L'athéisme moderne peut être considéré comme le produit dérivé de la théologie chrétienne. En effet, sans le préalable du développement au sein du "monde chrétien" d'un discours anthropologique dépourvu de fondement évangélique, l'athéisme moderne est inconcevable.
Dans certains cas, le prolongement de l'anthropologie dite "chrétienne" par l'athéisme est parfaitement assumé (c'est le cas par exemple du philosophe libéral Luc Ferry).
Nitche, lui, paraît s'opposer violemment au christianisme, qu'il charge à la manière des anciens Romains de tous les vices. Mais Nitche n'est pas "athée" au sens strict : il est nostalgique du culte romain païen de la famille. Celui qui tient à s'exprimer au nom de l'antéchrist détient une vérité que, déjà, d'une certaine manière Judas détenait : le Christ ne fournit aucun appui à l'ordre social, encore moins l'illusion que l'ordre social, expression du péché dans la prophétie chrétienne, peut être amélioré. Selon toutes les paraboles, la spiritualité chrétienne renverse l'ordre social. Cela explique la haine des juifs vis-à-vis du Christ. Le clergé, dont la fonction inchangée depuis des millénaires est la justification de l'ordre social, voit dans le Christ un adversaire.
L'influence d'une philosophie morale aussi religieuse que celle de Nitche en France (Dionysos implique une dévotion plus profonde), s'explique largement par l'influence des Etats-Unis où sévit une religion de type nitchéen, bien que parée de l'étiquette chrétien, où la réconciliation a été opérée du christianisme avec le pouvoir politique, la propriété, l'armée, la société, le cinéma, bref toutes les valeurs antichrétiennes. Peu importe l'étiquette de la bouteille, pourvu qu'on ait le fanatisme religieux "dionysiaque".
- Je suis témoin d'une étonnante rencontre médiatique entre deux parangons des valeurs républicaines modernes, Jean-François Kahn, dans le rôle du philosophe athée, et Patrick-Poivre d'Arvor, héraut du devoir d'information, dans le rôle du confesseur ou de l'accoucheur.
PPDA : - Et, donc, vous ne croyez pas en dieu ?
J.-F. K. : - Non, j'ai été baptisé dans la religion catholique, mais il y a longtemps que je ne crois plus en dieu. Notez que ça ne m'arrange pas, car compte tenu des bonnes actions que j'ai accomplies dans ma vie, je serais à peu près certain d'avoir les faveurs de dieu.
PPDA : ??? Mais n'êtes-vous pas philosophe ?
J.-F. K. : - Oui, je me considère comme un philosophe.
PPDA : - Et, même à ce titre, vous ne vous posez pas la question de dieu ?
J.-F. K. : - Non.
Comme on peut le constater, l'autopersuasion joue dans l'athéisme un rôle équivalent de celui qu'elle joue dans la foi en dieu. L'athéisme dont le philosophe Jean-François Kahn se fait l'écho a une cause de ciment social. Depuis le XIXe siècle indique Marx, le prolétariat n'est plus tenu comme il l'était auparavant de s'incliner devant dieu, mais seulement devant la puissance publique, d'où l'anthropologie tire tout son pouvoir de persuation, de sorte que souhaiter la disparition de l'Etat, comme Marx, revient à souhaiter la disparition de l'anthropologie, c'est-à-dire de l'éthique.