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  • Alain Soral, idiot utile ?

    Le combat dAlain Soral et de son comparse Dieudonné contre le puissant lobby sioniste est un exemple de bravoure ; mais Don Quichotte ne manque pas de courage non plus

    Le lobby sioniste est-il un moulin-à-vent ? On peut penser en effet que ce groupe de pression na pas dautre grain à moudre que lantisionisme, quoi qu'il semble exercer une surveillance rapprochée de la classe politicienne ; mais avant de développer cet argument, je voudrais expliquer en quoi le propos dAlain Soral rejoint celui de George Orwell, et en quoi il sen éloigne.

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  • Marx contre Mélenchon

    Le capitalisme se présente à peu près comme un nouveau destin, un phénomène sur lequel le discours politique n'a pas de prise. Deux ou trois générations de Français et d'Allemands ont été bernées par le discours écologiste, et continuent de l'être puisque l'irrationalité de l'économie capitaliste interdit une gestion raisonnable des ressources humaines et naturelles. Le discours écologique se présente donc comme une ruse capitaliste.

    En même temps que la critique du capitalisme a disparu du débat public, le nombre de ses victimes n'a fait que s'étendre : la classe moyenne française ne peut plus ignorer que cette économie ne repose pas seulement sur l'exploitation de travailleurs chinois, indiens, ou africains, elle a en outre des conséquences antisociales dans les pays développés. On peut traduire le large mouvement des Gilets jaunes comme un mouvement de ras-le-bol du capitalisme ; la diversité d'opinion des manifestants ne fait que traduire la diversité des sensibilités ; ainsi, les "antivax" sont particulièrement sensibles aux effets délétères de l'économie capitaliste sur la santé publique.

    La critique marxiste n'a donc rien perdu de son actualité, un siècle et demi plus tard. Je viens d'en donner un exemple : elle permet de déceler facilement que l'écologie politique est une grossière supercherie ; le primat irrationnel de l'énergie nucléaire porte la marque de l'économie capitaliste ; précisons, pour les Gilets jaunes qui n'en auraient pas conscience, que le développement de l'énergie nucléaire s'accorde le mieux avec le principal irrationnel de croissance à l'infini.

    Venons-en au sujet qui justifie le titre de ce billet : l'éradication par les partis populistes de la critique marxiste. Il me semble inutile de s'attarder sur la rhétorique simpliste de Marine Le Pen et Jordan Bardella, qui consiste à poser l'équation de la critique du capitalisme et du communisme révolutionnaire. Le parti de Le Pen, depuis ses premiers succès il y a une trentaine d'année, est celui des idiots utiles du Capital : le qualifier de "fachiste" serait oublier que le fachisme est une conséquence avant d'être une cause de catastrophe politique. Si la critique marxiste du roman national républicain a été censurée, ce n'est certainement pas à cause des idiots utiles du Front national.

    On connaît les modalités de défense de la classe moyenne par les partis subventionnés par des oligarques pour tenir en respect la classe moyenne : elles consistent à confier le destin de la classe moyenne à la Commission européenne, elle-même sous tutelle de l'OTAN.

    Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon sont moins hostiles a priori à la critique marxiste que ceux de Le Pen ou Macron, mais ils l'ignorent absolument, pour une raison que l'on peut élucider d'emblée : J.-L. Mélenchon est d'abord le représentant de la fonction publique, et non de la classe moyenne. Cette dernière subit les conséquences de l'incapacité de l'Etat capitaliste à se réformer, que les fonctionnaires ont tendance à ignorer, comme si l'Etat capitaliste totalitaire se limitait à la police et l'armée ; la logocratie, dont G. Orwell a fait le thème central de sa dystopie, se présente avant tout comme une police de la pensée.

    Le thème de la "souveraineté populaire" et du "suffrage universel", qui font partie de la rhétorique de LFI, participent de cette police de la pensée, tout comme la théorie révolutionnaire de conquête du pouvoir par les urnes, dont le cousin grec de J.-L. Mélenchon, A. Tsipras, a naguère démontré l'inefficacité.

    Le parti de J.-L. Mélenchon se présente comme le principal moyen de censure d'une critique marxiste qui n'épargne pas l'Etat républicain et ses institutions bonapartistes. Le gaullisme ou la Ve République se présentent du point de vue marxiste, comme un phénomène de sclérose bonapartiste : en effet les élites françaises, autoproclamées "libérales", n'ont pas su mettre à profit la période des "Trente glorieuses" pour assouplir l'absolutisme de l'appareil d'Etat, que seuls justifiaient les désordres consécutifs à la Seconde guerre mondiale.

    On a bien entendu parler de "mammouth" à propos de l'Education nationale monopolistique, mais rien n'a été fait concrètement pour la réformer. L'absence de liberté politique a été dissimulée derrière l'alternance "gauche-droite", principale cause du mouvement des Gilets jaunes, qui s'opposent à cette pseudo alternance comme "Mai 68" s'opposa au régime gaulliste.

    Ce sont le plus souvent des militants de Mélenchon, abrutis par de pseudo-économistes, que l'on entend dire que "la dette n'est pas un problème" : ils sont, sur ce plan, plus capitalistes que les oligarques capitalistes eux-mêmes. En effet, si l'endettement n'est pas un problème, alors le capitalisme n'en est pas un, puisque l'endettement à l'infini EST le b.a.-ba du capitalisme financier, tout comme le "bitcoin". Il faut préciser que ce sont là deux modalités financières, à la fois extra-économiques et purement mathématiques.

    Le capitalisme étatique, qui est la doctrine antimarxiste de J.-L. Mélenchon, est une sorte de cigarette dotée d'un filtre : elle retarde peut-être l'effet du cancer, mais elle a l'inconvénient de le dissimuler mieux qu'une cigarette sans filtre.

    Disons pour conclure pourquoi la critique marxiste s'oppose au "partage équitable des richesses" : non seulement elle permet de comprendre pourquoi la théorie d'un Etat honnête régulant un Capital malhonnête est une leurre, mais la critique marxiste s'oppose à la théorie totalitaire du bonheur quantique, proportionné aux revenus du Capital.

    L'égalitarisme n'est autre que la formulation juridique du bonheur quantique totalitaire. La critique marxiste rejoint sur ce point Orwell : l'illusion égalitariste est un mirage capitaliste - pire, un nihilisme déguisé en idéalisme : c'est le chiffon rouge agité par le toréador pour mieux planter ses dards dans le taureau : le peuple, réduit à une masse.

    Bien mieux que J.-L. Mélenchon qui s'assied dessus, la critique marxiste est propice à restaurer l'esprit critique des Français, face à un régime oligarchique qui s'époumone en discours démagogiques divers et variés. La dissolution de l'Assemblée n'est pas une tactique du chef de l'Etat seul : c'est un moyen constitutionnel typique d'une institution bonapartiste, cautionnée par l'ensemble de la classe politique et au-delà. Le risque de "guerre civile" vient du sommet de l'Etat, et cela depuis Napoléon III, qui la déclencha.

    Mélenchon et ses militants antifachistes romantiques feraient mieux de se souvenir que, si les massacres de la Commune de Paris sont imputables à Napoléon III et aux industriels qui le soutenaient, la Commune était vouée à l'échec, un échec dont le petit peuple de Paris a payé le prix, exactement comme la ligne de défense ukrainienne paie le prix de la rivalité sinistre entre le bloc russe et le bloc OTAN.

    Les Gilets jaunes ont montré l'exemple bien plus utile d'une résistance passive aux injonctions de l'oligarchie et ses employés. En participant aux élections européennes, les partis de Le Pen et Mélenchon ont rétabli la Commission dans ses droits et piétiné la défiance utile répandue par les Gilets jaunes.

