Un peu plus et j'oubliais ce que j'étais venu faire dans ce rayon. Les bouquins de Marx et les bouquins sur Marx sont malheureusement classés au rayon "Philo" : contre le poids des préjugés, il est difficile de lutter.
Yves Quiniou, ça tombe à pic, se propose de bousculer quelques-unes des idées reçues sur Marx. Décidément, après le Père Le Calvez, encore un Breton… On peut dire que la Bretagne participe à l'exégèse marxiste ! Il est vrai que Marx a été exilé dans le Morbihan, je crois - mais ceci est une autre histoire.
Et puis des bouquins autour de Marx, il y en a des centaines, des milliers, une vraie jungle. Autant éliminer Jacques Ellul tout de suite, obscur penseur démocrate-chrétien qu'on réédite parce qu'il ne mange pas de pain ; fatras incohérent, même pas sûr qu'Ellul ait vraiment pigé le propos de Marx…
R. Aron est plus intéressant, mais un peu trop "pontifiant" à mon goût, pas assez dynamique, un centriste de plus. Althusser n'est pas mal non plus, le cas d'un professeur qui étrangle sa femme, c'est forcément plus pittoresque que le cas d'un travailleur de force qui étrangle sa femme. Sur la différence entre la vision de Hegel et le regard critique de Marx, Althusser dit des choses intéressantes ; le seul problème c'est qu'il s'exprime sous le contrôle du PCF et que ça l'oblige à alambiquer son propos au maximum pour que les cadres du Parti ne le comprennent pas.
Le livre de poche de Quiniou est assez clair. Sur Marx et la démocratie, par exemple : l'égalitarisme démocratique ne coïncide pas avec l'idée d'égalité qu'il y a chez Marx. L'idée du partage "équitable" des richesses, défendue par les terroristes de la Convention française, ou plus "médiatiquement" par Besancenot aujourd'hui, cette idée qui s'appuie concrètement sur la jalousie des moins riches vis-à-vis des plus riches, elle n'appartient pas à Marx. Ce que Marx explique et voulait combattre, c'est l'oppression du Capital, une oppression dont les capitalistes eux-mêmes sont les victimes. Un raisonnement "qualitatif", pas "quantitatif". D'ailleurs Marx méprise l'argent.
S'il ne se trouve aucun homme politique pour répliquer à Besancenot qu'il est écœurant et ridicule à force de pédaler derrière la cassette du CAC 40 en prenant des airs de moujik joufflu opprimé, c'est parce que ce sont tous des libéraux - de droite ou de gauche. Au fond ils partagent le même idéal que Besancenot.
De l'athéisme de Marx aussi Quiniou est précis. Peut-être ne va-t-il pas assez loin ? Sur les questions religieuses, j'ai tendance à me méfier des Bretons, des païens christianisés en surface, à l'image des menhirs christianisés qu'on voit parfois en plein champ de maïs génétiquement modifié.
Bref, voici la citation de Marx que Quiniou commente en disant qu'elle n'est pas vraiment athée : « C'est l'homme qui fait la religion, ce n'est pas la religion qui fait l'homme. » Je dirais même plus, non seulement cette manière de présenter les choses n'est pas athée, mais elle est conforme au récit évangélique, puisque Jésus bâtit son Église sur les épaules d'un homme, Simon-Pierre. Cette citation peut choquer un protestant à la limite, mais pas un catholique. Maurras, par exemple, est plus choquant lorsqu'il réduit le christianisme à un mythe - sans parler des démocrates-chrétiens qui admettent la relégation de Dieu dans une sphère privée fictive en se fondant sur une interprétation truquée de l'Évangile de Matthieu.
yvon quiniou
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Marx au pays des menhirs