Il semble que par “mourir dans la dignité”, le bourgeois entende “mourir sur un plateau de télé, interviouvé par Jean-Luc Delarue, Frédéric Taddéi ou Marc-Olivier Fogiel”, un désir dans ce goût-là.
Si l’on a une idée plus classieuse de la dignité, plus “cadre sup. de la République”, on se tournera plutôt vers la sœur de Lionel Jospin : le physique spectral de Noëlle Châtelet la prédispose en effet à réciter des vers républicains sur la dépouille des héros ou des martyrs de la laïcité.
On peut s’amuser à imaginer ce que serait la liturgie laïque si les bourgeois étaient moins guindés et plus imaginatifs, s’ils lisaient un peu plus Homère et un peu moins Harry Potter.
Il faut dire que tout ça n’est qu’un pis-aller. La mort pour le bourgeois est une extrémité regrettable, voire un “extrémisme”. Que les extrémistes de droite meurent, ou les communistes révolutionnaires, ce n’est que justice, mais le bourgeois, lui qui est si raisonnable, si modéré dans ses propos et ses institutions, qui ne fait jamais la guerre sans avoir une bonne raison de la faire, lue, approuvée et tamponnée ?
Non, en principe le bourgeois ne veut pas mourir, et on aurait tort de croire que l’inaction lui pèse. Au contraire, il ne se lasse pas de se contempler, de se remémorer les détails les plus insignifiants de son enfance. « Le 19 mars, je me suis branlé… », il met une croix dans son calepin pour se souvenir, au cas où il ne lui adviendrait rien d’autre.
Même la mort de ceux qu’il condamne finit par indisposer le bourgeois. Car elle lui fait penser à la sienne propre, de mort. « Tuez Saddam puisque la Cause l’exige, puisque c'est un extrémiste, mais avec doigté, euthanasiez-le - la technique c’est pas fait pour les chiens, bordel de Dieu ! »
Puisque Dieu n'existe pas, le bourgeois a décidé de prendre son destin en main. Et le moins qu'on puisse dire c'est que le monde entier lui envie ses rites funéraires.
Ou alors c’est, à l’autre bout, la larve humaine immonde qui pousse le bourgeois vers la sortie (en déformant odieusement sa bourgeoise au passage). « Etouffez-moi ça aussi, et en silence, de grâce ! ». Lorsqu’on aura trouvé un meilleur moyen de régler définitivement la question du patrimoine et de sa transmission par des voies moins barbares, alors il sera temps d’abolir la naissance, principale cause d'inégalité comme chacun sait, la chose se démontre aisément par l'algèbre.