    Mélenchon et Bardella se plaignent des maléfices d'un système qu'ils contribuent à alimenter : ils entraînent une partie de l'opinion publique sur le terrain de la tactique électorale où l'oligarchie et ses employés n'ont de cesse d'entraîner les Français.

  • Michel Onfray est-il sérieux ?

    Je fais plus attention à Michel Onfray qu'à d'autres philosophes de plateaux télé ; je le surnomme "le janséniste", par opposition au "jésuite" Bernard-Henri Lévy ; le terrorisme intellectuel de ce dernier peut sembler un emprunt direct à Trotski, mais les méthodes de Trotski ne font elles-mêmes que répéter celles des jésuites ; Lénine (de son propre aveu) fut une sorte de Louis XIV russe.

    De la campagne normande où il s'est retiré, Michel Onfray refuse de se soumettre entièrement aux anathèmes et excommunications de BHL. Les thèmes abordés par Michel Onfray sont le plus souvent des thèmes subversifs ; mais la manière dont il les traite est systématiquement décevante.

    Ainsi le thème de l'athéisme méritait d'être traité de nouveau à une époque où l'athéisme a perdu la dimension critique qu'il a pu avoir aux siècles précédents, pour devenir un fanatisme séculier, articulé autour de l'idée de liberté, de démocratie ou d'égalité, non seulement en France mais aussi en Chine et probablement en Russie, dans tous les pays totalitaires. Au lieu d'aborder la question sous cet angle (où est passé l'athéisme critique des Lumières, l'athéisme de Marx, celui de Nietzsche ?), M. Onfray préfère aboyer, tel un bon bourgeois, contre l'islam radical, qui n'est qu'un épiphénomène politique.

    De même pour Sigmund Freud et la psychanalyse : une critique sérieuse s'imposait à l'heure où le clergé médiatique radote les concepts creux d'un Boris Cyrulnik, tout en se gavant de pilules aphrodisiaques et dopantes. M. Onfray s'est contenté de dire que la psychanalyse n'a pas été conçue pour les pauvres gens, ce qui est une remarque largement insuffisante.

    A chaque fois que M. Onfray a mis les pieds dans le plat et franchi la ligne jaune tracée par le général des jésuites, je me suis donc fait cette réflexion qu'il avait le culot d'aborder un sujet tabou, avant de constater qu'il le traitait de manière superficielle. Je l'entendais récemment (en différé) se vanter d'avoir écrit cent-cinquante bouquins. Ceci explique peut-être cela. Une autre explication m'est venue en l'entendant dire, quelques minutes plus tard, que Jésus-Christ et le christianisme n'intéressent quasiment plus personne que lui et quelques moines plus très verts en 2023. Etonnante assertion !, mais qui n'est pas entièrement fausse si l'on adopte un point de vue strictement franco-français. Encore faut-il dire qu'il y a, en France, des fillettes de douze ans qui ont une connaissance plus approfondie des évangiles que Michel Onfray - au moins celle que j'ai rencontrée l'année dernière (cela suppose l'intérêt de ses proches parents). Là où Michel Onfray ne voit qu'un tas de cendres, il y a peut-être encore des braises qui couvent...

    Admettons que la remarque de M. Onfray soit valable pour l'Europe de l'Ouest, où la religion ne joue plus le rôle d'opium du peuple que lui attribue Marx, en raison de la hausse du niveau de vie notamment : sous d'autres latitudes, le christianisme continue d'être "effervescent" ; et pas seulement des pays pauvres et dynamiques sur le plan démographique. Compte tenu de la formule laïque américaine, héritée des Lumières bien plus sûrement que le culte de l'Etat français, la multitude des sectes chrétiennes continue d'y jouer un rôle ; le christianisme est plus ou moins synonyme de "liberté de conscience" aux Etats-Unis, face à un Etat capitaliste dont l'emprise s'étend par le biais des médias de masse et du cinéma. Si la religion est moins un opium aux Etats-Unis, c'est parce qu'elle est, depuis l'origine, populaire.

    *

    Le dernier ouvrage d'Onfray s'attaque, si je puis dire, à Jésus-Christ ; il s'intitule "Théorie de Jésus". Est-il moins superficiel que les précédents ? Je dois être honnête et dire que, contrairement aux ouvrages sus-mentionnés, je n'ai pas lu cet ouvrage récent, mais seulement entendu l'auteur développer son argumentaire et résumer sa "théorie". Mais Michel Onfray n'écrit-il pas comme il cause, et ne cause-t-il pas comme il écrit ?

    Il ne me paraît pas inutile, tout d'abord, de dire en quoi la théorie de M. Onfray diffère nettement du propos de F. Nietzsche et de celui d'Ernest Renan (qu'il cite fréquemment).

    Pour ainsi dire la thèse de M. Onfray est diamétralement opposée à celle de F. Nietzsche ; en effet M. Onfray affirme que Jésus est un personnage fictif, une invention géniale de prêtres juifs. Au contraire, selon Nietzsche, Jésus de Nazareth a bel et bien existé et le gouverneur romain Ponce Pilate a bien fait d'ordonner son exécution, hélas trop tard, avant qu'il ne répande son message, message que N. considère comme un nihilisme déguisé, destructeur de la religion et de la morale traditionnelle païenne (cf. "L'Antéchrist"). M. Onfray tient donc un discours "judéo-chrétien".

    Le propos de "Théorie de Jésus" est assez éloigné de celui d'Ernest Renan aussi : pour ce dernier, le Christ fut une sorte de philosophe (bien réel), inspiré par Dieu et réuni à Lui par l'Amour. Le propos de Renan heurtait de plein fouet le dogmatisme de l'Eglise catholique, en un temps où sa dissolution était déjà largement amorcée (je veux dire par là que Renan ne courait pas le risque de finir sur le bûcher, où d'autres ont fini pour des écrits beaucoup moins éloignés de la doctrine officielle).

    M. Onfray s'efforce donc de rapporter la preuve dans sa "Théorie de Jésus" que les témoignages historiques de l'existence de Jésus ne sont pas historiques, mais des "inventions" ou des ajouts ultérieurs. Il a beau jeu de démontrer que les preuves de l'existence de Jésus sont aussi fragiles que celles de l'existence de certains dinosaures, entièrement reconstitués à l'aide de quelques fragments de squelettes. Il a beau jeu de remarquer que les quatre évangiles dits "synoptiques" se contredisent souvent. Tout cela, les chrétiens cultivés le savent, et que beaucoup de prétendues "reliques" sont des faux ; les chrétiens moins cultivés se dispensent de le savoir, car la Foi ne repose pas directement sur l'existence historique de Jésus-Christ. La Foi repose sur les évangiles et l'exégèse de Paul de Tarse, qui leur confère un dynamisme exceptionnel*. Paul contribue tant à l'intelligence de la Foi que la théorie a pu être faite, avant celle de M. Onfray, que l'Apôtre avait inventé le christianisme de toutes pièces.

    Cela dit les commentaires de Paul ont une dimension prophétique (eschatologique) que Paul ne parvient pas à élucider entièrement lui-même. Paul est un Juif qui a compris que Jésus, dont il persécutait les disciples, est bel et bien le Messie annoncé par les prophètes juifs.

    Jésus-Christ n'était rien qu'un fils de menuisier sans intérêt, à qui personne n'avait intérêt à faire de la publicité. Le récit de sa vie par ses disciples est truffé d'épisodes symboliques car l'Histoire, au sens moderne, a été inventée par Shakespeare à la fin du XVIe siècle.

