Le radoteur peut toujours opposer la musique à ses détracteurs, qui ne fait pas autre chose depuis des millénaires, et n'en fait pas moins l'admiration des foules. Il y a un compositeur un peu moins bête que les autres, qui révèle le truc ; je ne sais plus qui, Beethoven peut-être, parce qu'il était sourd. Et Nitche aussi révèle le fond de son âme : le goût de l'immobilisme. La modernité aussi est sur le principe de la musique : le recyclage des mêmes vanités à l'infini.
Il m'est arrivé de passer devant la salle Pleyel et d'y voir le spectacle de la passivité satisfaite d'elle-même, tous ces branleurs qui voudraient que leurs privilèges durent à l'infini, et se prolongent même dans l'au-delà.
Une historienne, je devrais dire une chroniqueuse des petits détails du passé par égard pour Shakespeare, le grand ennemi de la mécanique et des mécaniciens, m'apprend que les Français ont découvert Mozart sous le régime de Vichy. Il n'était plus joué, inconnu avant, on était passé à autre chose.
De la musique, le cinéma est la métastase, qui se substitue complètement à l'imagination, la détruit en prétendant l'incarner.
Commentaires
Je sors à peine de plus de vingt années de passions intenses avec le cinéma, l'utilisant aujourd'hui comme une sorte de thérapie quand le besoin d'être confortablement sidéré me traîne devant un film. La question déchirante que je me pose est l'ampleur des traces que le cinéma laisse dans le mécanisme de l'esprit. L'immobilisme dont tu parles se répercute dans la façon d'appréhender la vie, une insatiable tendance à attendre l'effet. Malheureusement, je crois que si l'on abandonne pas cette folie très jeune, c'est foutu.
Comme j'ai l'habitude de dire, on reconnaît un vrai marxiste à ce qu'il méprise le cinéma, puisque c'est la religion dominante aujourd'hui. La vie, c'est du cinéma, et la vie est tellement contrainte aujourd'hui, tellement encadrée, qu'il peut parfois paraître plus exaltant de la vivre par procuration, sur grand écran.
- C'est le cinéma lui-même qui incite à percevoir l'esprit comme un mécanisme. Celui qui trouve de la subtilité au cinéma, en trouvera aussi à l'esprit humain, alors qu'il n'en a pas. Même si on s'en tient au domaine strict de la mécanique et du cinéma, ceux-ci ne font que recopier la nature, et tous les gadgets modernes sont, en même temps, complètement archaïques. La technocratie et les arts technocratiques nous ont sorti de l'histoire pour nous plonger dans le morne balancement entre la nature et la culture : mais rien ne prouve que ce soit définitif, et que l'esprit soit mort.