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Parti des SDF

On s'était tous réunis au Chat-qui-pisse-de-travers, rue Oberkampf, autour de Julien. C'est ce cadre ô combien non-conformiste qui avait été retenu pour présenter le programme du nouveau "Parti socialiste de figuration", autrement dit le "Parti SdF", à la presse.

Après quelques picon-bières dégueulasses, Julien se racla la gorge bruyamment car le journaliste de "Libé", Laurent Temouillepas, du service politique, était visiblement ailleurs… sans doute préoccupé par la revente du quotidien au groupe Lagarde & Publicains ? Si Arnault Ledur-Delabranche, son PDG, était connu pour être incapable de la moindre opinion politique ou religieuse, ce qui faisait bien les affaires de Temouillepas, en revanche il s'était taillé la réputation de n'accorder à ses cadres que des augmentations de salaire très parcimonieuses…

Le programme du "Parti SdF" pouvait se résumer à ce slogan : "Quelques jours de bohême dans une vie bourgeoise". Concrètement il s'agissait d'aller camper entre des SDF et de partager leur existence d'exclus pendant quelques nuits - de vrais SDF bien entendu, hors de question de payer des figurants et de retomber dans les vieux travers d'autrefois.

« D'une, argumenta Julien, les Français raffolent du camping ! Deuxio, j'ai choisi l'emplacement du canal St-Martin : en cette saison, lorsque le soleil s'éteint sur les reflets d'inox du canal, on dirait une aquarelle d'Henri Harpignies… ou d'Utrillo si vous préférez ; tertio, nous respecterons la "trêve des confiseurs" pour que tout le monde puisse passer les fêtes de fin d'année en couple… » (La dialectique marxiste avait donné le goût à Julien des plans en trois points.)

C'est alors que la voix suraiguë et éraillée d'un mauvais esprit s'éleva dans l'assemblée, près du bar, suggérant qu'on devrait peut-être inverser la tendance et abandonner complètement la vie bourgeoise pour opter pour la vie de bohême !
Malgré la discipline républicaine qui règne généralement chez les socialistes, cette "sortie" prouvait qu'il y avait de la marge : des citoyens qui buvaient et qui fumaient encore au sein des "forces de Progrès"…
Sans l'avoir formellement identifiée, Julien aurait pu jurer que c'était cette chieuse de Julie Vallès, l'arrière-arrière petite-fille de l'écrivain, qui venait de lui couper la parole. Qu'importe, il avait même prévu ce coup-là et il reprit le fil de son raisonnement :
« Non, en faire plus pour les SDF pourrait effrayer nos électeurs. Ça ressemblerait à une révolution, une révolution avec un grand "r". Nous devons leur prouver au contraire que le parti est capable de gouverner ! La révolution, oui, naturellement, mais le pouvoir d'abord, pour faire cette révolution ensuite, voilà l'idée moderne ! En outre, nous ne devons en aucun cas nous prêter à des actions qui pourraient ressembler à de la charité ou à des soupes populaires… Nous sommes des progressistes, oui ou merde ?! Ou des vieilles bigotes ? »
C'était dit sans trop de convictions, bien sûr, mais il s'agissait juste de faire taire cette conne de Julie… pour le reste, on était entre copains.

Pour conclure cette soirée, Julien qui avait hésité entre entonner L'Internationale ou Le Temps des cerises opta finalement pour Le Temps des cerises.

Deux heures plus tard il quittait le chauffeur de taxi (un G7, par superstition) qui l'avait raccompagné devant son domicile situé un peu plus dans le centre, en lui laissant une pièce de deux euros. Il était de bonne humeur. Il sentait qu'il tenait enfin sa revanche. Son physique un peu ingrat avait toujours privé Julien d'une victoire dans un scrutin majeur. Mais là, on ne pourrait faire moins que lui accorder un gros ministère dans le prochain gouvernement d'union de la gauche, si tout se passait bien. Et vu la bande de bras cassés, pas un pour rattraper l'autre, qui défendait le candidat d'en face, sûr que ça allait bien se passer !

Commentaires

  • Ah ben voilà, j'aime bien ce conte là, merci Lapin.

    Evidemment, j'ai quand même un truc à ajouter : le Petit Nicolas a un physique ingrat pourtant je trouve. Et Raffarin, l'a quand même présidé dans le Poitou non? Peut-être qu'un nez qui a du caractère compense le reste?

  • (Bizarrement, Pim, j'ai plus pensé à toi pour ce conte que pour le précédent ; tu m'as inspiré le personnage de Julie Vallès.)

    Certes, le physique de Nicolas est assez ingrat, mais il n'a pas pour le moment remporté de scrutin majeur, il s'est même pas mal vautré aux élections européennes et régionales, alors je ne vois pas où mon raisonnement pèche, Pim ?

    (Il y a un côté rassurant dans le physique de bedeau libidineux de Notre-Dame de Raffarin, tout de même, et puis le conseil du Poitou c'est pas décisif, un tremplin tout au plus.)

  • Très sympa votre affaire de SDF. Elle montre bien l'escroquerie UMPS.

  • Ah, voilà, c'est à ce genre de détails que l'on reconnaît tout de suite la fiction fabuleuse. Jamais de la vie la sortie de ce Julien n'aurait pu me faire taire! Même avec conviction je veux dire.

    (Dis donc Lapin, tu veux que je t'envoie un enregistrement de ma voix de contre-alto pleine et tonitruante?)

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