    Ce qui s'oppose le plus à la théorie d'un Jésus-personnage de fiction, est le fait que Jésus accuse lui-même le clergé juif et les pharisiens de s'être réfugiés dans une sorte de fiction (l'élection du seul peuple hébreu), éloignée de la Vérité universelle contenue dans les prophéties.

    Il est étonnant que Michel Onfray ramène Jésus à une fiction géniale, féconde, etc., dont le message consiste à dire que l'Amour est inaccessible à l'être humain sans l'intermédiaire de Dieu - encore plus inaccessible que la compréhension par l'homme du monde qui l'entoure. Nietzsche se contentait de dire que l'Amour est fictif, et qu'il n'y a que du désir.

    Dieu est lui-même très souvent fictif, le fruit d'une spéculation humaine ; on pourrait dire que l'Etat totalitaire athée est une telle divinité, fruit du calcul des hommes, très largement artificielle ("L'Etat n'est rien." rappelle justement Karl Marx), mais dont la puissance de subornation équivaut à celle du veau d'or dans la Bible.

    *On pourrait dire que sans les explications de Paul, le dynamisme des évangiles est seulement latent.

  • Pourquoi le Veau d'or ?

    Je lisais récemment un ouvrage sur les dernières années de Karl Marx, entre Londres, Paris et Alger, au cours desquelles il fut durement éprouvé. Le réconfort, il le trouvait en partie dans la douleur physique, qui l'aidait à oublier ses douleurs morales. Mais son combat contre l'esclavage aussi le soutenait.

    Sur le plan intellectuel, on pourrait résumer ces dernières années à cette boutade de l'auteur du "Capital" : "S'il y a bien quelqu'un qui n'est pas marxiste, c'est bien moi !" Mi-dépité, mi-philosophe, il ne faisait ainsi que constater l'incompréhension de la plupart de ses disciples, y compris les plus proches, comme ses deux gendres français (Lafargue et Longuet). Quand il confia ses ouvrages à des traducteurs, Marx fut souvent confronté à la même incompréhension du sens de son analyse scientifique. La faute de l'auteur, trop... subtil ? Voire. Je constate, lisant et relisant Shakespeare, qu'une même pièce donne lieu parfois à des commentaires diamétralement opposés. L'intelligence humaine est limitée.

    D'autre part, au cours de ma pratique prolongée de l'art (plastique), j'ai constaté le goût inné de l'être humain, persistant s'il n'est pas éduqué, pour les choses complexes. A posteriori je me suis aperçu que ma vocation artistique était surtout une aspiration de ma part à la simplicité. Je ne connais aucun artiste véritable qui n'ait accompli un chemin du complexe vers le simple. Le capitalisme a d'abord été pour moi une machine infernale à fabriquer des choses complexes, de plus en plus inutiles.

    Mais revenons à Marx. Incompris, il le fut en France, y compris après sa mort. Il me semble en élucider la principale raison en disant que l'Etat a été élevé en France au rang de divinité tutélaire, suivant une tradition multiséculaire (de Louis XIV à de Gaulle en passant par de nombreux despotes) ; les Français sont ainsi prédisposés à voir en Marx un blasphémateur. La preuve, Tocqueville n'a pas eu beaucoup plus de disciples, sans doute pour la même raison. On parle de démocratie en France comme on parle d'écologie, histoire de passer le temps, et parce qu'il faut bien que les jeunes gens agitent des hochets pendant que les vieillards tirent les ficelles.

    Le destin ne se serait-il pas montré moqueur avec Marx ? En effet, lui qui se voulait "athée", est resté dans la mémoire collective, à juste titre me semble-t-il, comme le dernier adversaire du "Veau d'or", le dieu des bourgeois, ennemi du Vrai Dieu dans la Bible. De son vivant, Marx a suscité l'enthousiasme de quelques chrétiens, qui retenaient surtout de son travail cet aspect. Il a toujours repoussé avec mépris cet "enthousiasme chrétien".

    L'auteur de ce bouquin sur les dernières années de Marx (Marcello Musto) signale le peu d'intérêt de Marx pour les textes sacrés.

    Néanmoins Marx fut un lecteur très attentif de Shakespeare. Sa conception de l'argent, par exemple, en découle entièrement. L'idée que l'argent est bien plus qu'un simple moyen d'échange, la dimension charnelle de l'argent, a été exhibée par Shakespeare dans "Le Marchand de Venise". Or Sh. est entièrement imprégné de la Bible. Le personnage du Juif Shylock a été conçu par un auteur qui n'ignore aucune ligne des épîtres de Paul.

    De plus le peuple Hébreu, fuyant l'Egypte à travers le désert, est une métaphore de l'Histoire. Et cela, Shakespeare l'avait compris bien avant Marx.

    Or la Bible, à travers la fable du Veau d'or, illustre la tendance innée de l'homme - de l'homme au niveau de l'instinct - à l'idolâtrie. Pourquoi le peuple juif trahit-il Moïse et le vrai Dieu au profit du Veau d'or ? La Bible répond : parce qu'il a peur. L'homme est idolâtre par nature. C'est d'ailleurs pourquoi l'athéisme, d'une certaine façon, n'existe pas, mais beaucoup se contentent d'obéir aux ordres de l'argent, le plus humain des dieux, et n'en veulent pas d'autre.

  • Du Totalitarisme

    Pour un disciple de Karl Marx, le "totalitarisme" peut se définir comme la formule chrétienne de la dictature.

    K. Marx a ainsi immédiatement dénoncé les "Droits de l'homme" comme une ruse bourgeoise impérialiste ; "bourgeoise" c'est-à-dire chrétienne.

    K. Marx écrit ainsi : "La démocratie est à tous les autres régimes politiques ce que le christianisme est à toutes les autres religions."

    K. Marx sait-il que le "christianisme" dont il parle est satanique, contrecarrant l'avertissement divin : "Mon Royaume n'est pas de ce monde." ?

    Intéressons-nous plutôt à Shakespeare, vers qui Marx remonte comme Freud remonte à Platon.

    - Shakespeare est à la fois plus difficile et plus simple que Marx. Plus difficile, car notre époque en proie à l'intellectualisme a pris ses distances avec les récits mythologiques qui formaient le socle de la culture et de la sagesse antiques.

    La culture bourgeoise est une culture romanesque, privée de mythologie... Shakespeare est isolé au sein de la culture bourgeoise comme Hamlet est isolé au Danemark.

    On peut définir l'art de Shakespeare comme l'inverse de l'art cinématographique ; Shakespeare n'a rien de fascinant. La culture et la critique littéraires bourgeoises ont donc creusé un fossé entre Shakespeare et l'homme moderne.

    Cependant Shakespeare est plus simple que Marx car la mythologie va à l'essentiel. Shakespeare est beaucoup moins démonstratif que Marx. Shakespeare se débarrasse de l'intellectualisme en le caricaturant sous les traits de Polonius et en l'expédiant dans l'au-delà d'un coup d'épée.

    Il y a de nombreux points de correspondance entre Homère et Shakespeare, néanmoins Homère n'a pas connu la Révélation ; il n'a connu que l'Ancien testament.

    Francis Bacon explique d'où le mythe tire sa force et pourquoi il n'est pas démodé. Le théâtre de Shakespeare s'avère l'oeuvre laïque chrétienne la plus anticléricale de l'Occident moderne. Il est difficile de ne pas y voir la main de F. Bacon.

    - L'athée Georges Orwell a donné dans la fable "1984" une description assez précise du gouvernement totalitaire. Cette fable souligne le rôle décisif joué par les intellectuels dans la dictature socialiste de "Big Brother". Les intellectuels contribuent notamment à élaborer une "culture-opium" et à concevoir la "novlangue", qui ramène le langage humain au niveau d'un simple outil de communication animal.

