Il n’est certes pas permis à tout le monde, par les temps qui courent, de jouir le soir même de Noël de la quiétude et de la solitude propices au recueillement. Mon propre degré d’exclusion sociale n’est pas tel, hélas, que j’ai pu avant-hier, 24 décembre, me dispenser des agapes obligatoires du réveillon : une invitation de dernière minute…
J’en suis donc à l’apéritif, servi après la messe de Minuit vers dix heures, à dissimuler mon dépit de n’être pas au plumard avec un bon bouquin dans un verre de porto médiocre. Comme la conversation tourne autour du sermon du curé, lui-même assez vague, je songe à l’astuce de mon pote Émeric qui consiste à planquer un roman policier dans les chiottes de son hôte dès son arrivée, sous le prétexte d’une envie pressante ; plus tard dans la soirée, sous le même prétexte déjà utilisé plus tôt mais que personne ne songe sérieusement à discuter, mon pote rejoint son bouquin dans les lieux d’aisance et n’en ressort plus guère avant les adieux traditionnels. Que n’ai-je l’audace d’Émeric dans la muflerie au lieu de n’être qu’un petit goujat sans envergure !
Je suis placé à table à côté d’une jeune personne que je découvre pour la première fois. Il m’est arrivé ainsi de parvenir à tromper l’ennui dans un dîner pendant deux heures d’affilé rien qu’en contemplant le profil d’une femme bien pourvue sous cet angle, assise à quelques mètres de moi, à mille lieux de se savoir ainsi épiée…
Mais mon voisin n’est pas si bien fait que je consacre plus de cinq minutes à son examen. Celui-ci a vingt-trois ans depuis trois jours et poursuit des études poussées dans le domaine des sciences exactes, et, tandis qu’il avoue sans qu’on le force trop ses brillantes capacités intellectuelles et ses solides diplômes, je me frotte les mains intérieurement. Après les philosophes, les scientifiques sont en effet les gens les plus involontairement comiques que je connaisse !
Petit à petit je pousse Alain, c’est ainsi que se prénomme mon jeune voisin, à s’aventurer en dehors des généralités, seul terrain sur lequel les "hommes de sciences" sont à l’aise hormis celui des nombres comportant une virgule :
« - Fort bien, fort bien, mais ça ne nous dit pas quel plaisir particulier vous tirez de l’observation de ces minuscules particules ? À la longue ne risquez-vous pas de trouver tout ce bazar bien futile ?
"Futile", Dieu sait que les scientifiques ne peuvent pas blairer cet adjectif et qu’il les fait sursauter. J’ai visé juste vu la tête d’Alain…
- Hein ? futile ? ça m’étonnerait… Je peux même dire que c’est ça justement, oui, c’est ça qui me me motive le plus, de savoir que je participe au progrès de la science, depuis que je suis tout petit ça m’a toujours…
- Au PROGRÈS de la science ? Mais la science est en plein RECUL au contraire, Alain, depuis cent-quarante et un ans au moins !
- En plein recul !?
- Eh bien oui : tous les progrès formidables accomplis dans un premier temps par les scientifiques ne les ont amenés qu’à mieux apprécier la distance qui leur reste à parcourir jusqu’à la connaissance complète de l’Univers en définitive. Toutes les énigmes qui paraissaient jusque-là à peine plus compliquées qu’un problème de sudoku aux “chercheurs” : le cerveau humain, la vie extra-terrestre, l’usure des tissus et des organes, l'origine de l'homme, toutes ces énigmes sont désormais comme des trous noirs encore plus insondables… Et, si elle s’éloigne de son but, je vous mets au défi de nier que la science ne recule pas, mon jeune ami ! »
Je ne jetai pas mon défi à la légère tant les lacunes des scientifiques d'aujourd'hui dans le domaine de la rhétorique sont grandes.
On peut trouver peu "charitable" ma façon d’abuser de la crédulité d’autrui, particulièrement le soir de Noël… Une petite explication psychologique s'impose, je crois : mes études à moi, le moins qu'on puisse dire est qu'elles ne furent pas très brillantes. Aurais-je eu ne serait-ce que le baccalauréat si je n'avais pas flagorné certains de mes examinateurs, brossé leurs idées dans le sens du poil ? C'est peu vraisemblable. De là à dire que je me venge de mon échec scolaire sur les têtes pensantes lorsqu'il en passe une à ma portée, en profitant de l'effet de surprise, il n'y a qu'un pas que je dois franchir, pour être honnête.
Mais après tout la Nativité n'est-elle pas aussi la revanche des humbles sur les puissants, des bergers sur les Rois mages ?
Commentaires
L'important c'est l'étoile au-dessus de la tête — à quelque distance que l'on en soit. (Ne pas confondre avec les trente-six chandelles — ce trou noir trop près des yeux.)
