Mlle, mais s'il y en avait encore je ne serais certainement pas insensible à leurs charmes.
    Comme Rousseau, il m'est arrivé de me faire harceler par des homosexuels et de faire preuve dans ces circonstances de pas mal de naïveté - c'est seulement mon éducation, moins puritaine que la sienne (et que la vôtre, paraît-il) qui m'a évité de pousser consécutivement à ces tentatives de viol des cris d'orfraie ridicules.
    Parmi les quelques écrivains dont la psychologie m'est assez bien connue, je suis obligé de reconnaître que c'est de Rousseau que je me rapproche le plus.

    • Je me dois d'être honnête avec vous, Nadine, si Rousseau n'avait pas le style qu'il a, et ça change tout, je l'aurais condamné comme vous pour son existentialisme, c'est-à-dire sa nullité. Je me fais donc son avocat : ce n'est pas la société en tant que telle que Rousseau condamne (Toutes les "Confessions" sont sous-tendues par un discours antisocial), mais une société donnée, comme Marx. Le hic, c'est que le contrat social de Rousseau, toutes les idées démocratiques en général, sont complètement idiotes. On peut objecter que la lutte des classes de Marx est également naïve. La différence, c'est que la démocratie est une idéologie idiote ET détaillée, c'est plus grave. Marx ne décrit pas la lutte des classes dans le détail, pas si bête.

    (Finalement vous préférez causer des idées plutôt que des faits, Nadine ; avouez donc qu'il n'est pas toujours facile de vous suivre et que vous êtes une gonzesse compliquée…)

  • Puritaine et psychorigide... j'hésite à vous demander un troisième compliment au risque de faire mentir le proverbe qui dit "jamais deux sans trois".

    Remarquez, je compatis, vous devez vous trouver face à un cruel dilemme : si vous ne voulez pas des filles faciles, des "marie-couche-toi-là" , ni de celles qui ont un peu d'exigence morale, il ne doit pas vous rester grand'chose à croquer.

  • Puritaine et psychorigide, il n'y a pas tant de différence que ça ? N'aviez qu'à mieux choisir votre pseudo, aussi… c'est tendre des verges pour se faire fouetter ! (seriez un peu "maso" que ça ne m'étonnerait pas, mais dans ma bouche, cette fois, c'est le compliment que vous attendiez.)

    Pour la deuxième partie de votre commentaire, elle est assez juste, bien que vous présentiez les choses sous l'aspect existentiel, qui ne m'intéresse pas beaucoup. Mon problème est plutôt social.

  • Mon pseudo mal choisi... peut-être, mais je me demande ce que vous savez réellement de la vie sentimentale de l'aristocratie française au XVII°... La Grande Mademoiselle s'était quand même entichée du duc de Lauzun, grand libertin devant l'Eternel, et qui a fini à Pignerolles. Elle n'a eu de cesse que son royal cousin donne son accord. Relisez Mme de Sévigné. Je ne crois pas qu'elle se serait comportée ainsi si elle avait été puritaine, mais on peut penser qu'elle a manqué de clairvoyance.

    N'y a-t-il pas une dimension existentialiste dans le catholicime? Ce n'est pas sur notre caractère, nos tendances, que nous serons jugés mais sur nos actes et donc nos choix; rappelez-vous vos cours de catéchisme : être coléreux n'est pas un péché ; se mettre en colère en est un.
    Si vous êtes marxiste jusque dans votre vie sentimentale, je vous plains.

  • Vous avez raison, je n'ai pas lu les Mémoires de la Grande Mademoiselle et il se peut que je déraille complètement. Mais l'attirance pour un libertin n'est pas une preuve, les contraires s'attirent parfois.

    Je fais des efforts pour être marxiste dans ma vie sentimentale, en effet. Mais c'est inutile de me plaindre, il y a plus malheureux que moi. Tout au plus pouvez-vous prier à mon intention (pas une de ces prières existentialistes, s.v.p.)

  • Je ne sais pas ce qu'est une "prière existentialiste", mais c'est entendu, je prierai pour vous. Je suis très sérieuse. Puis-je vous demander d'avoir la bonté d'agir de même en retour?

