Le mérite du bouquin de Delbourg, paru discrètement en 2005 à l’occasion des cent ans de la mort de l’écrivain normand, est d’autant plus grand qu’il recopie de larges extraits d’Allais. Il se présente sous la forme d’un dictionnaire à entrées diverses et variées, de “A” comme “absinthe” à “Z” comme “zutiste” en passant par “K” comme “kamikaze”.
Où on s’aperçoit qu’Allais est le contrepoint de notre époque : aussi scientifique, familier des recherches du chimiste-poète Charles Cros, que notre époque est superstitieuse, aussi drôle que notre époque est philosophique, aussi divers que notre époque est uniforme, aussi sceptique que notre époque est crédule, aussi normand que notre époque est américaine - sa tombe au cimetière de Saint-Ouen a même été bombardée par l’aviation yankie - les salauds !
Même l’athéisme et l’anticléricalisme d’Allais sont démodés. Allais est bien loin d’être un de ces bigots du Néant, bardés de principes et qui ne cessent de claironner leur foi dans le Vide et le Non-être, que les croyants les gênent dans leur pratique, bref, la litanie habituelle.
Allais, il ne fait qu’exploiter la vieille parcelle de paganisme normand, il n’a pas de visées expantionnistes. Il est anticlérical comme Rabelais ou Molière ou Aymé, il se contente de remplir son devoir d’humoriste en égratignant les autorités, toutes les autorités, rien que les autorités ; et comme l’Église n’en a déjà plus beaucoup, d’autorité, du temps d’Allais, il n’est guère mordant.
Nul doute qu’au passage Choiseul le père de Céline lisait les chroniques d’Allais et qu’il n’était pas assez rosse pour priver son fils Ferdinand de journaux. On peut imaginer que Céline a été influencé par ce style direct ou qu’Allais l’a aidé à sentir tout le parfum de son siècle, si caractéristique.
En conclusion, lisez Allais, il ne vous en coûtera pas beaucoup plus cher qu’une place de cinéma et vous éviterez la migraine qui s’ensuit si le film vous était recommandé par “France-Culture”.
Commentaires
Allais écrit à l'arrache et ça se sent. Le style est sympa, mais les histoires manquent de fond et les chutes sont décevantes. Allais n'est pas un philosophe, mais bien un humouriste (ce qui n'est ni mieux ni moins bien), et personnellement il ne m'a pas fait beaucoup rire.
La philosophie sera dans l'absinthe ou ne sera pas ! Vive Allais ! Vive Blondin ! Vive le vermouth et le pernod-ricard à défaut !
C'est l'opinion commune sur Allais que vous exprimez, Joe. Moi je vous dis que c'est un orfèvre, un véritable artisan. Il fait court, c'est le plus dur.
Toutes ses chutes ne sont pas drôles, imprévisibles, ni même compréhensibles, en effet, de ce point de vue vous avez raison, Allais est mortel, aussi, et les anthologies de Caradec ne sont pas inutiles. Mais si on le compare à Hugo, il est quand même moins cousu de fil blanc. Je ne parle même pas des philosophes contemporains qui sont, eux, de véritables pelotes de fil blanc emmêlées !
Bats ton sentier au moins une fois par jour, si toi tu ne sais pas pourquoi, lui oui.
Allais est tout sauf un orfèvre... c'est bien la comparaison la moins juste qu'on pouvait lui trouver.
Pour moi en tous cas, un orfèvre est quelqu'un de méticuleux qui passe des heures à peaufiner son travail. Allais serait plutôt un sportif, un basketeur de génie, par exemple : capable de lancer une action fulgurante, de faire mille feintes et mille contorsions imprévisibles, tout ça pour finir en air ball...
En airbag tu veux dire ?
Tu as remarque mon Lapinos grâce à mon GPS dernier cri je retrouve toujours le chemin de ton blog !
Et puis après avoir marché dans les pas d'Allais, on peut "aller" lire Alexandre Vialatte. On s'y cultive, on s'y marre, on y réfléchit et on y respire beaucoup un autre air aussi... (il faut savoir y lire les coups de cravache et de pied au cul cachés dans la ponctuation, notamment)
Ah! Ca fait rudement plaisir ce bel éloge du grand Alphonse Allais.
Ne pas oublier qu'il fut également, bien avant Malevitch, l'inventeur du monochrome en peinture (présentant, par exemple, une toile entièrement rouge intitulée "la récolte de la tomate par des cardinaux apoplectiques au bord de la mer Rouge") , qu'il fut un adepte des blagues les plus stupidement rigolotes (signer ses contes les plus ratés ou les plus obscènes du nom de Francisque Sarcey, l'auguste critique du "Temps"! ou provoquer des duels en distribuant des cartes au nom des plus tartes notoriétés du moment : l'écrivain Paul Adam, l'économiste Leroy-Baulieu...) et que ces contes sont des sources inépuisables de bonheur absolu.
Connaissez-vous le "Conte de Noël" où le Créateur affiche ses penchants anarchistes? C'est assez gratiné :
Extrait (c'est Dieu qui parle) :
"Ah! ne pleurniche pas, toi! les pauvres petits pauvres! Ah! ils sont chouettes, les pauvres petits pauvres! Voulez-vous savoir mon avis sur les victimes de l'Humanité terrestre? Eh bien! ils me dégoûtent encore plus que les riches!...Quoi! voilà des milliers et des milliers de robustes prolétaires qui, depuis des siècles, se laissent exploiter docilement par une minorité de fripouilles féodales, capitalistes et piou-pioutesques! Et c'est à moi qu'ils s'en prennent de leurs détresses! Je vais vous le dire franchement : si j'avais été le petit Henry, ce pas pas au café Terminus que j'aurais jeté ma bombe, mais chez un mastroquet du faubourg Antoine!"
Céline? Après tout...oui!