    La foi chrétienne dispose mieux que l'athéisme à voir dans le totalitarisme un satanisme, c'est-à-dire non pas une simple dictature destinée à assurer la domination d'une petite élite sur une majorité d'hommes soumis (dans ce cas la dictature ne se présenterait pas sous la forme paradoxale ou complexe décrite par Orwell), mais un régime disposé et orienté contre la foi chrétienne, c'est-à-dire contre la Révélation.

    Bien qu'il soit athée, la réaction d'Orwell s'explique (il l'explique lui-même ainsi) par sa volonté de ne pas sombrer dans la folie ; Orwell est conscient qu'il n'y a pas de raison humaine autonome.

    La "Vérité", avec tout ce qu'elle suppose d'ardu et de risqué pour l'homme, a pour Orwell comme pour Marx une importance capitale.

  • Marx et le 1er Mai

    Il n'y a pas de fête moins marxiste que le 1er Mai.

    La célébration du Travail est commune à tous les régimes totalitaires, du nazisme le moins dangereux, jusqu'à la démocratie-chrétienne le plus dangereux, en passant par le régime soviétique.

    Pourquoi la démocratie-chrétienne est-elle le plus dangereux des régimes totalitaires ? Je l'ai expliqué ailleurs sur ce blogue, plus en détail : la démocratie-chrétienne recèle le mobile pour comprendre le totalitarisme, qui consiste dans l'antichristianisme. Cet antichristianisme est d'autant plus efficace qu'il s'avance masqué derrière un discours chrétien.

    - Chercher à comprendre le totalitarisme à travers le nazisme, c'est chercher à le comprendre à travers le régime le moins cohérent. Quant aux soviets, ils procèdent à la manière d'un clergé laïc, promettant le paradis sur terre en échange du travail. 

    Il est impossible de discerner la logique totalitaire sans cet élément. Dans sa lutte sincère et désintéressée contre le totalitarisme, un athée tel que Georges Orwell finit par butter sur l'absurdité du totalitarisme, autrement dit à le considérer comme une énigme.

    - L'utopie marxiste est en réalité essentiellement une contre-utopie, une entreprise de démolition des valeurs occidentales modernes bien plus qu'une entreprise de construction d'une société nouvelle.

    La critique marxiste dévalue l'éthique totalitaire hégélienne plus radicalement que la critique réactionnaire.

    Marx dévoile également l'entreprise de divinisation de l'Etat moderne menée par le clergé catholique, préliminaire à la démocratie-chrétienne. Dieu n'est pas mort subitement, il a été progressivement remplacé par l'Etat en Occident.

    On peut parler de la démocratie-chrétienne en termes de pharisaïsme d'Etat.

    C'est un devoir pour les chrétiens fidèles, en tant que défenseurs de la Foi, de dénoncer l'apostasie démocrate-chrétienne.

  • Chrétien et/ou Gilet jaune

    Je répète depuis plusieurs années sur ce blogue ces deux choses :

    - La première est que l'idéologie démocrate-chrétienne et le capitalisme sont étroitement liés, à savoir un machiavélisme politique d'une ampleur sans précédent dans l'Histoire et une "économie" dont K. Marx a élucidé l'impulsion mystique.

    Les soi-disant "économistes" qui tentent de rendre compte de façon rationnelle du capitalisme ne parviennent pas à en rendre compte. Ce qui permet d'ailleurs de tirer un constat d'échec global de toutes les "sciences humaines" modernes, non pas faites pour éveiller la conscience mais pour l'endormir.

    - La seconde est que K. Marx a décrit il y a près d'un siècle et demi la mondialisation et ses conséquences catastrophiques ; tandis que la culture libérale impose de les ignorer. L'ignorance est une condition du capitalisme comme elle est une condition de la dictature.

    En ce qui concerne le mouvement des Gilets jaunes, de soulèvement contre les conditions de la vie moderne dans un pays relativement riche (endetté auprès de nations où règne un esclavage plus dur), il présente un avantage et un risque.

    Ce soulèvement a le mérite de mettre à jour le machiavélisme extraordinaire des élites dirigeantes, tout l'arsenal rhétorique qu'il requiert, où les journalistes et l'enseignement scolaire ont une part prépondérante dans une France en principe sécularisée. Une part de ceux qui ne distinguaient pas dans la démocratie libérale une dictature molle a sans doute été déniaisée.

    Le risque du mouvement des Gilets jaunes est d'inciter à une nouvelle rêverie politique. A cet égard, il faut dire que les chrétiens sont parfaitement dissuadés d'espérer dans la politique autre chose que ce que la nature nous permet d'attendre. Les oeuvres ne mènent pas au Salut chrétien promis par le Christ explique l'Apôtre, mettant ainsi un terme définitif à la démocratie-chrétienne, imputable à des chrétiens félons ou orgueilleux.

    Ce n'est pas l'enrichissement que font miroiter les édiles démocrates-chrétiens qui est désirable, mais au contraire la pauvreté qui est une porte ouverte sur les choses de l'Esprit.

  • Marx contre Freud (2)

    Dans un pays comme la France, où l'athéisme n'est pas seulement une critique de la religion, mais une religion à part entière, la psychanalyse et les psychanalystes comblent un vide. Cette corporation paramédicale rend service à l'Etat. En effet l'athéisme est une religion dont les sacrements et les rituels ont dû être inventés au cours du dernier siècle. Les psychanalystes jouent le rôle de confesseurs. 

    Et dieu dans tout ça ? L'Etat joue ce rôle, dans un pays dont les citoyens sont plus attachés à l'Etat qu'ils ne sont à la démocratie. La psychanalyse et les psychanalystes, en tant que nouvel opium et nouveau clergé sont une cible privilégiée de la critique marxiste.

    L'Etat-dieu, sur le plan théologique, est le terme du raisonnement anthropologique occidental, c'est-à-dire de la philosophie catholique médiévale. C'est ce qui explique que l'on peut être à la fois "catholique et croyant" et "républicain et athée" au sein de la même culture occidentale.

    En débarquant à Paris au cours de son exil forcé, Karl Marx s'attendait sans doute à trouver un peuple plus révolutionnaire. Il se faisait sans doute une idée de la France à travers sa littérature, qu'il connaissait bien et a critiquée sans complaisance idéologique, louant Balzac, raillant Racine et ses effets de manche.

    Le rapport des Français au freudisme est paradoxal, similaire à celui que les Français entretiennent avec les forces de police. La psychanalyse, germanique et médiévale, intellectualisante, s'accorde mal en principe avec l'esprit français, porté à soupçonner dans les énoncés complexes quelque escroquerie. Mais le freudisme rend à l'Etat français un service plus grand qu'aux Etats-Unis où l'on a tendance à se prosterner devant les paradoxes et les titres de "docteur" (nation propice aux escrocs). La psychanalyse est concurrencée par de nombreuses sectes aux Etats-Unis.

  • Marx contre Freud

    S. Freud (et C. Jung) ne mentionnent pas la première cause d'aliénation au sein de la société bourgeoise, à savoir l'argent. Leur principal mérite tient à cet "oubli" ; il explique la place d'honneur accordée à Freud dans la culture bourgeoise.

    Marx ne s'occupe pas du soin de l'âme, car les pauvres ne peuvent s'offrir le luxe d'avoir des états d'âme. Quand on a peine d'argent, on est souvent épargné par les peines de coeur.

    On rencontre parfois la vertu chez ceux qui se sont enrichis par leurs efforts, mais seulement à titre exceptionnel chez leurs héritiers. La mort rôde déjà autour des jeunes gosses de riches.

