Interrogée, Laure Manaudou déclare : "Demandez aux Français dans la rue s'il y en a un qui refuse une médaille d'or aux J.O., bien sûr personne ne dira non !" Suit un petit discours sur le plaisir et l'honneur qu'il y a à gagner une médaille pour son pays. Orgasmique. D'autant plus que notre sainte laïque porte déjà à moitié sa croix, de cette médaille gagnée jadis.
Dans le même esprit : "Jette un os à moelle à une bande de chiens errants, sûr qu'il n'y en a pas un qui ne va pas se jeter dessus !"
Je m'intéresse à Laure M., prédestinée à la gloire, à cause du problème de l'évolution. Plongée dans un milieu aquatique qui n'est pas le sien, plusieurs heures par jour, la nageuse évolue-t-elle afin de s'adapter à son nouveau milieu ? Je sais bien qu'il est interdit de faire ce genre d'expériences nazies sur les êtres humains, mais comme les entraîneurs sportifs ne peuvent pas s'en empêcher, observons les résultats... Je remarque bien une ou deux métamorphoses, mais pour ce qui est du patriotisme, c'est sûrement la chose la plus innée dans l'espèce humaine, comme sucer son pouce. Pratiquement, d'une personne qui est encore patriote à l'heure de mourir, on pourra dire qu'elle n'a jamais quitté le milieu aquatique. Bien sûr ça n'empêche pas Laure M. de vivre aux Etats-Unis. Comme le patriotisme se rapporte d'abord à soi, il est transportable partout.
La condition indispensable pour faire un bon sportif de haut niveau, et établir ainsi un rapport fructueux entre le bourreau (l'entraîneur) et sa victime (le sportif au potentiel génétique exceptionnel), c'est le tempérament masochiste du cobaye, son endurance à la douleur et à des exercices physiques dont la stupidité n'est pas forcément l'aspect le plus facile à supporter. A priori, un gosse en bonne santé n'a aucune raison d'être masochiste et de se prêter aau jeu pervers de l'entraînement intensif. Sans de mauvais traitements préalables, ou la privation bien orchestrée d'un but sérieux dans la vie, on risque de manquer de sportifs de haut niveau potentiels.
Il faut aussi parler d'une tierce personne, qui n'est ni le bourreau, ni la victime, mais le voyeur (le journaliste). Il est à chaque fois ému à péter son noeud de cravate, de telle ou telle performance, comme un puceau qui pénètre dans un lupanar pour la première fois. Bien sûr, il est payé pour être ému, sinon il le serait peut-être un peu moins. Et encore, ce n'est pas sûr, car le voyeur à une aptitude particulière à s'émouvoir de rien ; il est équipé d'une lunette qui transforme le moindre détail en fait historique ; comme le fétichiste qui jouit plusieurs fois, tandis que vous ne vous êtes rendu compte de rien à côté. Le journaliste sportif est toute peau, sans aucun muscle, ni os : il a sacrément de la chance que de jeunes types et de jeunes gonzesses rudement beaux et rudement forts triment comme des cons à sa place. Un maquereau a moins de raisons de se réjouir.
Exactement comme la guerre au cinoche : dans la bouche d'un journaliste, le sport est toujours propre, beau, sain, encore mieux gaulé qu'un jeune blond aryen, puisqu'il est compatible avec les droits de l'homme.