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Sainte Laïcité

Sans l'Education nationale, puissance militante, l'idée laïque qui repose sur un discours historique entièrement truqué ne résisterait pas aux nombreuses critiques scientifiques que l'on peut formuler à l'encontre de l'argumentaire laïc, qui repose entièrement sur une casuistique juridique.

Trois idéologies ont successivement servi de cadre à l'éducation des jeunes Français : le catholicisme romain, la franc-maçonnerie et le stalinisme, cédant dernièrement comme l'union soviétique à la détermination religieuse des marques de fabrique publicitaires, devenues les signes distinctifs religieux les plus courants. Ces trois idéologies ont des caractéristiques similaires ; en tant que doctrines à vocation institutionnelle, leur cohérence repose sur le négationnisme de l'histoire ; c'est ce qui explique, par exemple, que K. Marx soit "persona non grata" dans l'Education nationale ; les fonctionnaires staliniens ont veillé à ce que sa critique drastique de l'Etat républicain n'y paraisse pas.

A une jeune immigrée roumaine qui me faisait part de son étonnement que la France soit une république plus soviétique que la Roumanie, j'ai répondu que cela s'explique par le monopole de l'Education nationale. J'ai omis de lui conseiller la lecture de Lénine, qui s'incline devant le primat de la France de Colbert en matière de totalitarisme centralisé.

Le nationalisme, qui s'appuie aux Etats-Unis sur une multitude de sectes, s'appuie en France sur une secte unique et une biographie de la France républicaine qui présente de nombreuses analogies avec certaines biographies de la Vierge Marie ; née dans le sang, la France républicaine n'en est pas moins immaculée de conception. Main dans la main, on voit que les élites républicaines laïques françaises et démocrates-chrétiennes allemandes (le national-socialisme est moins discrédité en France grâce à saint Jean-Paul et à sainte Simone) tentent la difficile transposition du culte de la Vierge France en culte de la Vierge Europe.

Enième "philosophe aux caniches" après le crétin boche Schopenhauer, Luc Ferry justifie le monopole de l'Education nationale par son rôle de "ciment national" (sic). On ne peut pas avouer plus directement l'usage religieux de l'Education nationale laïque. Voilà un philosophe républicain de plus qui tente de nous faire croire que ce n'est pas l'argent et la propriété qui constituent le liant de la nation, et que le dépôt de garantie de la foi laïque n'est pas dans les banques. A quel sorte de Persan veut-on faire croire ça en dehors d'Ali Baba ?

Le ciment vanté par Luc Ferry est le matériau qui a le moins de traçabilité. Les Français exigent pour leurs steacks des références qu'ils ne réclament pas pour la laïcité, substance conçue par quelques cacouacs alchimistes dont la phraséologie donnera la nausée à n'importe quel esprit un tant soit peu français. Ces cacouacs voudraient qu'on boive leur bain de bouche et qu'on le prenne pour un grand cru.

Il est pratiquement impossible de trouver à la laïcité des racines en France, comme aux idéologies qui l'ont amené. Je ne prétends pas que tout ce qui n'est pas français est mauvais, mais que le paysan veille à ne pas épandre sur son champ n'importe quoi. Bien qu'il soit assez allemand, il n'est pas permis de faire de Voltaire le père de la laïcité. Celui-ci est persuadé de la nécessité de l'encadrement religieux des masses populaires, et l'idée d'un enseignement neutre ou libre ne peut naître que dans une cervelle de teuton. Voltaire n'est pas assez allemand non plus pour être aussi imperméable à l'histoire et à la science qu'un authentique laïc. Voltaire n'est pas prêt à assumer la triple sclérose du jésuitisme, de la franc-maçonnerie et du stalinisme, comme Sartre. Voltaire n'est qu'un franc-tireur jésuite rêvant de prendre la place du général des Jésuites après avoir fait la démonstration de sa supériorité intellectuelle. Voltaire n'ignorait pas que l'académisme ne pouvait qu'engendrer l'imbécillité.