  • Preuves de Dieu

    Du point de vue païen, la preuve de dieu est physique ou psychologique ; il y a une forme d'humilité de la part des païens à accepter de se soumettre aux forces de la nature ; mais aussi une forme de résignation à la mort, qui est probablement l'aspect le plus antichrétien.

    Certains païens ont foi dans l'au-delà, d'autres non - l'au-delà n'est qu'une construction anthropologique, une religion faite pour rassurer le peuple.

    Du point de vue chrétien, la preuve de dieu est historique. On pourrait multiplier les exemples de bouleversements introduits par la révélation chrétienne dans le cours du monde. On se contentera ici de mentionner que la philosophie des temps modernes est axée autour de l'histoire. Sur le sujet de l'histoire, Marx, Hegel et Nietzsche ont des avis et proposent des doctrines divergentes ; cependant Nietzsche lui-même, qui s'emploie à nier que l'histoire a un sens, ne serait qu'un poète subalterne si sa doctrine ne touchait pas à l'histoire.

    On peut mesurer l'enjeu moderne de l'histoire de différentes façons, hormis la notoriété des philosophes modernes dont le propos tourne autour de l'histoire. La force d'attraction de l'histoire explique en grande partie la dévaluation presque complète de la vertu, considérée autrefois comme le plus grand des trésors. Là encore on peut remarquer que Nietzsche, acharné à restaurer la vertu contre la moraline moderne, prêche quasiment dans le vide ; ses disciples préfèrent se référer à ses avis les moins sûrs, concernant la culture antique.

    Ici il faut remarquer l'importance de la vertu du point de vue de l'homme d'élite, et l'importance de l'histoire du point de vue de l'homme du peuple. La religion de l'homme d'élite consiste dans une conception mystique de la vertu (proche de l'art). Tandis que les religions populaires ou populistes tournent autour d'une issue heureuse de l'histoire. L'extraordinaire confusion de la politique moderne résulte du fait que les élites gouvernent toujours, et le peuple jamais, mais que les élites ne peuvent plus gouverner au nom de leurs seuls intérêts...

    Il faut enfin distinguer la "preuve de dieu" de ce que Paul de Tarse nomme foi véritable, et qu'il oppose aux oeuvres prétendument chrétiennes, suivant une exégèse conforme à l'apocalypse. La preuve de dieu n'est pratiquement rien au regard de l'engagement qu'exige la foi à suivre le Christ dans son combat de propagation de la vérité.

     

  • Saint Marx

    Je ne parle pas ici de Lénine mais de Marx - précision utile, car la propagande communiste a présenté Marx comme le père de la révolution soviétique - ce qu'il n'est pas.

    Il est plus juste de définir Marx comme l'ennemi de la philosophie occidentale moderne ; comme cette définition convient aussi à Nietzsche, encore faut-il préciser une différence majeure.

    Du "veau d'or", l'antisémite Nietzsche ne parle quasi pas. Il compte même sur les riches bourgeois pour éradiquer le christianisme et le judaïsme dans les milieux populaires. Selon Marx, au contraire, le veau d'or est au centre de la tragédie moderne, dont l'Etat n'est que l'avatar juridique.

    L'incitation de Marx n'est pas à dérober leurs biens aux riches, ni même à les contraindre à un mirifique partage, mais à échapper à l'aliénation que la richesse entraîne. Du point de vue de Marx, la corruption des élites modernes est plus grande que celle du peuple (qu'il ne flatte pas pour autant, ainsi que les démagogues, mais encourage à s'affranchir).

    K. Marx défait le lien entre les élites et le peuple, que l'Eglise romaine avait conçu, soumettant celui-ci à celui-là pour des raisons divines. Le Christ fit pire encore contre la société : il délia les Juifs de l'obéissance qu'ils devaient à leurs prêtres, ayant mis à jour les manquements de ceux-ci, et leur ignorance de la prescription divine essentielle - l'amour.

  • Du Socialisme

    Je n'aime pas entendre dire que Karl Marx est socialiste ; le mépris des élites bourgeoises et de leurs calculs n'entraîne pas forcément l'amour de la société.

    La religion du progrès social est la plus fanatique et la plus ennuyeuse de toute ; or Marx n'est pas ennuyeux, c'est la vie bourgeoise qui l'est. Marx est historien, non socialiste, du côté de la réalité et non du rêve.

     

  • Marx chrétien

    L'idée que la critique et l'histoire marxistes puissent être dites "chrétiennes" dérangent le plus souvent, bien au-delà des autorités ecclésiastiques romaines.

    Les évangiles et la critique marxiste ont en commun d'être actuellement censurés ; les évangiles par l'Eglise romaine, qui leur prête une signification anthropologique qu'ils n'ont pas (le théâtre de Shakespeare illustre le mécanisme de substitution de l'anthropologie catholique à l'eschatologie chrétienne) ; la critique marxiste a été occultée quant à elle par la doctrine politique stalinienne ou marxiste-léniniste ; celle-ci a rétabli le culte de l'Etat, que Marx et Engels avaient ébranlé au nom de la science et de l'histoire.

    Lénine fit lui-même le rapprochement entre le communisme, religion d'Etat, et le catholicisme romain du temps de Louis XIV, largement vidé de son sens eschatologique pour servir les intérêts d'une élite politique. Lénine constate cette évolution pour la déplorer, sachant à quel point le marxisme authentique est peu enclin au culte moderne de l'Etat bourgeois. De fait la France de Louis XIV connût avant la Russie soviétique un essor technique et administratif, promptement baptisé "progrès" par la propagande.

    On peut parler de censure dans la mesure où la critique marxiste comme le christianisme sont plus connus du grand public dans leurs versions "officielles" qu'ils ne sont dans leurs versions scripturaires authentiques.

    Si l'adjectif "libéral" voulait dire quelque chose, il devrait s'appliquer à Marx dans la mesure où celui-ci définit le respect de l'Etat comme un sentiment de dévotion religieuse dérivé du catholicisme romain.

    Le culte de l'Etat ou de ses représentants les plus éminents n'est pas une chose tout à fait nouvelle, mais il a pris sous l'impulsion du clergé catholique romain une dimension plus mystique que jamais - disons plus "abstraite", pour employer une expression moderne qui indique de quoi le mysticisme et la foi dans l'Etat moderne totalitaire sont faits - c'est-à-dire de l'abolition (théorique) des limites de l'Etat.

    L'idée d'un Etat et d'un gouvernement mondiaux est ainsi une idée religieuse mystique, qui découle indirectement de l'interprétation anthropologique des évangiles. En effet l'Etat moderne est "absolu" au sens où il n'a pas de limite physique ; sa limite est l'avenir de l'humanité, horizon le plus indéfini. La philosophie antique recherchait à la fois des limites et des justifications au pouvoir politique dans la nature ou le cosmos ; la pensée moderne s'affranchit de ces limites en faisant reposer la légitimité du pouvoir sur l'homme ou l'humanité. C'est sur ce dernier point que se situe l'influence de l'anthropologie catholique romaine, qu'elle porte un masque athée (Feuerbach, Sartre) ou non (Hegel).

    Selon Marx l'Etat moderne, non seulement incarne l'iniquité, mais il est le nouveau nom donné à dieu suivant une ruse républicaine et une adaptation à la nouvelle donne économique industrielle.

    La meilleure façon de prouver que Marx n'est pas chrétien serait de démontrer que sa doctrine est une doctrine socialiste ; en effet, le christianisme authentique est radicalement anarchiste et antisocial. Ainsi, l'incitation évangélique à la pauvreté est entièrement dépourvue de fonction sociale. La pauvreté, dans le christianisme, a une vocation spirituelle, non pas éthique ou politique.

