Pour ne pas ajouter à la servitude du monde contemporain d’autres dépendances, j’ai décidé il y a quelques mois d’arrêter de baiser, de fumer et de boire, pour voir l’effet. Peut-être était-ce après avoir lu une page de Baudelaire ? Je ne sais plus très bien, ça n’a pas été une décision franche, nette et signée, je n’en ai parlé à personne.
Ça m’a demandé un effort moins grand que je ne pensais. Le contrecoup, c’est que je suis assailli, dès que je ferme l’œil pour prendre un peu de repos par des rêves de bacchanales pas ordinaires - pas exactement le genre boîte de nuit, musique techno et boule à facettes. Mais cela cesse dès que j’ouvre l’œil. Les rêves sont plus vrais que la réalité : c’est dingue, si je pouvais me payer les mêmes grands crus que je bois dans mes rêves, et les mêmes havanes, je crois que je me remettrais à boire et à fumer sur le champ !
Achtung, je ne me prends pas pour un samouraï pour autant, ni pour le “surhomme” de Nitche, cette tapette dégénérée.
Je n’aurais sans doute pas pu être moine. Quand je me suis posé la question de choisir ou pas ce métier, j’étais adolescent, je me trouvai dans un monastère assez sévère, justement, chez le portier. La cloche a sonné. Le portier est allé ouvrir. Deux femmes presque entièrement nues sont entrées, vêtues seulement de shorts et de petits soutifs multicolores. Les murs pâles et la fraîcheur du cloître faisaient ressortir leur teint hâlé. La mère et la fille ; elles voulaient voir un moine pour de bon au moins une fois dans leur vie.
Il y avait bien un écriteau sur le portail exigeant une tenue décente de la part des impétrants, mais ces deux blondes-là ne se jugeaient pas indécentes du tout, elles étaient presque innocentes. Le frère portier a fait preuve d’un sang-froid admirable. Il les a laissées mater un coup gentiment à l’intérieur de l’abbatiale, écouter un peu de grégorien, et puis il les a renvoyées à leur circuit touristique, sans se douter qu’il venait d’anéantir ma vocation religieuse.
Je sais bien que ce qui me permet de “tenir”, c’est de savoir que je peux recommencer quand je veux. Je ne suis pas encore vraiment épris de ma liberté. Je ne m’attends pas à l’être au bout de quelques mois seulement. L’amour de la liberté est un truc surnaturel.