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gestaporn

  • Kritik der Kritik

    L’épaisse fiction de Johnatan Littell n’a pas bénéficié en Allemagne de l’accueil révérencieux que la critique en France lui réserva. Les Bienveillantes a été classé “Gestaporn-Roman” Outre-Rhin. Ça veut-il dire que la critique allemande est plus sérieuse et moins dépendante des lois de la grande distribution ?
    Ou alors est-ce que les Allemands ont été vexés par la caricature de l’officier allemand en homosexuel dépravé ? De ce point de vue-là, il est certain que les Yankis, qui ont créé dans certaines villes de véritables ghettos pour pédés, sont mal placés pour donner des leçons aux nazis. Trier les êtres humains en fonction de leur religion, comme les nazis ont fait, au moins c’est un critère politique qui respecte le choix de l’individu ; les trier en fonction de critères raciaux, ou de leurs goûts sexuels (!), comme font les Yankis, c’est de la barbarie.
    On pourrait imaginer un quartier pour sado-masos, avec des passages cloutés mais pas trop, histoire de se faire renverser de temps en temps. Ce n’est pas la brutalité ou la méchanceté qui caractérise la barbarie, mais la bêtise profonde.

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    Du reste on devine que c’est le puritanisme de Littell qui l’a poussé à faire endosser la dépravation et la cruauté à un homosexuel. Or, d’où vient le puritanisme yanki, si ce n’est une importation d’Europe de l’Est et d’Europe centrale, d’Allemagne ?
    Gérard Schröder, en s’opposant à l’envoi de troupes allemandes en Irak a amorcé un mouvement d’émancipation de la tutelle yankie, qui était particulièrement tenace dans le domaine de la politique étrangère et de la culture.
    L’agacement de la classe politique allemande vis-à-vis de Sarkozy est au moins pour partie due aux mêmes motifs. Au moment où l’entente franco-allemande semble pouvoir enfin se concrétiser autrement que par des accords commerciaux, Sarkozy renverse les alliances et fait désormais pencher la France du côté des Anglo-saxons.

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    Mais la principale raison de la divergence de jugement sur Les Bienveillantes entre Français et Allemands n’est pas là. Autant le nazisme est tabou en Allemagne où il vaut mieux ne plus en parler, ni en bien ça va de soi, ni en mal, autant le nazisme fascine toujours les Français.
    Quel écrivain, de Robert Merle au pitoyable Moix, quel cinéaste n’a pas fait son beurre sur les nazis ? Comme au XIXe siècle de véritables écrivains se passionnèrent pour Napoléon.
    Je ne me suis pas livré à un calcul, mais je suis prêt à prendre le pari qu’il n’y a pas un jour où un film ayant trait à l’Allemagne nazie n’est diffusé sur une chaîne de télévision française. Spécialement sur “Arte”, paradoxalement censée contribuer au réchauffement des relations franco-allemandes. “L’Europe sera sado-masochiste ou ne sera pas”, telle pourrait être la devise d’“Arte”.

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    Ce qui ne colle pas dans la propagande de Littell, Claude Lanzmann l’a très bien compris et réservé d’abord un accueil glacial à Littell, ce n’est pas tant que son héros soit homosexuel, le hic c’est qu’il est “cultivé”.
    En effet, dans le raisonnement laïc français, qui était déjà celui des nazis, plus on est cultivé moins on est barbare. Or on n’imagine pas un officier de l’armée yankie aujourd’hui s’intéresser à Picasso, à Sartre ou à Céline, comme certains officiers nazis naguère. A vrai dire il m’est arrivé de fréquenter un certain nombre d’officiers français au cours de mes études et eux-mêmes étaient plus passionnés de billard ou d’automobile que de littérature ou d’art. Lorsqu’ils lisaient, c’étaient des romans à deux balles, comme la critique du Figaro ou de Libé en recommande chaque semaine.

    Cette faille logique, l’esprit cartésien de Claude Lanzmann l’a détectée immédiatement.
    Sans compter l’esprit religieux dogmatique de Lanzmann. Un dogme c’est comme une planche, s’il y a un nœud au milieu elle finira par se fendre ; qu’on comprenne bien : “Le soldat nazi est et demeurera à jamais la brute sanguinaire la plus terrible.” Pour lui on est même allé jusqu’à inventer la rétroactivité des lois, qui ne s’applique pas à un Dutroux ou un Fourniret. Si vous commencez à entrer dans le détail du dogme, à prétendre que ces types-là étaient des salauds, certes, mais des salauds cultivés, bizarrement, c’en est fini, le doute s’installe et la planche éclate.
    Littell n’a pas du tout pigé cette dimension religieuse. Qui plus est, et ça n’a rien de “freudien”, Littell était persuadé d’écrire un roman historique, sans se rendre compte que sa production est de l’ordre de la propagande, qu’elle n’ajoute rien à l’histoire ni au style.
    C’est le même principe pour Wikipédia. On rédige une note scientifique pompée plus ou moins dans une encyclopédie et on est persuadé de faire de la science.

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    Enfin, il faut faire la part de la critique et du succès commercial d’un bouquin. Après avoir vu les Français se précipiter à Noël avec ferveur sur le pavé de Littell, quelques mois plus tard je tombai sur le blogue d’une blogueuse cultivée. La demoiselle désespérait de rencontrer enfin quelqu’un qui ait lu en entier, ou au moins la moitié des Bienveillantes, pour en causer ensemble. Probable que les lecteurs des Bienveillantes sont trop cultivés pour rédiger un blogue.