Vous ne pensez tout de même pas me convertir à votre animisme celte, Rose ? Je suis beaucoup trop vieux pour ça…
(Au fait, entre Fottorino et Fournier, je ne vois toujours rien venir dans mon point de vente habituel. Il faut dire que cette Fnac est tout à fait extraordinaire ! Elle combine les inconvénients du capitalisme, puisqu'elle dirige ses clients sur les dernières idioties à la mode, et ceux du soviétisme puisque les nouveautés arrivent toujours très longtemps après qu'on en parle à la télé ou à la radio, dans la presse…)
la science n'a pas de limite, pas de but, pas de raison d'être, étant intrinsèque à l'homme, comme la curiosité ou l'amour; croire que le monde recule parce que le brouillard se lève; je comprends le dépit de l'interlocuteur.
Au pélagianisme ? — si méconnu.
Comme vous parlez bien de la science, Enmonom, avec vous elle paraît presque "naturelle". Quel contraste avec tous ces fonctionnaires de la recherche qui ne cessent de réclamer plus de subventions, ou avec tous ces chercheurs payés par l'industrie pour inventer de nouveaux gadgets lucratifs.
Le pélagianisme, Rose ? J'en ai entendu parler, mais il me paraît beaucoup moins d'actualité que le manichéisme.
Comme tu es grand et sage Lapinos vu de notre monde d'en-bas !
Laissez tomber vos viles flatteries, je suis un lapin, pas un corbeau.
Je viens de découvrir que vous êtes une sorte de cyber-bouquiniste, Driout ; c'est très intéressant, ça. Par exemple si je cherche un bouquin de Chardonne pour l'offrir à une amie pour ses étrennes, je peux peut-être le dénicher chez vous ?
... Sûr ! Pas Mani, hélas...
S'il est un pays où les Lapins ont un roi alors tu es le monarque absolu de tous ces bienveillants animaux à la queue frétillante !
Eventuellement Chardonne ... mais il faut envoyer un e-mail sur ma boite car je ne divulgue pas tous mes secrets en public !
Sur le site de la Fnac, on peut lire une critique de vos deux nouvelles, Pélagie ; critique amusante car il transparaît qu'elle est d'un homme marié pour qui la première nouvelle est bonne et la deuxième mauvaise, donc.
On peut voir aussi quels sont les autres bouquins achetés par votre lecteur ; je m'attendais à trouver dans son "panier" le "Tableau analytique du cocuage" de Charles, mais c'eût été trop beau.
Si votre catalogue est à jour, Driout (certains prix sont encore en anciens francs républicains), vous n'avez pas les "Lettres à Roger Nimier", hélas.
Tu ne préfères pas le franc-germinal ? Cela m'étonne de toi !
Lapinou, ta fable, tu l'as écrite pour les crédules dans mon genre non? Enfin, je n'ai pas l'intention de faire l'impasse pour autant, même si t'en fais l'aveu, ce type a tout l'air d'un blanc bec qui sera peut-être un jour une "tête pensante" comme tu dis. Là, cette réflexion du "Progrès de la Science, mon sacerdoce" - qui j'espère relève de la fiction - témoigne du contraire. Jamais de ma vie je n'ai entendu le moindre étudiant en bio prononcer telle sottise. Et si t'appelles ça sortir du terrain des généralités Lapinos, je n'ose pas imaginer dans quelles généralités les fameux scientifiques sont à l'aise. Au hasard, les présidentielles? La météo sous la latitude de l'Equateur? Ou alors le profil psychologique des Scientifiques, ou des bobos. T'es sûr que t'as pas raté ta vocation Lapin?
J'ai l'air énervée comme ça, mais je suis juste un peu déçue en fait. Je n'ai que quelques heures pour fuir les agapes et autres obligations familiales alors en arrivant ici je me réjouis de trouver un conte de Noël à ta sauce, et voilà sur quoi je tombe, une fable gentiment propagandiste sur un sujet que tu ne connais que de très loin. Les toubibs constituent peut-être les plus malhonnêtes hommes que la Terre ait portée mais ce n'est pas le cas de tout les scientifiques.
Enfin, ce ne serait pas honnête de ma part de ne pas te remercier malgré tout de m'avoir fait découvrir Bukowski. On peut dire qu'il ma sauvée deux bonnes soirées. J'ai engloutis ses "Souvenirs..." et là je désespère de trouver un de ses bouquins en VO à Tarbes. Rien que pour ça il me tarde de rentrer.
Z'êtes bordélique, Driout (comme tous les bouquinistes, vous me direz), vous causez comme si on était à la colle depuis des années et à la première occasion vous me confondez avec Raphaël Juldé. Qu'est-ce qui peut vous donner à penser que je suis aussi bêtement franchouillard ? Bien sûr que je préfère le profil de Dante, la sagesse grecque, la tête de Bourbon de Juan Carlos, l'aigle allemand, aux orgueilleuses abstractions hexagonales (aussi stupides qu'orgueilleuses).
Je n'arrête pas de répéter que j'aime l'histoire, moi, pas la petite philosophie française étriquée, mais vous ne m'écoutez pas Driout, vous ne songez qu'à faire le cabot.
Non, j'ai très peu pensé à toi, Pim. J'ai juste pensé que tu ne manquerais pas de réagir et j'observe que les faits vérifient mon hypothèse sur ce point.