    Un lecteur des évangiles, simplement de bonne foi, pourra constater deux choses : - Jésus-Christ ne cède à aucune revendication temporelle ou sociale de son entourage ; - l'accomplissement social de la loi de Moïse par le clergé juif est à quoi le Messie s'oppose le plus et la cause du complot des pharisiens contre lui, car l'ordre ecclésiastique est lié à l'ordre social.

    De façon lapidaire on peut dire que toute la difficulté du message chrétien est qu'il n'est pas un message social - sa difficulté de compréhension, aussi bien que d'accomplissement, et cela d'autant plus que l'on occupe sur l'échelle sociale une position élevée. Shakespeare, d'où Marx découle largement, a montré que l'absurdité moderne, politique et sociale, consiste dans le mariage incohérent et impossible de l'élitisme moral et politique (morale et politique sont nécessairement élitistes) et du message chrétien (nécessairement antiprovidentiel et antiélitiste).

    La mythologie de Shakespeare ne permet de fonder aucun socialisme - ni un socialisme antichrétien, tel qu'en rêvèrent Nietzsche ou Hitler, ni encore moins un socialisme chrétien, le tragédien illustrant dans la plupart de ses pièces sur quelle fausse spiritualité médiévale cet amalgame repose.

    Marx est-il beaucoup plus socialiste ? La preuve qu'il ne l'est guère fut la nécessité pour Lénine d'inventer le "marxisme-léninisme", c'est-à-dire d'ajouter un volet révolutionnaire et politique à une critique marxiste bien plus orientée vers l'histoire et la science qu'elle n'est vers la recherche d'une solution politique.

    Un régime politique qui ne fait pas place à l'ignorance, y compris sous la forme contemporaine de la "culture de masse", s'expose à l'instabilité. La science n'est en effet d'aucun secours ni usage sur le plan politique. Le savoir ne contribue en rien à la soumission à l'Etat que la citoyenneté implique. La science ne fait pas partie de ce que l'on qualifie parfois de "libertés politiques", et qui sont restreintes à la liberté de jouir plus ou moins suivant des circonstances qui échappent à la volonté et au contrôle du citoyen lambda. La limite de la "science universitaire" est une limite d'ordre politique.

    C'est enfin la déconstruction de l'édifice du droit moderne, sans chercher à remplacer cette casemate par une autre, qui fait de Marx un penseur bien peu "socialiste". En cela Marx prolonge encore Shakespeare, qui fait apparaître le droit comme une vérité relative, et non absolue ainsi que le citoyen moderne incline à penser le plus souvent, suivant une culture totalitaire empreinte de mysticisme.

     

  • Marx chrétien ?

    La réponse à cette question est relativement simple et on peut la présenter sous la forme de l'équation suivante : "Existe-t-il une doctrine sociale marxiste ?"

    - Si la réponse est "oui", dans ce cas Marx ne peut être considéré comme un chrétien, amoureux de la vérité, car les évangiles et la parole divine forment un rempart inexpugnable, une barrière de feu contre toute tentative de doctrine sociale. "Mon royaume n'est pas de ce monde !" : peut-on être plus clair et désigner plus nettement la théorie du royaume chrétien ou de la démocratie-chrétienne comme un culte solaire déguisé ?

    - Si la réponse est "non", alors on peut commencer à envisager Marx comme un penseur chrétien de la fin des temps.

    C'est un fait établi que Marx a lu attentivement la Bible, rédigé des sermons chrétiens dans sa première jeunesse - et je n'ai lu nulle part sous la plume de Marx, contrairement à Nietzsche, qu'il tenait la Bible pour un tissu d'âneries. Le fait est également avéré de la détermination d'Engels contre le christianisme truqué de sa caste.

    La preuve que le marxisme n'est pas une doctrine sociale, on la trouve dans le "marxisme-léninisme", qui est la preuve que le marxisme seul n'est pas social. Comment prendre le pouvoir ? S'y maintenir ? Le distribuer ? A toutes ces questions, Lénine et Trotski ont dû répondre seuls.

    Marx est-il un économiste ? Si Marx est un économiste, alors c'est un économiste libéral. Nul critique moderne, à l'exception l'écologiste Nietzsche, n'est plus dissuasif de tenir l'économie pour une science, ni même un "art sûr".

    Sur l'évolution sociale de la société occidentale, contrairement à un préjugé répandu, Marx ne porte pas une appréciation positive. Là où Nietzsche discerne un phénomène de régression funeste, auquel il convient de remédier pour éviter ses conséquences catastrophiques, Marx voit un phénomène inéluctable, incarné par la bourgeoisie. A l'énoncé de la physiocratie libérale, Marx ne fait qu'ajouter que la pompe à fric physiocratique est, à terme, condamnée, comme si le capitalisme était le "stade terminal" d'une vie de dépense.

    Nietzsche et Marx ont en commun d'être des penseurs très peu "occidentaux". Le premier parce qu'il propose pour remédier à la décadence bourgeoise un modèle oriental. Le second parce qu'il place la science au-dessus de toutes sortes de civilisation, la science n'ayant pas, contrairement aux livres, de "sens de lecture".

    Où Nietzsche et Marx s'opposent radicalement : le premier conçoit que son choix de la civilisation implique de renoncer à la science et la vérité ultimes (luttant fermement pour cette raison contre tout ce qui vise une vérité ultime, comme l'histoire ou la métaphysique) ; pour Marx au contraire, tout l'art du monde n'est rien à côté de la science.

     

  • Tolstoï contre Shakespeare

    Bien plus que le marxisme, l'idéologie de Tolstoï coïncide avec la politique du régime soviétique. Ce dernier fut contraint à ses débuts de composer avec les masses paysannes et de leur accorder le partage des terres auquel la monarchie orthodoxe tsariste s'opposait. Lénine a eu l'intelligence ou la ruse de ne pas se mettre à dos la paysannerie, contrairement au nouveau pouvoir républicain en France, issu de la crise du régime monarchique de Louis XVI qui renonça à amadouer les paysans et préféra les affronter.

    Tolstoï rêvait d'une réforme agraire, préalable à une révolution sociale. Beaucoup d'idées socialistes progressistes sont nées dans la cervelle d'aristocrates chrétiens. Tocqueville est presque le seul moraliste français à avoir foi dans l'idéal démocratique égalitaire. On peut penser que de tels idéaux résultent de l'accord impossible entre les valeurs aristocratiques et le christianisme. De cette impossibilité résulte un moyen terme idéologique désastreux, dans la mesure où le socialisme constitue le coeur de l'idéologie totalitaire, liée à une traduction antichrétienne du message évangélique.

    Marx, quant à lui, est assez éloigné de croire que l'amélioration de la société puisse être une source de progrès véritable, voire un but de progrès. Sans doute est-il beaucoup trop juif ou chrétien pour le croire, car pour un juif ou un chrétien le progrès est du domaine de la métaphysique, à l'exclusion du domaine social entièrement charnel. Le discours de la "doctrine sociale chrétienne" est le vecteur de l'antichristianisme, que ce soit dans la version de Tolstoï, des pontifes romains modernes, ou dans la version laïcisée de Lénine. La version de Lénine est une fornication moins grande, car Lénine cherche moins à faire passer le progrès social pour une valeur chrétienne. Il n'en reste pas moins que la doctrine des soviets est tributaire de cette contrefaçon du christianisme que constituent les différentes doctrines sociales chrétiennes, tentatives dirigées contre l'esprit de dieu d'accorder l'amour de dieu avec la nécessité et les besoins humains.

    Comment appliquer les paraboles de Jésus-Christ sur le plan social ? Il ne faut pas chercher à le faire puisque le Christ n'a pas permis à ses apôtres de le faire sous peine de damnation. Il y a certainement une part de fornication dans la détermination de Judas Iscariote, c'est-à-dire de refus d'accepter la radicalité antisociale du message évangélique.

