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L'Odeur du Danemark

"Jusqu'à ces derniers temps, les enfants prodigues disaient merde à leurs pères et passaient à la Gauche, avec armes et bagages ; le révolté, c'était classique, se changeait en militant. Mais si les pères sont à gauche ? Que faire ? Un jeune homme est venu me voir : il aimait ses parents mais, dit-il avec sévérité : "Ce sont des réactionnaires !" J'ai vieilli et les mots avec moi : dans ma tête, ils ont mon âge ; je m'égarai, je crus avoir affaire au rejeton d'une famille aisée, un peu bigote, libérale peut-être et votant pour Pinay. Il me désabusa : "Mon père est communiste depuis le congrès de Tours." Un autre, fils de socialiste, condamnait à la fois la SFIO et le PC : "Les uns trahissent, les autres s'encroûtent." Et quand les pères seraient conservateurs, quand ils soutiendraient Bidault ? Croit-on qu'elle puisse attirer les fils, la Gauche, ce grand cadavre à la renverse, où les vers se sont mis ? Elle pue, cette charogne ; les pouvoirs des militaires, la dictature et le fascisme naissent ou naîtront de sa décomposition. ; pour ne pas se détourner d'elle, il faut avoir le coeur bien accroché. Nous les grands-pères, elles nous a faits : nous avons vécu par elle ; c'est en elle et par elle que nous allons décéder. Mais nous n'avons plus rien à dire aux jeunes gens : cinquante ans de vie en cette province attardée qu'est devenue la France, c'est dégradant. Nous avons crié, protesté, signé, contresigné ; nous avons, selon nos habitudes de pensée, déclaré : "Il n'est pas admissible..." ou : "Le prolétariat n'admettra pas..." Et puis finalement nous sommes là : donc nous avons tout accepté. Communiquer à ces jeunes inconnus notre sagesse et les beaux fruits de notre expérience ? De démission en démission, nous n'avons appris qu'une chose : notre radicale impuissance."

J.-P. Sartre (Situations)

- Gauche-droite-gauche : le pas de l'oie.

 

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