Voltaire est plus près de ces héritiers allemands des Lumières, capables de discerner que la religion moderne laïque n'est qu'une version sécularisée de la religion catholique romaine. Ainsi la supercherie philosophique de Hegel qui consiste à poser la coïncidence de l'histoire et du mouvement institutionnel indiqué par l'appareil d'Etat et ses fonctionnaires n'est pas l'invention de Hegel, mais un subterfuge ancien de l'Eglise romaine, où réside la formule du totalitarisme. Ce subterfuge est celui qu'aucun apôtre chrétien n'a été capable de battre en brèche avec la même force que Shakespeare. Il consiste pour l'Eglise romaine à se présenter comme une institution historique. Le principe du droit moderne décadent est ainsi posé, non pas comme le prétend F. Nitche en vertu d'un mouvement évangélique populaire, mais afin de satisfaire un besoin ecclésiastique élitiste. Il en est très exactement de même aujourd'hui de la moraline compassionnelle laïque : non pas destinée aux victimes, mais d'abord à leurs ayant-droits supposés. Hegel, le "grand Hegel", comme on dit avec déférence sur la radio allemande "France-Culture", n'a fait que donner à la doctrine romaine catholique une couleur allemande protestante, mettant ainsi un terme définitif au luthéranisme, dont Marx est à peu près le seul à prolonger l'ouvrage de déconstruction juridique. Nitche, quant à lui, se contente de rappeler que Satan est le seul dieu dont la magistrature et les magistrats relèvent.

L'Eglise romaine prive le droit de son sens naturel, d'une part, et l'histoire de son sens eschatologique juif et chrétien. Il n'en fallait pas plus pour promouvoir l'anthropologie comme religion.

La prétendue "neutralité laïque" dissimule un principe relativiste, c'est-à-dire le comble du fanatisme religieux. Il n'y a que l'aliéné mental à être persuadé de l'objectivité de son optique subjective, et à cet égard les dogmes d'Einstein ont la même valeur frauduleuse de cadre scientifique que l'hégélianisme dans le domaine de l'histoire. L'argument laïc fait long feu, qui consiste à reprocher à l'islam, au judaïsme, au christianisme, voire au paganisme authentique de Nitche de se référer à des vérités extérieures à l'homme et au système légal, sans jamais fournir l'élucidation de la vérité supérieure siégeant à l'intérieur de l'homme et au milieu des lois ; une vérité dont la psychologie de Nitche dévoile qu'elle n'est autre qu'une volonté d'anéantissement de soi, de sorte que l'homme moderne n'est pour Nitche qu'un crucifié dans l'espoir d'un utopique salut. Et l'on constate effectivement que le seul moyen pour un sectateur du principe laïc de sortir du registre masochiste pour pouvoir jouir, est de piétiner la sacro-sainte neutralité laïque. Cette religion anémiante a en outre pour effet de tripler la valeur érotique des gadgets capitalistes.

Cette vérité ou cette liberté intime que le régime laïc cultive, autrefois présenté sous la forme la plus inconsistante de l'âme, peut se définir aujourd'hui comme une variable de temps et d'espace, que la thérapie freudienne se fait fort de réaccorder quand le métronome est bloqué (la médecine de l'âme n'est une science que pour les peuples pour lesquels la musique est un art supérieur, et le monde antique préférait à juste titre la gymnastique du corps à celle de la musique). Or on ne peut pas se fier, lorsqu'on est sain d'esprit, à une variable comme à une vérité ; pas plus qu'on ne peut se fier au jugement d'un aliéné mental, qui demain ne sera sans doute pas le même qu'il est aujourd'hui. Le principe laïc a pour effet d'imposer la mode comme une vérité.

Marx est non seulement conscient que la dialectique de Hegel n'en est pas une, c'est-à-dire que la succession d'états d'âmes différents n'est pas une dialectique mais une partition de musique romantique, mais également du rôle joué par la révolution industrielle dans la sécularisation opérée par Hegel de l'anthropologie catholique romaine. C'est un "détail" que Nitche omet afin d'inculper le christianisme. La bourgeoisie industrielle n'a cure d'une religion catholique romaine qui ménageait une large place au paganisme afin de satisfaire les besoins d'une aristocratie, dont le pouvoir reposait sur la propriété foncière et non sur l'asservissement du prolétariat. D'une certaine manière, c'est le même problème que pose l'islam aux autorités morales aujourd'hui.

La nécessité s'est donc fait donc sentir d'arracher le paysan à ses valeurs traditionnelles pour le rempoter dans le culte identitaire et les valeurs anthropologiques abstraites fournies par Hegel, à une matrice légale et non plus à une matrice naturelle plus physique. Sartre n'a aucun besoin de dieu pour prêcher le socialisme étatique - c'est-à-dire le totalitarisme - aux ouvriers de Billancourt. Rien n'est plus gênant pour un prêcheur qu'un dieu qui n'est pas le veau d'or, c'est-à-dire la providence sous la forme d'une idole. Sans la providence, le prêcheur ne peut plus se présenter comme un homme providentiel.

La mythologie antique permet la comparaison de l'Etat moderne totalitaire, à quoi la religion laïque s'efforce d'enchaîner l'homme, au dieu des enfers Hadès et sa prodigalité légendaire. Sous prétexte de libérer l'homme du destin ou de dieu, l'Occident moderne n'a de cesse de lier l'homme à l'origine et la fin abstraites de sa servitude.

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