  • J'avoue tout ce que vous voulez, bien que je me considère comme une personne simple. Peut-être pas assez française pour m'exprimer clairement, ou pas assez maline.

    Enfin, une "gonzesse compliquée", dans la bouche d'un homme, c'est un peu redondant ? nous sommes si peu faits pour nous comprendre, c'est la chose la plus amusante du monde, on peut y passer toute une vie.

    Pour les idées et les faits, je ne comprends pas bien.

    Les actes oui, mais j'espère que nous serons aussi jugés sur l'amour, hein.

  • Encore une fois, l'expérience enseigne, Nadine, que les gens lâches ont pour habitude de proclamer leur courage, les gens hypocrites leur sincérité, les gens compliqués leur simplicité, etc.
    Mais admettons que vous soyiez vraiment une fille simple, la vie sociale est tellement compliquée aujourd'hui en Occident, tellement paradoxale, que cela revient presque au même. Je ne crois pas qu'arriver à se comprendre soit un jeu très amusant ; ce qui compte, c'est qu'un homme et une femme aient des intérêts en commun, des ambitions qui se complètent ; la doctrine de l'Église en matière matrimoniale telle qu'elle est conçue aujourd'hui est fondée sur les sentiments, donc sur le sable.
    D'une certaine façon l'Église est condamnée à tenir ce discours sentimental, c'est une façon de s'adapter à la morale ambiante ; une autre doctrine, plus sociale, serait perçue comme étant trop radicale. Le conflit entre les autorités politico-économiques et les autorités religieuses, au lieu d'être larvé, serait "ouvert".
    Nous sommes dans une époque où tout discours social est perçu comme un discours antisocial, c'est un comble.

    En ce qui concerne les vocations religieuses, l'Église a tenu un discours à peu près similaire et les séminaires sont vides désormais. Il me semble qu'il n'y a plus d'autres choix pour l'Église que d'être radicale ou mourir (en Europe).

    (Ça y est, j'ai dit une dizaine d'avés à votre intention, Mlle.)

  • La difficulté à se comprendre entre homme et femme fait partie des choses auxquelles on ne peut rien. Je préfère rire de ces choses qu'en pleurer, c'est ma politique comme vous diriez !
    Pour les ambitions et intérêts communs, je suis archi d'accord avec vous, mais quelles que soient les bases du choix, on se retrouve à vivre chaque jour avec un étranger (j'entends quelqu'un qui ne parlera jamais exactement votre langue) et là on s'efforce quand même un minimum de suivre ce qui se passe de l'autre côté, il faut bien tâcher de se comprendre. Enfin ça aide de d'abord tâcher de s'aimer, c'est-à-dire d'avoir comme priorité le bien de l'autre avant le sien propre. Ca n'a pas grand-chose à voir avec les sentiments, sauf les deux premières semaines peut-être.

    Je ne sais au juste ce que vous entendez par "compliqué". Pour moi il y a les gens à histoires et les autres. Je fais partie du second groupe incontestablement.

  • Notre discussion est le parfait exemple du dialogue de sourds, Nadine… ou du dialogue entre un homme et une femme. J'ai l'impression que vous me parlez encore d'une sorte de "contrat de couple", aussi illusoire à mes yeux que le "contrat social" de Rousseau. "Les bases du choix" ? Mais il n'y a pas de choix, il n'y a pas de liberté, pas plus qu'il n'y a d'égalité, il est donc dangereux d'agiter ces idéaux, "a fortiori" de fonder une doctrine sociale ou politique dessus.

    Si je comprends bien vous essayez de me ramener à la réalité actuelle. Dans l'état actuel de la société, dites-vous, il vaut mieux être quelqu'un d'altruiste ou qui s'efforce de l'être pour pouvoir mener une vie de couple puis de famille stable ? Je ne crois même pas que votre postulat existentialiste soit vrai.

