Pour tenter d'expliquer que la science moderne n'est pas une science, dès lors que je rencontre un esprit curieux de science (ce qui m'est arrivé trois ou quatre fois dans ma vie à tout casser), je dis ceci : l'aspect de "poupées russes" est repérable dans la science moderne ; il se traduit, de façon moins imagée, par le fait que la réponse à une question débouche sur un nouveau questionnement ; par la suite la nouvelle réponse apportée, a pour effet de dévaluer la réponse n-1.
Autrement dit, on décèle sur le raisonnement scientifique moderne l'influence des mathématiques (géométrie algébrique). Les savants matérialistes les plus éminents, partisans de l'expérimentation scientifique par ailleurs, en lieu et place des hypothèses et démonstration trop générales, ont indiqué à quel point la tentative d'élucider la cause première ou la cause dernière reflète, non pas l'objet de la science, mais le besoin de l'homme de tirer des lois de la nature et de son observation. Par conséquent, pour ces savants matérialistes (Aristote et Bacon), les mathématiques ne sont pas une science fondamentale et les ingénieurs ne sont pas véritablement des savants.
Cet aspect de "poupées russes" est caractéristique de l'institution politique. Or, la caractéristique des régimes totalitaires où nous sommes, dit justement Hannah Arendt, est de ne pas concevoir l'antagonisme des démarches scientifique et politique, et que la science ne répond pas aux besoins auxquels la politique est censée répondre.
Où Hannah Arendt commet une grave erreur d'appréciation, s'agissant de l'évolution de la science moderne, et on sent d'ailleurs à la lire une hésitation et une dose de perplexité, c'est lorsqu'elle se figure la science moderne plus froide, plus "objective" (je mets entre guillemets ce mot à triple sens), sous l'influence des mathématiques. C'est tout le contraire, et il manque un chapitre chez Nietzsche afin de fustiger les mathématiques comme une science "humaine, trop humaine", ainsi qu'il le fit à propos de diverses spéculations morales modernes marquées par la philosophie médiévale, CARBURANT PRINCIPAL DE L'ANTICHRISTIANISME (car effort discret et sournois pour dénaturer la notion de péché originel).
J'invoque Nietzsche ici car il me paraît évident qu'il a influencé un certain nombre de critiques du totalitarisme moderne, dont Hannah Arendt, peut-être plus encore que Karl Marx en raison du cordon sanitaire disposé autour de K. Marx par les élites soviétiques ou staliniennes. L'esprit moderne n'est pas satanique, au sens de la culture de vie païenne prônée par Nietzsche. Mais il n'est pas "judéo-chrétien" non plus, contrairement à ce que prétend Nietzsche, car la prétention du clergé catholique à proposer une quelconque doctrine sociale ne résiste pas à la confrontation aux évangiles. La doctrine sociale chrétienne est exactement ce que les évangiles qualifient de "fornication" - on voit d'ailleurs Jésus-Christ se comporter toujours au cours de sa vie publique comme si la plus grande menace pour le salut devait venir du sein de l'Eglise, et non des païens comme Ponce Pilate.
Les chrétiens ont été avertis par leur Sauveur du complot permanent contre l'esprit de Dieu jusqu'à la fin des temps. Toute tentative de s'organiser politiquement sous des symboles chrétiens nous renseigne sur le poids extraordinaire que Satan pèse sur la conscience des hommes. La limite de cette influence est marquée par la science (non réflexive) ou la métaphysique. Si Nietzsche fait autant d'efforts pour la nier, quitte à mentir parfois de façon grossière, c'est parce qu'il sait très bien que la métaphysique constitue une brèche dans l'ordre naturel des choses, et qu'il est impossible de concevoir la métaphysique comme le prolongement de la physique.