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Ironie et histoire

Nitche fait de l'humour ou de l'ironie, non seulement une vertu française, mais la marque d'une conscience païenne supérieure - d'où l'hommage qu'il rend aux moralistes français du XVIIe siècle. Le salut chrétien n'est aux yeux de Nitche qu'une plaisanterie saumâtre, car il soumet l'homme à une perspective entièrement abstraite, en contrepartie de la renonciation au bonheur terrestre, visée plus juste des religions païennes.

Dans une large mesure, la religion grecque ne correspond pas à la définition trop restreinte que Nitche en donne, et qui consiste à nier qu'il y a une métaphysique grecque, pour réduire l'art grec à une simple détermination anthropologique, alors que tout laisse penser au contraire que Homère, Aristote ou Démocrite on une démarche théologique authentique, et ne sont pas seulement des poètes ou des moralistes. On voit bien notamment comme Homère et la mythologie soulignent que le plan humain du désir contrecarre le plan divin de la sagesse. Il y a d'ailleurs dès l'Antiquité grecque un matériel scientifique suffisant pour réfuter la science physique relativiste d'Einstein, qui déduit les propriétés de l'univers ou du cosmos des seules facultés humaines, c'est-à-dire prend pour un dogme l'idée selon laquelle la nature s'organise autour de l'homme.

Le néo-paganisme écologiste ou libéral découle de l'idée d'exploitation plus ou moins rationnelle de la nature. Ces doctrines sont risibles du point de vue païen de Nitche, pour qui la nature est bien plus insondable que l'homme, dont le mobile biologique est transparent, et qu'il n'y a pas besoin de gratter beaucoup le vernis culturel pour découvrir. L'ironie est d'ailleurs permise par la connaissance de soi ou l'exaltation artistique de soi comme un être borné, limité, et non soumis au plan social infini, qui relie les hommes entre eux jusqu'à former une chaîne innombrable.

Nitche oppose donc la recette d'un humanisme païen à la culture moderne, qu'il accuse d'être un instrument d'aliénation judéo-chrétien. La doctrine de Nitche capote sur le point de savoir de qui cet instrument d'aliénation sert le dessein. Capoterait tout autant une théorie qui chercherait à démontrer que la culture de masse répond à une initiative et à des besoins populaires, puisqu'il est manifeste que cet aspect du totalitarisme porte la marque des élites. De manière caractéristique, ce sont les élites qui s'efforcent d'assimiler les gadgets technologiques ou juridiques au progrès scientifique ou juridique.

La doctrine païenne de Nitche est une doctrine aristocratique, et il ne peut en être autrement, en raison de sa référence rationnelle au droit naturel. Nitche est parfaitement conscient qu'une société égalitaire, en vertu de la nature, est impossible : une société égalitaire ne peut s'appuyer que sur la rhétorique la plus abstraite, qui tôt ou tard sera démasquée. Qu'adviendrait-il d'une société dont tous les membres seraient capables d'ironie, c'est-à-dire seraient avertis de la vanité de l'existence ? La raison de se soumettre au bonheur d'autrui serait perdue dans une telle société. C'est ce qui explique que les fachistes ont été naguère les meilleurs exégètes de Nitche, ne cherchant pas à dissimuler la nature essentiellement aristocratique du surhomme nitchéen.

L'amalgame de Nitche serait véridique entre la culture moderne et la moraline judéo-chrétienne si le christianisme permettait de définir un plan social, une doctrine sociale, ou encore une anthropologie. Or ce n'est absolument pas le cas, et l'apôtre Paul, ennemi juré de Nitche et des pharisiens juifs et chrétiens qui propagent sa doctrine, ne donne pas prise au plan social, à moins de ne retenir de Paul que les quelques conseils cironstanciels qu'il donne à ses disciples, et d'en ôter toute la partie eschatologique.

La conscience historique occupe quant à elle la même place que l'ironie dans la doctrine païenne de Nitche. Cette conscience historique, de Shakespeare ou Molière, a bien aussi un aspect ironique ; mais cette ironie, qui vise les rois tombés à terre, ne vient pas du constat de la vanité ou des limites de l'existence humaine, mais de la vanité et des limites du monde, et par conséquent de l'art humain. En définitive, après avoir cru reconnaître dans Shakespeare un semblable aristocrate (Francis Bacon), Nitche se demande quel but poursuit Shakespeare exactement. Shakespeare ne construit certainement pas une doctrine artistique à l'instar de Nitche, mais il montre bien plutôt que, comme le monde est condamné, l'art humain est aussi condamné à s'étioler, sans pour autant que la vérité soit altérée, ce qui constitue un démenti chrétien formel aux sciences sociales ou anthropologiques, ainsi qu'à la philosophie naturelle qu'elles ont fourni aux régimes totalitaires depuis le XVIIe siècle. 

 

 

 

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