    Les couples, de moins en moins nombreux à être stables, je crois que ça tient au hasard pour une partie d'entre eux, je veux parler des individus qui s'accouplent ou s'associent à des êtres qu'ils comprennent à demi-mot, qui se complètent idéalement, mais ces cas-là sont exceptionnels. Les autres cas ce sont des couples militants, quelle que soit la cause qui les meut, peu importe, ils s'y soumettent, elle s'impose à eux de l'extérieur comme la société (antérévolutionnaire) s'imposait à nos aïeux.

  • Je vous remercie pour votre dizaine.
    De mon côté, je tiens promesse. C'est ainsi que je conçois (en partie du moins) la charité : on se tape dessus, mais on prie pour le salut de l'âme de son adversaire, parce qu'au fond, il n'y a qu'une chose qui compte, et c'est celle là, n'est-ce pas?

    Me pardonnerez-vous de m'immiscer dans la conversation que vous poursuivez avec Nadine?

    Pourquoi dites-vous qu'il n'y a pas de choix ni de liberté?
    Que l'homme soit soumis à un certain nombre de déterminismes, c'est vrai, qu'il soit déterminé dans tous ses actes, je ne le crois pas... et ce n'est pas ce qu'enseigne l'Eglise. Si l'on suit le raisonnement que vous semblez tenir, le "bon" larron n'aurait jamais pu se convertir.
    Seriez-vous janséniste? C'est beau, mais c'est désespérant (dans l'acception théologique du terme).

    Cordialement

  • Je disais qu'il n'y a ni choix ni liberté, Mlle, parce que les propos de Nadine me paraissent toujours bien "rousseauistes", bien qu'elle vitupère Jean-Jacques systématiquement.
    Il me paraît bien plus important d'insister sur les déterminismes comme vous le faites, même s'ils ne sont pas absolus, plutôt que sur la liberté, comme on le fait dans notre régime démocratique, et comme l'Église elle-même le fait depuis au moins cinquante ans, cette idéologie l'ayant complètement pénétrée ou presque. On le voit à propos de la doctrine sur le mariage ou de celle sur la foi, ça n'est pas très rationnel. Bien sûr Benoît XVI n'a pas tort d'en appeler à la raison, mais il n'est pas clair, il ne dit pas quelle raison ni que les musulmans sont beaucoup plus raisonnables que les démocrates yankis ou européens.

    (D'où Marx aussi, qui est un excellent remède contre l'idéologie, Mlle.)
    (Quant au jansénisme, je ne crois pas que le mouvement janséniste soit très cohérent, cette cohérence a été construite "a posteriori", non pas par des historiens mais plutôt par des philosophes.)

  • Que pensez-vous dans ce cas de la conception cornélienne de l'amour, fondé essentiellement sur une estime et une admiration réciproques qui se nourrissent, quoi qu'on en dise, d'un certain déterminisme social (je suis obligée moi-même d'en convenir). C'est sur ce "terreau" (pardonnez-moi cette expression peu poétique) que s'enracine le sentiment... et c'est bien autre chose que la passion racinienne, ou romantique.
    "Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue" c'est magnifique, mais ça ne mène qu'à la mort.

  • Merci, Mademoiselle, vous me comprenez et dites bien mieux que je ne saurais tout ce que je sens.

    "Les bases du choix", vous êtes bien cruel, lapin, de relever une expression aussi malheureuse de laideur. Mais merci de me rappeler que nous sommes déterminés, je n'avais pas oublié, maintenant je pense avoir reçu du bon Dieu un soupçon de liberté - sinon effectivement autant se coucher et mourir.

    Vous êtes infâme de parler d'altruisme quand je songeais à de la charité. Voilà un gros mot que je n'avais pas prononcé, au moins. Mais peut-être pensez-vous que les vertus théologales ne sont d'aucun secours dans cette chose si triviale, si sociale qu'est le couple. Après expérience (mais dix ans, ce ne doit être rien je suppose) je ne suis pas de cet avis.

    Et vive Corneille, zut (en voilà un qui s'y connaissait en gloire, justement).

