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Nitche et le nazisme

L'étude approfondie de la doctrine de Nitche permet de mettre à jour la nature hybride ou contradictoire de l'idéologie nazie. C'est une des raisons pour lesquelles cette étude approfondie n'a jamais été faite. L'étude scolastique de Heidegger est ainsi marquée par un effort de réhabilitation personnelle. L'idéologie nazie emprunte à Nitche son motif artistique satanique le plus noble, et à l'hégélianisme sa détermination militaire et militante la plus abstraite et la plus superficielle, en même temps qu'elle est la plus efficace. L'autodafé de la culture dégénérée est l'acte le plus nitchéen, qui correspond parfaitement à la volonté de Nitche de mettre un terme à la culture moderne la plus abstraite (sauf la musique ?) ; tandis que la tentative eugéniste d'amélioration de la race humaine suppose un préjugé socialiste hégélien. Nitche, en tant que suppôt de Satan autoproclamé, botte même le cul des Allemands, dans lesquels ils ne voit pas des "aryens" mais des sous-hommes.

Dans ce pays le moins doté d'une "conscience nationale" qu'est la France, et le mieux prédisposé à discerner dans le socialisme un nouveau cléricalisme et une nouvelle casuistique, la fortune critique de philosophes tels que Heidegger, Sartre ou Althusser est assez stupéfiante ; elle tient à l'appui d'organes nationalistes liés à l'appareil d'Etat, ainsi qu'à la détermination capitaliste essentielle du nationalisme, qui dans la formule européenne ne cherche même plus à se dissimuler. La persistance de l'idéal nationaliste pangermaniste, à elle seule suffit à ôter l'étiquette de l'humanisme, et même des "Lumières françaises", aux élites libérales intellectuelles qui s'en disent les héritières.

Il y a deux moments de la politique où le nationalisme trouve et sa cohérence, et où le peuple se trouve dans la dépendance la plus complète de la volonté exclusive de ses élites ; le premier, c'est la mobilisation guerrière contre un ennemi qui menace la propriété des élites ou s'oppose à l'extension de celle-ci, jusqu'à ce que les guerriers baissent le drapeau et que la société retourne à des occupations plus féminines ; le second moment est celui de la compétition économique, où l'aspiration nationaliste est permanente et mieux adaptée à la liquidation de la propriété foncière. Le capitalisme ne fait qu'accroître la terreur des élites d'être dépossédées de leurs biens, dont dépend la mécanique du terrorisme moderne. A cet égard, la culture de mort hégélienne ne s'impose pas comme le croit Nitche en raison de l'aptitude du peuple à gober la moraline judéo-chrétienne, mais comme la courroie de transmission au peuple du tempérament hypocondriaque d'une élite de propriétaires captieux. Il était par conséquent naïf de la part de Nitche de croire dans le soutien du grand capital afin d'éradiquer le christianisme, et insultant vis-à-vis des Juifs de les dépeindre comme étant tous, racialement associés afin de poursuivre le mobile de Shylock. On retrouve encore derrière ce personnage, non pas l'antisémitisme de Shakespeare, mais son extraordinaire prescience de l'abomination de la formule éthique moderne, et de l'usage de l'Ancien testament par les élites chrétiennes modernes afin de fermer la porte à l'histoire. C'est, dans le "Marchand de Venise", l'anthropologie "judéo-chrétienne" qui est décrite comme une anthropophagie abominable. Contrairement à Nitche, Shakespeare est parfaitement conscient de ce que la loi de Moïse n'ouvre droit ni à l'anthropologie, ni à l'éthique. Si d'ailleurs Nitche avait bien voulu pousser son examen un peu plus loin, tant de Shakespeare que de la théologie chrétienne, il aurait pu constater qu'aucun théologien un tant soit peu sérieux ne fournit de caution à la morale "judéo-chrétienne". Un théologien chrétien la comprendra pour ce qu'elle est : un instrument de négationnisme de l'histoire et des prophètes, en même temps qu'une manière sournoise pour le clergé chrétien de ne pas tenir compte du Messie et de saint Paul. Cette morale "judéo-chrétienne" est la première cause de l'antisémitisme assassin, car c'est bien sûr poser l'équation du Juif et de Shylock, à la manière de Nitche et non de Shakespeare, qui revient à l'exposer à la vindicte populaire.

Certes, Nitche, n'est pas humaniste non plus, mais il a le mérite de la franchise de ne pas se faire passer pour tel, ce qui constitue le comble de l'immoralité des élites modernes. Son combat, Nitche le mène à visage découvert, sous le patronage de Satan, et non comme Polonius, préfiguration shakespearienne de l'intellectuel moderne, caché derrière une tenture.

Cette inculpation des élites modernes comme les élites les plus immorales et les plus irresponsables, arc-boutées sur l'éthique la plus virtuelle et la plus fallacieuse, n'est pas l'apanage de Nitche. On a pu voir les artistes catholiques Léon Bloy ou Bernanos, ou encore Simone Weil, mener le même combat. Mais Nitche est le seul à comprendre que ce combat ne peut être mené qu'au nom de la foi et de la raison sataniques, c'est-à-dire que Satan est le seul dieu qui peut être compris en termes de "valeurs" objectives.

Shakespeare est le seul à donner un sens eschatologique chrétien à cette dépréciation des valeurs et à traduire le mouvement occidental comme un champ de bataille à l'heure du crépuscule.

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