Au cours de l'enquête qu'il mène sur la jouissance humaine, Jacques Léopardi note la difficulté de l'homme, en comparaison de l'animal, à jouir convenablement. La conscience de l'homme ne favorise pas sa jouissance. C'est toute l'ambiguïté de la psychanalyse, qui se propose de creuser, d'approfondir la question de la conscience humaine, de rendre l'homme plus conscient qu'il n'est en somme, tout en s'offrant comme une solution thérapeutique afin de permettre une meilleure jouissance. La démarche de Nietzsche est plus rationnelle, qui propose de raboter au contraire la conscience humaine, limitant l'activité spirituelle de l'homme à l'art, en niant qu'il y a un autre dieu que la nature vivante, et en posant plus comme un principe qu'il ne le démontre, que la science métaphysique n'est qu'une illusion. La ruse de Nietzsche consiste ici à réduire la métaphysique à des spéculations abstraites, quand bien même la recherche métaphysique s'oppose le plus souvent à l'abstraction (Aristote, Bacon), refusant ainsi d'élever la géométrie algébrique au rang de science fondamentale.
Léopardi note d'ailleurs que la quête de jouissance comme un souverain bien engendre chez l'homme des comportements erratiques et paradoxaux. L'humour est une telle démarche paradoxale, qui souligne le plus souvent les erreurs de l'homme et son inaptitude à s'amender à travers les âges. Le masochisme est sans doute le comble du paradoxe dans ce domaine. Il ne faut pas s'étonner, dans les cultures masochistes, de voir surgir une vénération et d'un culte idiot pour le monde animal, dans la mesure où celui-ci offre l'exemple de la volonté de jouissance à l'état pur.
Léopardi observe en outre que le suicide ou la mort, en mettant un terme définitif à toutes les souffrances, physiques ou psychologiques, recèle l'idée du bonheur la plus pure. C'est, d'une certaine façon, une promesse de sérénité définitive, quand le bonheur des vivants est le plus instable, sous la menace permanente du hasard, et sous l'épée de Damoclès de la déchéance physique. L'idée du bonheur dans la mort n'est guère éloignée de la promesse contenue dans les paradis artificiels, produits chimiques ou perspectives des religions animistes sur l'au-delà.
Léopardi lui-même fut tenté par le suicide pour la plus humaine des raisons : non pas une souffrance excessive ou l'impossibilité de jouir normalement, mais d'éprouver les limites de sa science. A quoi bon vivre, au fond, si l'existence se résout à la quête des moyens d'être le moins malheureux ? La curiosité scientifique justifie tout autant l'existence humaine que le bonheur, et Léopardi parvint au stade où plus rien ne lui semblait pouvoir étancher sa curiosité scientifique, une curiosité qui le poussait à sonder l'éternité et non à inventer de nouvelles prothèses afin de faciliter l'accès à la jouissance de l'espèce humaine peine-à-jouir.
Léopardi ne fait donc pas l'apologie du suicide, pas plus qu'il ne condamne le bonheur et la jouissance ; il condamne la quête de la jouissance comme le but ultime de l'existence, et le dieu, le paradis qui ne serait que l'enrobage de cet idéal de jouissance ou de bonheur. Le bonheur ne peut-être poursuivi par l'homme selon Léopardi que comme un moyen, et non comme un but. Léopardi, c'est l'anti-Nietzsche, dans la mesure où ce dernier place au contraire l'art de vivre au-dessus de la science. Léopardi est aussi antisocial, dans la mesure où les doctrines sociales ne peuvent viser comme un souverain bien que la vertu, étant ainsi dépourvues de toute vocation spirituelle.