    Shakespeare, loin de témoigner de sa foi dans le progrès social comme Tolstoï, illustre non pas "le choc des cultures", expression presque entièrement dépourvue de sens puisque le sentiment identitaire implique une détermination guerrière (comme il est pacifique, le chrétien se purifie de tout sentiment identitaire), mais le heurt entre la détermination culturelle et le christianisme.

    Shakespeare a conscience que le christianisme fait table rase de toute forme de culture, autrement dit qu'il signe l'arrêt de mort de l'art. La littérature d'Homère illustrait déjà un tel phénomène, puisque Achille symbolise la culture, et Ulysse le progrès de la conscience humaine contre la culture. Ulysse est aussi individualiste qu'Achille est prisonnier de considérations sociales. Ce qui diffère chez Shakespeare, et ce pourquoi Tolstoï trouve qu'il manque de simplicité par rapport à Homère, c'est l'illustration que l'affrontement a lieu dans les temps modernes entre le christianisme et une culture qui se réclame du christianisme, directement ou indirectement, de sorte que la plupart des hommes ne mesurent pas l'enjeu de leur existence. Autrement dit l'apparente complexité de Shakespeare ne tient pas à Shakespeare lui-même, mais à une réalité sociale plus complexe et des ténèbres plus noires que celles de l'Antiquité.

  • Le Capital

    Un ecclésiastique écrivait il y a quelques lustres dans un magazine destiné à promouvoir les intérêts du capitalisme à la française ("Le Figaro") : "Le capital, c'est la vie !". Sans doute une manière de remarquer qu'on ne peut pas plus s'opposer au capitalisme qu'il n'est possible de s'opposer à la vie ou à la guerre. "Le capital, c'est la mort !" résume a contrario l'analyse économique de Marx, que l'on présente à tort comme un théoricien de la réforme économique, alors qu'il n'est qu'un clinicien, dont le diagnostic est que le capitalisme est, si ce n'est exsangue, du moins une économie au stade de la décomposition. La concentration excessive du capital entre les mains de quelques-uns n'est pas, par exemple, au yeux de Marx, un signe de bonne santé économique. Son pronostic des crises se fonde sur l'excessive concentration du capital et la difficulté de le répartir de façon économiquement efficace. Bien sûr l'idée de "justice économique" n'est pas dans Marx, faute de quoi celui-ci ne serait qu'un imbécile.

    A la limite Marx pourrait passer pour un économiste libéral, si ce n'est qu'il souligne le rôle actif de l'Etat dans la constitution de monopoles bancaires et industriels, tandis que le stratagème de la plupart des économistes libéraux consiste à accuser l'Etat des dérèglements du capitalisme. Or l'extrême concentration des pouvoirs de l'Etat soviétique a largement contribué à entraîner la Russie au rang des nations capitalistes les plus développées ; or l'économie chinoise, dirigée d'une main de fer par une junte militaire, est une économie capitaliste ordinaire, à ce détail près qu'elle a connu un développement accéléré.

    Une économie en bonne santé ne produit pas le maximum de "richesses" pour une population maximum, mais il produit les richesses nécessaires pour un nombre de personnes limité. L'excès de richesse constitue un problème économique, de même que l'excès de poids constitue un problème de santé. L'objectif de croissance économique est donc une aberration économique, en même temps que la croissance est la seule possibilité pour l'Etat et les institutions étatiques de se maintenir en place et se faire respecter.

    Marx souligne aussi utilement la part du rêve dans une économie en voie de décomposition. Le "désir d'avenir" capitaliste est en réalité un rêve masochiste, propre à mobiliser un Japonais ou un Américain, car l'avenir n'a rien de désirable - il n'est pas plus désirable que la mort. Il n'y a rien d'étonnant à ce que le capitalisme engendre une culture nécrophile, ainsi qu'on peut l'observer aux Etats-Unis, à travers notamment la consommation de produits stupéfiants. Les hommes se mettent à rêver, dès lors qu'ils sont vieux et perdent possession de leurs moyens.

    Ceux qui cherchent un antidote chez Marx, une formule du rajeunissement de l'économie seront déçus ; la principale force de la critique marxiste est de montrer que le sens de l'histoire hégélien ou moderne est un sens négatif et non positif, ainsi que le prétendent les tenants de la culture moderne totalitaire. D'ailleurs la vie n'est pas tout pour Marx : l'amour, la science, n'entrent pas dans le domaine culturel (rien de plus bête que la "culture scientifique", c'est-à-dire le vernis scientifique, ou que la "culture de l'amour", c'est-à-dire le sentimentalisme à l'aide duquel les publicitaires attrapent leurs clients comme on attrape des mouches avec de l'eau sucrée).

    Marx est plutôt de la lignée des penseurs humanistes comme Shakespeare qui pensent contre la culture ou en dépit d'elle. La seule façon d'être libre, c'est d'échapper à la culture.

     

  • Marx chrétien ?

    On considère assez largement en France que Karl Marx est un critique ou un historien athée. Mais on ne trouve pas chez Marx comme chez Nietzsche l'affirmation d'un plan satanique civilisateur, antichrétien et antijuif, dont le principal mérite est de démontrer que la civilisation est nécessairement un plan antichrétien.

    Un chrétien selon la parole divine concédera qu'il n'y a ABSOLUMENT rien dans les évangiles pour fonder une culture, puisqu'il y a même de nombreux avertissements contre ceux qui, usurpant le Christ et la parole divine, braveront cette interdiction en encourant le châtiment divin. Pour le dire trivialement, l'esprit du christianisme n'est pas de faire concurrence au diable sur son terrain de prédilection, à savoir la société.

    L'ambiguïté de la critique marxiste est à peu près la même que celle de la philosophie des Lumières, à savoir : critiquer une religion chrétienne détournée de son but pour satisfaire les ambitions politiques et morales d'une élite constitue-t-il une démarche athée, ou cela permet-il au contraire de découvrir la vérité chrétienne, cachée derrière la tenture cléricale ? De cette ambiguïté, les philosophes des Lumières comme Marx sont conscients. Ils ont en outre en commun le fait d'avoir reçu une éducation chrétienne assez poussée, et même très poussée dans le cas de Marx.

    Le christianisme social, et donc truqué, auquel Marx s'attaque, notamment à travers sa formule hégélienne la plus moderne, la mieux adaptée au totalitarisme, peut être caractérisé comme un "providentialisme". Les cultes païens sont des cultes providentiels, en raison du rôle exclusif et central joué par la nature dans ces cultes - exclusif notamment de la notion d'histoire. Le providentialisme, sous la forme antique du "destin", ou plus moderne du "hasard", trahit le double discours du clergé catholique romain, à la fois païen et chrétien. De toutes les religions, le christianisme est en effet la moins providentielle. Le providentialisme est d'ailleurs étroitement lié à une notion, flagrante dans les cultes anciens, et occulte dans le régime démocratique bourgeois, à savoir l'élitisme. Autrement dit, il n'y a pas de civilisation équilibrée, de culture de vie païenne sans élitisme. C'est une ruse bourgeoise que celle qui consiste à faire croire que la démocratie est conçue dans l'intérêt du peuple, et le clergé catholique joue exactement le même rôle auprès de la bourgeoisie que celui qu'il joua autrefois auprès des princes quand il s'efforce de cautionner la démocratie.

