La chaîne "Arte" continue le procès surréaliste de L.-F. Céline et a diffusé il y a quelques jours une émission bel et bien intitulée "Procès de Céline", consistant à regrouper des témoignages à charge et à décharge, surmontés d'une "voix off" féminine, censée incarner la justice et aider le téléspectateur à se forger une opinion, c'est-à-dire un verdict. Le témoignage le plus intéressant est celui de Céline lui-même, filmé de son vivant dans la position du suspect.
Ce procès est surréaliste, puisque L.-F. Céline est décédé. Il est aussi surréaliste, car Céline a gagné son procès depuis longtemps. Il l'a gagné dans l'ordre temporel où ses juges veulent exercer leur justice, puisque ses oeuvres ont fait sa gloire dans le monde entier. La manie de juger et de condamner autrui, elle, est un réflexe si répandu parmi les hommes que les juges tombent dans l'oubli aussitôt après leur mort.
Bien sûr Céline pressentait cette grâce future de son vivant : on doute de sa sincérité quand il s'enthousiasme pour le cinéma, car quel cinéma de guerre possède la puissance d'évocation du "Voyage" ? Non, ce que Céline redoute plutôt c'est que, dans un avenir proche et à l'aide du cinéma, on parvienne à abolir l'esprit critique. Il cherchait plutôt selon moi à évaluer la capacité de nuisance du cinéma. Quel pacifiste n'a conscience que le cinéma a pour principale fonction d'éveiller l'instinct guerrier dans les classes populaires dont ce n'est pas le métier de faire la guerre ? Seuls les pacifistes parfaitement insincères : les casques bleus ou les curés catholiques romains.
Pour échapper à la justice de son temps, Céline fait preuve d'une astuce presque "théologique" : il déclare aux journalistes-juges qui le questionnent qu'il désire mourir, autrement dit qu'être honoré ou trouver sa place parmi ses contemporains, non seulement lui est parfaitement indifférent, mais ne lui semble pas désirable.
Le jugement ne concerne pas Céline, bien sûr, sa place dans le Panthéon en compagnie d'autres assassins ; il concerne le présent, puisqu'il s'agit de faire un exemple. Non pas de protéger les biens privés des atteintes que lui font régulièrement subir ceux qui ne possèdent pas de biens, mais plutôt de protéger la religion mystique qui entoure la propriété, de sorte que celle-ci soit encore mieux protégée. C'est ce qui explique que Céline soit traité en "gangster des lettres".
Un esprit mutin observera que ce procès est instruit sur "Arte", chaîne de la collaboration franco-allemande nouvelle, dont rien ne prouve que le mobile principalement industriel et financier soit moins obscur que celui qui fonda la précédente collaboration. Pour ainsi dire comme Céline, la cause pacifiste, présentée comme le but métaphysique de cette nouvelle collaboration est une pure foutaise, largement bâtie sur le dos des juifs qui ne sont pas actionnaires de ce projet. Le principal tort de Céline est de confondre juifs et banquiers, de dire que Léon Blum est juif ; or ce cafouillage de Céline est devenue une doctrine officielle.