L'intérêt du rapprochement entre Bacon et Shakespeare est de permettre une meilleure compréhension de l'oeuvre de ce dernier. La question de la propriété intellectuelle est une préoccupation de margoulin ou de cinéaste.
La propriété intellectuelle, témoignage du racket libéral actuel, est du reste anachronique en ce qui concerne Shakespeare ; tout comme l'argument des styles opposés de Bacon et Shakespeare. Non seulement Shakespeare sait que les personnes stylées sont imbéciles, mais il en fait assassiner plusieurs de cette sorte par Hamlet, ce qui marque assez sa désapprobation (L'obsession du style est chez les écrivains qui n'ont pas les compétences pour écrire des oeuvres pornographiques, ou sont trop pudibonds pour le faire.)
Non pas que Shakespeare ne se préoccupe aucunement de l'effet qu'il veut produire sur ses lecteurs, mais si l'art de Shakespeare ne reposait que sur les effets, il serait l'art religieux le plus abstrait, et pour ainsi dire totalitaire comme la musique ou l'architecture.
- Pour S. Freud, le théâtre de Shakespeare traduit une psychologie trop complexe pour être l'oeuvre du brave homme de théâtre né à Stratford-sur-Avon, dont la femme et les filles ne savaient pas lire. Là encore, ce n'est pas vraiment la question. Bacon ne cache pas son mépris pour la culture et l'intellectualisme médiévaux, dont la philosophie morale allemande, Freud compris, n'est qu'une résurgence. Bacon n'a pas en outre une opinion très haute de la médecine et des médecins, qui promettent beaucoup mais tiennent peu.
La question, c'est plutôt que Shakespeare se montre capable de dialoguer avec Homère, et non seulement comme Racine de faire jouer des drames bourgeois à des acteurs en costumes anciens.
"Le 28 décembre 1594, se donna aussi une représentation de La Comédie des erreurs dans la grand-salle de Gray's Inn, à l'occasion des festivités organisées pour Noël par ce collège d'avocats et présidées par un Lord of Misrule connu sous le nom de Prince of Purpoole. Il est possible que Shakespeare ait été choisi comme auteur en raison de ses liens avec Southampton, celui-ci étant membre de Gray's Inn [du nom du manoir de Bacon]. Cette pièce sur des jumeaux et des erreurs d'identité, avec toutes les intrications de preuves et de témoignages qui s'ensuivent, plaisait beaucoup, bien sûr, aux étudiants en droit. pour Gray's Inn, Shakespeare retravailla la pièce. Il introduisit de nouvelles références juridiques et deux scènes de tribunal. On éleva une scène spécialement pour la pièce, ainsi que 'des échafaudages à baisser et lever vers le plafond, pour accroître l'attente'. On devait donc avoir prévu des effets spectaculaires de machines. Hélas, la pièce ne bénéficia pas des meilleures conditions. Il y avait trop d'invité et l'événement était si mal organisé qu'il fallut écourter la soirée. Conviés par leurs collègues, les membres les plus influents de l'Inner Temple quittèrent la salle "mécontents et fâchés" ; sur quoi, des spectateurs envahirent la scène, ce qui ne facilita guère la tâche des acteurs. Un rapport de la Gesta Grayorum conclut que 'cette soirée commença et continua dans la plus grande confusion, et ne fut qu'une succession d'erreurs ; raison pour laquelle on l'appela 'La Nuit des erreurs'. (...) La personne rendue coupable du fiasco fut justement un membre et 'orateur' du tribunal, Francis Bacon, amateur de pièces de théâtre et écrivain auquel on attribue parfois les pièces de Shakespeare."
Peter Ackroyd (Shakespeare, 2005)
Pour ceux qui se demandent quel pourrait être le mobile de Bacon pour prendre un pseudonyme, ils n'ont qu'à lire Shakespeare. Imagine-t-on un Garde des Sceaux aujourd'hui, qui, même sous un faux nom, piétinerait les valeurs républicaines et démocratiques bcbg ?