Il n'y a pas de dieu plus transcendant, c'est-à-dire abstrait, que l'homme lui-même. La disparition des divinités païennes antiques dépend de ce qu'on nomme, dans le langage religieux moderne, la "démocratisation", et qui ne consiste en réalité que dans l'enrichissement de l'Occident aux dépends du reste du monde.
L'Occidental moderne "touche" à la puissance et aux valeurs actuelles, il les palpe dans tous les sens. Contrairement aux dieux primitifs, qui se tenaient sur un pied plus élevé, séparés du peuple par le cordon de sécurité formé par le clergé. Pour peu qu'il dispose d'un compte en banque garni, chacun peu toucher du doigt les saintes espèces. La domination de l'Occident sur le reste du monde n'est pas seulement militaire, elle est aussi religieuse. Les ministres du culte libéral cherchent à imposer dans des pays tiers des moeurs qui ne correspondent pas à leur état de développement économique, comme le vieillard stérile cherche à imposer au jeune homme plein de vitalité son excessive prudence et le baiser avec la mort, dont les ruines sont portées à croire qu'il leur vaudra "ad patres" une condition moins vile.
Dire que les citoyens des Etats modernes totalitaires ont "perdu la foi" est mensonger, puisqu'ils se soumettent quotidiennement à des exigences transcendantales, sans trop se poser de questions ; ils sont ainsi déterminés par une cause religieuse, un "Deus ex machina".
Ces divinités "transcendantales" revêtent l'aspect du langage ou de la rhétorique. A cela on reconnaît leur caractère humain, d'appropriation de la puissance naturelle. La culture, qui est le fait d'artistes médiocres au service de la propagande, et n'a de cesse de faire passer la prostitution pour la liberté (quel art plus putassier et conforme que le cinéma ?), la culture s'efforce de rendre sacré ce qui, dans la nature, est le plus près de refléter la société humaine, dont les membres les plus éminents, "starifiés", paraissent près d'atteindre au divin. L'argent qui circule en abondance dans les Etats occidentaux est comme un état de grâce culturel.
Ainsi "l'avenir", cette étoile démoniaque qui brille au firmament de la coupole capitaliste, est largement inspiré du phénomène biologique, obsession des régimes totalitaires, sous la forme du racisme ou du métissage, suivant les circonstances.
+
La valeur de l'art dit "moderne" est essentiellement spéculative ; ce qui indique sa valeur religieuse, puisqu'il en est de même de l'eucharistie, miroir d'espérances religieuses. Il vaut mieux parler de "biens culturels". Bien sûr, le caractère spéculatif ou totalitaire n'est pas apparu soudainement, mais les biens culturels modernes ont une charge religieuse extraordinaire, à tel point qu'ils sont comparables surtout au mobilier ou à l'orfèvrerie de siècles plus anciens, prémisses véritables de l'art abstrait. Rien de plus abstrait, au sens kandinskien, qu'une cuillère et une fourchette.
Balzac, qui n'est pas un agent culturel et n'est donc pas "moderne", réitère l'avertissement de la sagesse antique contre le pacte avec la Fortune : il ne dure pas éternellement. Satan prête beaucoup, mais il ne donne pas. Satan prête la réflexion et le calcul, mais ce sont des tapis de prières et de voeux dans lesquels l'homme finit par se prendre les pieds et chuter, face contre terre.
J'ai déjà entendu des yankees ou des banquiers allemands, des experts-comptables danois, s'étonner de la méfiance des Français les moins bêtes vis-à-vis de l'argent. Méfiance feinte, sans doute, car quand un type de cette espèce veut salir l'écrivain anarchiste L.-F. Céline, c'est encore sa propre pourriture et son goût de l'argent qu'il lui prête le plus souvent.