  • Ah oui, d'être privée de liberté, c'est ça qui vous donnerait envie de vous coucher et de mourir, Nadine ? Moi ça serait plutôt d'être privé d'amour.
    Désolé mais je trouve votre idéal un peu naïf. Parfois vous m'évoquez un peu la figure de Mme de Rênal, tout à fait le genre à aimer Corneille. C'est bien joli Corneille, Mlle, mais je ne crois pas qu'on puisse fonder une morale là-dessus. Même pas une morale aristocratique. Il y a de l'amour courtois là-dedans. Je ne sais pas si vous connaissez l'hypothèse de l'historien Duby selon laquelle l'amour courtois serait né pour servir de "couverture" à des amours homosexuelles ? C'est une hypothèse qui me séduit beaucoup, moi qui suis convaincu que c'est dans l'amitié entre deux hommes que l'on trouve le plus de pureté.

    (Ne me jetez pas votre "expérience" à la figure, Nadine ; ce n'est pas qu'elle ne m'intéresse pas mais elle doit rester hors de la discussion vu que je ne vous connais pas personnellement. Si je vous connaissais, je vous dirais peut-être : « Vous croyez que votre couple tient à telle et telle chose, Nadine, mais êtes-vous certaine qu'il ne tient pas plutôt à telle et telle autre ? »
    Ce ne sont pas vos mœurs que je me permets de critiquer, ce sont vos idées.)

  • Je ne vous jetterai plus rien à la truffe, promis. Toutefois vous auriez pu répondre sur l'idée (il faut pratiquer les vertus théologales dans la famille et particulièrement dans le couple) si elle vous paraissait mauvaise, ce qui m'étonnerait fort tout de même. Il ne s'agit pas d'un idéal, je suis une personne dénuée d'idéal je crois, je me trouve même extrêmement cynique, au sens vulgaire de ce terme. On fait les choses en les faisant ici, je ne sais trop comment dire, à chaque jour suffit sa peine en quelque sorte. Mais il est certain que ce n'est pas la seule pratique de ces vertus, largement insuffisante évidemment, qui fonde le bonheur de mon foyer, et certainement la part des déterminismes sociaux et naturels est-elle la plus importante.

    Je vous fais penser à Madame de Rênal parce que vous ne savez rien ou presque de mon mari ; il me semble - mais cela fait très longtemps que je n'ai pas lu ce livre - que M. de R. est encore plus absent du roman que Charles Bovary, ou M. de Mortsauf...

    Vous avez lu les "Morales du grand siècle", de Bénichou ? Je n'ai pas réussi à le finir (faut pas déconner) mais il me semble que ce n'est pas complètement nul, au contraire.

  • Dans une autre vie (lorsque j'étais étudiante), j'ai lu Bénichou, qui prend même la poussière au fond de ma bibliothèque. Il ne m'en reste plus qu'une impression lointaine - très positive, cependant. Grâce à vous, Nadine, il va rejoindre la pile qui prend la poussière à mon chevet!

    Vous aviez déjà mentionné cette interprétation de Duby, Lapin, qui me laisse perplexe et peu convaincue. Je suppose que vous n'appréciez pas Denis de Rougemont (serait-il existentialiste ?).

    Vous savez, Lapin, au-delà des déterminismes sociaux, ce qui cimente un couple (surtout chez les catholiques), c'est la volonté mutuelle - humaine - aidée de manière surnaturelle par la grâce divine. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'Eglise, "experte en humanité" (n'est-ce pas une expression de feu l'un de nos papes?).
    Et sans faire de la psychologie de comptoir, il me semble que la volonté ne peut que se trouver aidée s'il y a une certaine attirance ou une certaine entente affective, morale, spiritelle entre l'époux et l'épouse.
    Ne ramenez pas l'accident au niveau de l'essence, et ne faites pas de la relation entre l'homme et la femme une simple lutte de pouvoir et d'influence.

  • Bénichou, je ne connais pas, mais Rougemont Duby le citait comme une référence à propos de l'amour courtois, avant d'émettre une hypothèse différente de celle de Rougemont en se basant sur de nouvelles archives - une hypothèse nouvelle qui n'est pas d'ailleurs en contradiction avec l'idée de R. selon laquelle l'amour courtois aboutit à la destruction du mariage. Mes idées sont proches de celles de R., mais il est un peu trop idéologue à mon goût.