L'inaptitude des scientifiques à tenir des raisonnements logiques est si répandue aujourd'hui ! Elle me frappe tous les jours.
Prends un type comme le Pr Bernard Debré, par exemple (On le voit souvent à la télé parce qu'il est candidat à la Mairie de Paris). Il est peut-être doué de ses dix doigts, mais dès qu'il ouvre le bec, c'est pour dire des conneries. Ce mec mélange la science et la science-fiction sans s'en rendre compte.
Ne me reproche pas de prendre une caricature en exemple, car c'est ce genre de caricature qui a le plus d'influence. Un discours un peu compliqué, c'est forcément le cas dans le domaine des sciences, n'a aucune chance d'être entendu en démocratie, où les fausses sciences comme la psychanalyse, l'homéopathie, ont d'ailleurs pignon sur rue.
Vois encore le succès de Nicolas Hulot. Et celui de Raël. Raël a mystifié le monde entier pendant quelques heures avec ses bobards ! C'est incroyable, sa propagande n'a rencontré presque aucun scepticisme scientifique.
Et la théorie de l'évolution de Darwin, enseignée comme un dogme dans les écoles ?
Tu veux que je te cites le nom d'un scientifique sérieux, ET athée, Pim ? Claude Allègre ! Eh bien comme par hasard il rencontre l'hostilité du plus grand nombre dès qu'il l'ouvre, y compris dans sa propre communauté scientifique !
"On n'arrête pas le Progrès", c'est bien la devise idiote du quidam-citoyen contemporain, qui se réjouit qu'on envoie dans l'espace intersidéral des fusées à la recherche d'éventuels extra-terrestres. N'inverse pas la charge de la preuve, Pim, c'est à toi de démontrer le contraire.
(Attention, Bukowski est très inégal, tu devrais me faire confiance et te laisser guider jusqu'au bout.)
Mon Lapinou désolé de ne pas être une jeune fille et que le travesti m'aille si mal sinon il y a longtemps que je serais à tes pieds pour faire tes quatre volontés ! Tu sais bien que c'est par dépit que je te provoque régulièrement ...
Question bordel tu est aussi très bien organisé ... il m'a fallu un moment pour comprendre que tu étais allé lire mon petit parti de l'Innocence et qu'avec ton esprit de l'escalier habituel - on ne peut pas courir les cent mètres aussi vite que toi et en même temps être une grosse tête n'est-il pas vrai ? - tu t'en prenais à d'anciennes bafouilles à moi dans ta dernière réponse !
Enfin je te pardonne ... reviens vite j'ai une bonne salade de cresson qui t'attend à la maison !
PS Mesdemoiselles n'oubliez pas qu'on retient toujours le lapin par le ventre et non par les oreilles !
Prenez garde à ne pas virer paranoïaque comme Pascal Sevran, Driout ! Je n'ai pas lu votre "Parti de l'innocence" ; de quoi s'agit-il ?
Tu me soigneras n'est-ce pas mon Lapinou ?
J'ai toujours eu un faible pour les innocents, et pour peu que vous n'en abusiez pas…
"Dans une étable obscure, sous le ciel étoilé
Et d'une Vierge pure, un doux sauveur est né."!!!
Restons en là! Non????
Si vous racontez toujours la même histoire à vos sept enfants, la mère l'oie, ils vont finir par se lasser. Vous devriez essayer au moins les apocryphes.
Mais je sais que je ne t'ai pas inspiré sur ce coup Lapin, n'empêche qu'il n'y a que moi pour continuer à défendre des scientifiques après des attaques aussi gratuites et générales basées sur deux bouts d'exemples sortis de l'espace (médiatique).
(En revanche j'ai confiance à 100% en ton jugement en matière de littérature mon lapin, d'ailleurs là je me suis rabattue sur "Ces corps vils" qui me fait bien rigoler.)
Les apocryphes...je vais y réfléchir...mais il y avait un peu plus dans mon commentaire, tout n'est pas passé, dommage! Maintenant ça ferait un peu "réchauffé".
Les plats réchauffés sont souvent les meilleurs !
Bon, je vais voir, je ferais peut être réchauffer si vous me donnez ma note au test (si vous l'avez reçu parce qu'il m'est revenu deux fois...)
Bonjour,
Je me permets de vous écrire pour vous faire part de la naissance d'un blog qui présente des contes et légendes absurdes, du moyen age au futur.
J'écris ce genre d'histoire avec un ami d'enfance, depuis que j'ai 14 ans (nous en avons tous deux 27 désormais). Nous y mettons d'anciens contes, et d'autres en cours d'écriture.
J'espère que vous prendrez autant de plaisir à les lire que nous en avons eu à les écrires,
Nous vous remercions, que vive les contes !
Le blog : "les argonautes de l'espace" ou "space hérésie".
PS : Nous vous conseillons surtout le dialogue "Kakoubix 227"
Bonne lecture et longue vie à votre blog !
Evan et Sam, les blargonautes de l'espace