Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Monde sentimental

La surprise des attentats-suicides dans le centre de Paris passée, le torrent des réactions spontanées a commencé d'inonder les "réseaux sociaux", contribuant à alimenter le terrorisme qui, sans les réactions sentimentales de la foule, n'aurait pas le même impact.

La stratégie du terrorisme est donc imparable. Elle ne renforce pas seulement la légitimité du terrorisme aux yeux d'éventuels postulants au djihad, mais également la légitimité de l'Etat dans ses fonctions policières et militaires vitales. La raison d'Etat passe d'autant plus pour raisonnable que les citoyens sont en proie à une émotion plus ou moins sincère.

Les attentats, bien que ce ne soit pas leur but, soulignent deux phénomènes convergents : - la mondialisation, dont le terrorisme est la rançon puisque la mondialisation est un processus impérialiste qui ne peut manquer de rencontrer une résistance. Le choc des cultures oppose la culture des nations soumises à l'impérialisme à la culture des nations qui bénéficient de la mondialisation ;

- d'autre part le sentimentalisme des masses, conditionnées à l'être. Les réactions sentimentales doivent d'autant plus être caractérisées comme une attitude religieuse trahissant l'absence d'esprit critique (les citoyens qui pleurnichent après les attentats n'hésitent pas à accorder leur blanc-seing à une politique économique impérialiste), d'autant plus que les élites françaises se prévalent d'une saine laïcité (c'est-à-dire, en principe, d'un esprit critique plus aiguisé).

Les médias et les réseaux sociaux, aussi contrôlés que possible par les institutions étatiques, sont le canal privilégié d'expression de réactions qui vont de l'hystérie à la tentative de récupération politique, mais qui dans tous les cas sont parfaitement inutiles. Le terrorisme ne peut pas se passer de ces réactions ; mais l'Etat ne peut pas se passer non plus des médias et des réseaux sociaux pour étendre et raffermir son emprise, notamment économique.

On peut définir le terrorisme comme une faille grandissante dans le processus de mondialisation, dans lequel les élites occidentales jouent le rôle le plus actif, et auquel les masses contribuent par leur passivité, c'est-à-dire une manière de réagir où l'émotion l'emporte sur la raison. La question politique est de savoir jusqu'où ira la faille ? Pour le moment, les élites occidentales ne sont guère inquiètes : leur arsenal militaire, d'une puissance sans équivalent dans l'histoire, est là pour les rassurer. Le terrorisme a même pour effet, dans un premier temps, de renforcer la légitimité de l'usage de la violence policière ou militaire. Mais ces élites ne peuvent ignorer le danger que le terrorisme fasse tache d'huile au sein des masses opprimées par l'Occident, qui représentent une force loin d'être négligeable.

Mais surtout le terrorisme marque la limite de la pensée politique contemporaine, et sans doute de la pensée moderne en général, dans la mesure où celle-ci n'accorde aucune place véritable à l'histoire (le progressisme n'est qu'une philosophie de l'histoire truquée, destinée à servir de religion aux masses dans le cadre totalitaire). En effet, le terrorisme entame la conception béate et optimiste d'une mondialisation heureuse, hypothèse irrationnelle au niveau de la science-fiction.

On ne fait pas de profit sans casser des oeufs, et la dynamique de la mondialisation est une dynamique de profit. Par conséquent le terrorisme, en tant que "dommage collatéral", a plus de sens que les publicités capitalistes grossières sur le thème "Peace and Love" ou des lendemains qui chantent, perspectives assignées au citoyen lambda d'un régime totalitaire, bien qu'absolument irrationnelles. Dans un régime dont le moteur est la compétition, c'est l'absence de violence qui serait étonnante.

La réflexion politique ne permet donc pas de voir au-delà de l'horizon du terrorisme. L'histoire offre une plus grande profondeur de vue, dans la mesure où l'histoire, science prophétique, commence par indiquer les limites de la politique et de la réflexion anthropologique. Ce faisant, l'histoire à la manière de Shakespeare purge l'esprit d'une conception politisée de l'histoire dont l'Etat totalitaire a l'usage afin de sidérer les masses.

Commentaires

  • Bonjour,

    ci-joint un florilège de "la honte prométéenne" de gunther anders : http://leuven.pagesperso-orange.fr/Baudet.htm

    bonne lecture

  • Il y a là je trouve une accumulation de symptômes, mais il manque un diagnostic ou ne serait-ce qu'une articulation des symptômes, comme on peut en trouver chez Nietzsche ou Hannah Arendt.
    Je résume pour ma part la maladie en disant, non pas "dieu est mort", mais "la science est morte" (d'une manière plus marxiste que nietzschéenne, puisque la science n'est pas la première préoccupation de Nietzsche, tandis qu'elle est celle de Marx, en quoi ce dernier est, selon moi, profondément juif). La science est morte, c'est-à-dire que le mot "science" ou l'adjectif "moderne" est constamment employé, comme une litanie religieuse, l'invocation systématique de dieu, quand bien même plus personne ne sait ce que c'est que la science, y compris dans les milieux dits "scientifiques", l'université.
    Je propose donc (dans ce blog) d'étudier de près comment et pourquoi la science est devenue "l'idéologie du progrès", religion d'un Occident riche et dominateur mais fondé sur une culture arbitraire extrêmement dangereuse. Les lacunes de Arendt, ou même Marx, viennent de là, du fait qu'ils ne se penchent pas assez sur la question de la science, ou formulent des diagnostics erronés ou imprécis (Arendt).

Les commentaires sont fermés.