    Je désespère de vous convaincre, Mlle, puisque vous vous ralliez finalement à la doctrine de Nadine. Confondre l'accident et l'essence, comprenez bien que de mon point de vue c'est exactement ce que vous faites toutes les deux.
    Je voudrais que vous m'accordiez une chose, Mlle, reconnaissez au moins que la doctrine conjugale chrétienne contemporaine est essentiellement véhiculée par des femmes et que les hommes y sont souvent, sinon hostiles, du moins indifférents.

    J'en reviens encore à Duby et à son ouvrage majeur sur les "Dames du XIIe siècle". Il signale dès le début du XIIIe siècle une des premières formes d'anticléricalisme - de la part des chevaliers, hostiles au rapprochement entre les hommes d'Église et leurs épouses, particulièrement en leur absence. Amusant, n'est-il pas ?

    Un dernier point que vous me contesterez peut-être, mais qu'il ne me sera pas alors difficile d'établir : les Pères de l'Église racontent souvent n'importe quoi, se contredisent les uns les autres, saint Augustin y compris, et ça serait plus qu'un miracle que dans tout ce que saint Augustin a écrit, il n'y ait pas des conneries, des interprétations farfelues - "a fortiori" les derniers papes, dont selon moi la liberté d'expression est fortement limitée, aujourd'hui particulièrement.

  • C'est toujours frustrant de s'apercevoir que les mots sont impuissants à transmettre les idées, quand ils ne contribuent pas à déformer ce que vous vouliez dire... (autres interprétations possibles: je manque de vocabulaire, ou je n'ai pas d'idées, mais là je serais très, très vexée).

    Première cause de surprise: en prenant l'exemple de Corneille, je n'avais pas particulièrement l'impression de défendre Nadine. Entendons-nous bien, Nadine, je ne cherchais pas plus à vous attaquer qu'à vous défendre, je cherchais simplement à exprimer quelques convictions personnelles qui, à certains égards, me paraissaient plus proches de celles de Lapinos que des vôtres. Apparemment, j'aurais "échoué" sur tous les plans.

    Parenthèse pour le lapin : reconnaissez qu'il est plutôt cocasse de lire sous votre plume que R. trop idéologue pour vous. Comme on dit familièrement, c'est l'hôpital qui se moque de la charité.

    Vous me parlez, Lapin, de la doctrine conjugale contemporaine. Je vous avoue ma perplexité : comme je suis célibataire, je n'ai pas encore eu droit à la "préparation au mariage", je ne sais donc pas ce qu'il s'y raconte ; d'autre part (vous l'avez peut-être deviné), je suis ce qu'on appelle une "tradi", les mauvaises langues disent une intégriste, et les gens mal intentionnés vont même jusqu'à prononcer le mot "psychorigide" (suivez mon regard); je ne suis donc pas sûre d'avoir la même approche du sujet que... disons les lecteurs d'un certain hebdomadaire familial catholique...
    Je crois que la raison du mariage est la procréation et l'éducation, et, par là, la sanctification des époux. Je crois, avec saint Paul, que le mariage est grand, parce qu'il est l'image de l'union du Christ avec son Eglise. Il me semble qu'on aime aussi parce que l'on veut aimer (à l'image de la Foi). Je pense aussi (mais là c'est peut-être un avis plus personnel, et donc peut-être, pour vous plus moderne) qu'il est plus facile d'exercer sa volonté dans un environnement culturel, social et affectif favorable, et donc je n'exclus pas que le sentiment amoureux (qui évolue au fil du temps) ne puisse aider à consolider la vie de famille, même si je sais bien qu'il n'est pas le seul sur lequel il faille compter.

    Et puis, lorsqu'on dit "oui" à l'autel, vous savez bien, Lapin, qu'il y a en réalité trois être qui s'engagent : le marié, la mariée et Dieu, qui leur promet sa grâce et son aide indéfectible.

    Après, ce ne sont que des mots....

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