Quand mes neveux, encore trop jeunes pour trembler devant la mort, et qui se moquaient même éperdument de son silence obstiné, tirant sur les manches du cadavre, tentant de tâter ses oreilles sur la pointe des pieds, se retirèrent volontiers, je ne fus pas fâché de me retrouver seul à seul avec mon grand-père. Car, même s’il me faut penser chaque jour à la mort, je n’ai pas beaucoup l’habitude des cadavres. Ma curiosité s'était éveillée, je voulais l’observer attentivement. Pour tirer une dernière leçon de ce grand-père tout enraidi ? Là-dessus, je ne nourrissais guère d’illusions, car ce grand-père ne m’a jamais donné qu’une seule règle - et encore ne l’ai-je pas bien assimilée -, c’est d’être aimable avec les dames et de les aborder toujours par-devant en usant des formules de politesse les plus désuètes.
Car mon grand-père avait été ainsi pétri qu’il ployait sous le respect dû au sexe faible. Mais, de temps en temps, se révoltant contre ce fardeau inique, il déversait sur l’une de ses représentantes une tonne d’injures assez salées - pour l’époque.
Ma grand-mère était une victime toute trouvée. Du reste, elle n’avait pas son pareil pour faire culbuter la bonne humeur fragile de son mari, à force de multiplier les chausse-trappes autour.
Je n’en ai jamais vu, étant de la campagne normande, mais ma grand-mère était comme ces pétards qu’on fait exploser dans le ciel pour provoquer l’orage et la pluie au-dessus des récoltes (De là vient peut-être ma manie de donner systématiquement raison à un homme contre une femme dans une querelle, voire un viol, même si les apparences lui sont contraires).
Dans ce funérarium à l’hygiène et à la blancheur proprement malsaines, mon grand-père faisait une figure inconnue à mes yeux. Il ne se ressemblait plus, son visage, émacié, avait perdu ces derniers temps toutes ses nuances, sa chair, ses replis. Son air de vieux sanglier ombrageux l’avait quitté, remplacé par un air de vieille chouette crevée. La courbure marquée de son nez faisait le bec.
À vrai dire, cela faisait quelques mois que les progrès de la science offraient à sa famille le spectacle d’une lente mais sûre déchéance, et la bête ne faisait plus peur à personne depuis assez longtemps déjà. Trop longtemps.
Ses quatre fils ont enlevé sur l’épaule, sans trop d’efforts, le corps allégé de leur père. Si le cercueil en chêne massif ne l’avait pas lesté un peu, ils auraient même pensé porter en terre un jeune garçon !
Sa fille précédait le convoi, chargée d’une lourde croix en argent. Je désirai moi aussi quatre fils pour porter ma bière, car la scène me paraissait assez noble et antique. Elle évita de justesse de prendre une tournure rocambolesque lorsqu’une fourgonnette déboula à toute berzingue dans le virage au moment que mes oncles avaient choisi pour le franchissement.
Elle parvint à piler net et à éviter le massacre des héritiers.
Commentaires
Vous ravivez certains souvenirs, Lapinos. Et rien que pour cela je vous passe votre petite provocation qui ne manquera pas de donner de quoi hurler aux prétendues féministes.
Nanti de votre absolution, Inès, je me sens plus fort pour affronter mes implacables jugesses. Merci.
Argh.. z'êtes de ceux qui féminisent à tout va ?
Pour une rime, on peut s'autoriser bien des choses, Inès. Soyez pas si conventionnelle…
Avec mamz'elle, auriez rimé en poutrelle et à Léa auriez offert un crachat ?
Non, Mamz'elle plutôt en ficelle et… mais d'où sort cette Léa ?
Et.. mais.. où est partie votre Isa ?
Z'avez rien vu, rien entendu, ou sinon…
(c'est pas le lieu pour faire des blagues privées, mais je ne crois pas que ça soit vous la coupable, car vous m'avez appris à relever les empreintes)
Ah non, ce n'est pas moi !
Ou sinon.. ??
Sinon je vous envoie Panpan-cucul, mon lapin de main.
hébé c'est la fête au village à ce ke je vois!!!