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  • Tirer le portrait

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    D'avoir pu admirer en passant deux ou trois portraits magistraux du Titien et de Vélasquez dans le nouveau temple japonais de la Joconde, à une heure silencieuse, m'a fait changer d'avis. Tant pis pour Clarisse Strozzi, j'ai choisi plutôt le Grand Palais et les "portraits XVIIIe et XIXe". Une expo plus didactique, limite intello, mais les bobos devant les Titien au Luxembourg… leurs réflexions étranges et cocasses m'auraient déconcentré et auraient gâché ma joie à coup sûr – des perles pour les cochons du Marais ou de Saint-Germain-des-Près.

    Comme on sait, la fin du XVIIIe est une période de grand chambardement, la période où l'art aristocratique jette encore quelques flammes : David, Ingres, Géricault, et puis la nuit.

    « En vérité, écrit Gautier en 1837, il faut une grande puissance d'idéalisation pour parvenir à faire quelque chose de beau et de poétique au milieu de toute cette laideur et de toute cette pauvreté de forme où nous sommes arrivés. » Il en a de bonnes, Gautier ! C'est à pleurer… Nous autres, citoyens de la Ve, on tire la langue jusque par terre de soif, on a pas Delacroix, pas même Daumier, Guys ou Decamps, Chenavard, rien, on a plus qu'à lécher les murs du Louvre. Un Winterhalter surgirait aujourd'hui, on le prendrait pour un géant ! C'est dire si nous sommes nabots… Baudelaire n'aurait certes plus la candeur d'interpeller le bon sens du bourgeois…

    Dans cet ensemble hétéroclite de figures peintes ou sculptées, on peut faire le tri. On passe du pur-sang au baudet. Girodet peut-il aider le profane à piger pourquoi Goya est grand ? Encore une fois, il est permis d'en douter.
    Il y a d'autres angles de réflexion, les commissaires des musées en fourbissent quelques-uns dans leur gros catalogue. Guilhem Scherf est celui d'entre eux qui galvaude le moins l'intelligence de l'art avec des notices qui ne sacrifient pas à la mode du flou philosophique.

    L'avènement de la bourgeoisie, écrit Scherf, dont je traduis quand même le langage de fonctionnaire un peu guindé, explique cette prolifération de portraits d'inégale qualité. Les bourgeois se prennent pour des maîtres et voudraient tous être aussi immortels que les aristocrates qu'ils ont renversés. La demande augmente, il faut y répondre en proportion, mais cette proportion implique une baisse de la qualité.

    Par leurs idées bizarres aussi, les bourgeois font du tort au portrait. Ils n'hésitent pas à se faire portraiturer en couple, quand ce n'est pas carrément en famille, au milieu du salon ; surtout ils ont du mal à contenir leur sentimentalisme. Beaucoup de ces tableaux peuvent être regardés, au second degré, comme des tableaux comiques, tant certaines poses des nouveaux maîtres sont ridicules. La caque sent toujours le hareng. Est-ce Monsieur Bertin qui est immortel ou bien sa dégaine de patron de presse ?

    On débouche ensuite sur de petites controverses amusantes, qui n'ont pas grand-chose à voir avec la peinture, mais il est difficile d'empêcher les didacticiens de l'art, même les meilleurs, de spéculer. Par exemple : le modèle a-t-il quelque part dans la réussite d'un portrait ? En ce qui me concerne, j'ai l'intime conviction que l'abstraction, ou l'idéalisation si on préfère, a des limites. Une intime conviction fondée sur des évidences.
    Ou encore ce point d'interrogation : la ressemblance avec le modèle est-elle importante ?
    Ce sont des questions qui feraient sourire un peintre s'il n'était agacé de voir qu'elles ont relégué la peinture au second plan. Elle ne fait plus partie de la vie, ce n'est plus qu'une toile de fond.