    La particularité de la démocratie selon Marx, opposée à la démocratie républicaine ou bourgeoise, est qu'elle consiste à tenter de libérer l'homme de l'emprise de l'Etat. Marx conçoit la démocratie contre l'Etat républicain, et l'idéologie stalinienne consiste à rétablir l'Etat dans ses droits contre la critique marxiste - et donc le providentialisme. En cela le propos de Marx s'éloigne beaucoup moins du christianisme que les tentatives démocrates-chrétiennes de justifier la démocratie comme un régime plus juste et coïncidant avec l'esprit chrétien.

    Marx est en outre beaucoup moins révolutionnaire que les philosophes bourgeois qui, étant donné le changement de régime en faveur de la bourgeoisie, se sont efforcé de présenter la révolution française de 1789, mouvement distinct de la philosophie des Lumières, comme un "progrès".

  • Queue de l'Athéisme

    Depuis une cinquantaine d'années, voire un peu plus, l'athéisme est entré dans une phase religieuse extrêmement inquiétante, qui d'après moi correspond à l'avènement du cinéma et de la culture de masse, c'est-à-dire d'un moyen de sidération massif au service de la bourgeoisie libérale.

    La culture de masse est une raison d'estimer la démocratie libérale ou chrétienne comme un régime plus totalitaire encore que le nazisme ou le communisme soviétique, à l'inverse de ce que certains universitaires spécialisés dans le blanchiment prétendent. La gabegie économique des élites libérales n'est rien à côté de leur gabegie morale. Bien entendu le dérèglement économique n'est que la conséquence de cette dernière. "Marx s'est trompé, le capitalisme lui survit", entend-on répéter des spécialistes autoproclamés de l'économie, c'est-à-dire du néant. Cela revient à déclarer vivace un vieillard en proie à la maladie d'Alzheimer. Tous ces économistes chargés de "missions de réforme" sont aussi ridicules que les médecins de Molière. On a atteint le point, en politique comme en art, où l'aliénation préside à la vocation politique. Cela a toujours été le cas, diront certains, attentifs à la philosophie et sa remarque ancienne selon laquelle les hommes politiques agissent toujours avec une certaine dose d'inconscience. Cela a toujours été le cas, mais autrefois les politiciens ne prêtaient guère l'oreille aux discours confus de leurs médecins.

    Par "phase religieuse" athée, je veux parler d'un athéisme culturel entièrement dépourvu de la dimension critique qui détermina la pensée athée au cours des siècles précédents. La plupart des athées aujourd'hui, à l'inverse de Diderot, d'Holbach, ou encore Feuerbach et Nietzsche plus récemment, s'opposent à un christianisme dont ils ignorent à peu près tout. La volonté de purification de la foi que Simone Weil discerne chez certains athées, c'est-à-dire un mouvement athée plus spirituel que le mouvement religieux, a pratiquement disparu aujourd'hui.

    Ce état actuel de l'athéisme est inquiétant à double titre. Des pans entiers de la culture occidentale sont occultés, c'est-à-dire aperçus presque exclusivement sous l'angle esthétique. L'université moderne mérite les mêmes sarcasmes que ceux adressés par les humanistes de la Renaissance à la culture médiévale. Exprimant des convictions, voire une intuition athée, le citoyen laïc moderne ne s'aperçoit pas que, loin d'hériter de l'esprit critique de l'humanisme ou des Lumières, il prolonge l'ancienne bigoterie dont il se croit émancipé. Il se rend au bureau de vote pour voter, sans se poser plus de question qu'un dévot sur le rituel auquel il assiste.

    Le danger de cet athéisme, nettement dominant dans la société civile, et d'ailleurs complémentaire de la démocratie-chrétienne (de nombreux laïcs français présentent la théocratie américaine comme un modèle du genre "avenir", et sociologiquement ce sont à peu près les mêmes qui vantaient naguère l'URSS officiellement athée) est comparable au danger de la technique confondue avec la science. Le confort de l'esprit est synonyme de fanatisme, et il s'appuie dans cette mouture athée ultime sur la position dominante scolastique et la négation de l'esprit critique. De façon frappante, cette arrogance athée, équivalente de l'arrogance cléricale du XVIIe siècle, est le fait principalement des élites intellectuelles. Elle est d'ailleurs dirigée, non pas tant contre le christianisme que contre tout ce qui n'est pas moderne, en termes de culture. Dans le reste de la population, l'ignorance est à peu près la même, entretenue par l'institution scolaire et sa manie du calcul mental, mais l'arrogance est bien moindre, le dialogue possible.

    Un dernier chapitre sur Michel Onfray, qui s'adresse à des milieux populaires et à qui sa contestation de certaines doctrines officielles a valu les foudres du haut clergé. Malgré un effort critique, Michel Onfray reste assez confus (Diderot l'était aussi), passant de l'apologie de Nitche à celle de Proudhon, presque à l'opposé. Il a fallu également beaucoup de temps à cet érudit populiste pour comprendre que le psychanalyste joue aujourd'hui le même rôle social que le curé jouait autrefois, et que d'une certaine façon les dernier prêtres catholiques romains sont bien plus liés à la psychanalyse qu'à la lettre et à l'esprit de l'évangile. Proposer comme il le fait de substituer une psychologie nitchéenne à la psychologie freudienne revient pratiquement à faire l'éloge du catholicisme romain contre le protestantisme, ou du moins d'une religion plus concrète que la pure rhétorique chère aux Allemands. On pourrait aussi imaginer des thérapeutes nitchéens pour les hommes, et des thérapeutes freudiens pour les femmes ; quoi qu'il en soit, c'est une critique d'une portée très limitée, un amendement venu du bas-clergé à la ligne culturelle définie par les quelques évêques qui disent aux Français ce qu'ils doivent croire.

     

  • Fin du monde

    "Le monde ne fait que rêver, il approche de sa fin." : François Rabelais annonce la fin du monde en des termes que Karl Marx répète plusieurs siècles après, à la fin d'une vie passée à tenter d'inculquer au peuple la méfiance des idéaux, rêves et promesses des élites.

    Le chrétien a plusieurs raisons de pronostiquer la fin du monde. D'abord elle est pour lui promesse de vérité. Les saints ont les yeux décillés de toutes les raisons sociales, pourrait-on dire, qui empêchent de voir dieu : toutes ces choses qui sont sacrées aux yeux des païens, mais non de dieu : "Satan, famille, patrie, etc." Qui sont sacrées parce qu'elles agissent comme un garde-fou.

    La fin du monde paraît à beaucoup une hypothèse farfelue, bien que les effets catastrophiques de l'enlisement dans le rêve soient de plus en plus palpables - mais les élites n'ont pas d'autre moyen de gouverner les masses qu'en les médusant, c'est-à-dire en les tenant en respect, non plus d'une morale, mais d'un but moral, c'est-à-dire d'un rêve.

    On constate aussi l'attachement grandissant des élites aux valeurs mondaines, à mesure que le monde va de plus en plus mal. Le goût des gadgets technologiques, par exemple, assimilés au progrès scientifique, est un indice que les élites ont perdu le sens des responsabilités.

    L'attachement au monde est presque un réflexe narcissique pour ceux qui ont été élevé dans son culte, et il faut se défier des politiciens qui prétendent oeuvrer pour les générations futures. Ils s'écoutent parler, et l'altruisme est, quand on ignore tout de l'avenir, de fermer sa gueule au lieu de faire miroiter l'avenir.

  • Le Capital

    Le Capital est-il puissance ou impuissance ?

    On peut donner une définition nitchéenne de l'économie moderne, comme un démantèlement de l'art, de telle façon qu'il ne restera plus pierre sur pierre.

    Ou bien on peut donner une définition marxiste de l'économie moderne, comme une ultime tentative pharaonique de mettre fin à l'histoire.

    Quoi qu'il en soit, Satan est aussi difficile à reconnaître dans le monde moderne que la vertu dans un bordel. Pourtant, il est bien là.