Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

universalisme

  • Universalisme

    Longue est la liste des notions dont le sens est complètement dévoyé, au sein d'une culture qui prétend briller par la précision et la "haute définition". Il n'y a pas besoin de gratter beaucoup l'épiderme de la civilisation judéo-chrétienne, qui procède presque entièrement de l'autojustification et du plaidoyer "pro-domo" pour remarquer que c'est la confusion qui domine, et non le sens juste. J'en ai déjà fait la remarque à propos du "matérialisme", dont la notion est complètement brouillée. Il va de soi qu'on ne peut être matérialiste, et accorder foi en même temps à la théorie d'Einstein selon laquelle l'espace et le temps prévalent sur la matière.

    De même le sens le plus répandu, qui consiste à qualifier la société de consommation de "culture matérialiste", est le plus erroné, car l'amour des objets de consommation, qui caractérise les personnes aliénées par cet amour, est une inclinaison bien plus sentimentale qu'elle n'est physique. La culture occidentale de la consommation est donc une culture animiste, ainsi que le goût du cinéma et la musique le trahissent aussi - un animisme débridé, sans doute, mais un animisme tout de même. Le totalitarisme en général, dont j'affirme en tant que chrétien que cette forme d'oppression nouvelle ne peut être dissociée de la culture judéo-chrétienne, se caractérise par son emprise sur l'âme, au lieu de l'ancienne contrainte physique. G. Orwell a fait opportunément cette remarque que les intellectuels sont beaucoup moins sensibles au totalitarisme que les personnes ordinaires. Cela est dû à une forme d'intelligence artificielle, capable en théorie de s'affranchir de la réalité. Pour ainsi dire la démocratie, et la petite musique séduisante de l'égalité qui soutient ce culte et le véhicule, en raison de son caractère purement théorique, ne peut être prônée que par des intellectuels, qui font ainsi le jeu du capitalisme, seul mouvement capable de donner à la démocratie une apparence de réalité en faisant reposer la société sur une concurrence accrue, facteur d'une injustice grandissante, puisque contribuant à faire de l'argent le principal étalon de l'égalité et du mérite.

    On peut en dire autant de l'individualisme, de l'humanisme, notions aussi communément mal traduites. Dans certains cas, la trahison est volontaire et sournoise. C'est le cas de l'individualisme, assimilé à l'égoïsme et accusé par certains propagandistes d'être un facteur de désorganisation sociale, quand c'est la mécanique technocratique, tentative d'appliquer aux sociétés un modèle d'organisation inspiré de la fourmilière, qui est la cause principale du désordre social. Or la technocratie repose sur la négation de la détermination individuelle, notamment à travers le darwinisme social, qui a inspiré aux économistes nazis, américains et soviétiques les solutions finales les plus catastrophiques. Ce n'est pas le volet réactionnaire ou nietzschéen, la filiation avec les Lumières de l'idéologie nazie qui firent la dangerosité de ce régime, mais sa culture industrielle et technocratique.

    L'universalisme, comme l'humanisme d'ailleurs, est dans beaucoup de bouches, comme une sorte d'idée chewing-gum qu'il convient de mâchonner pour avoir l'air d'exhaler de bonnes paroles qui parfument l'air autour de soi. J'entendais récemment un directeur de cirque déclamer sa passion pour les arts du cirque, ne manquant pas d'ajouter pour expliquer sa passion que le cirque est un art universel. Veut-il dire par là que le cirque est apprécié aux quatre coins de la planète ? Ce n'est pas mon cas, car je trouve le spectacle des clowns plutôt sinistre. Les enfants les apprécient surtout, mais les enfants ne sont-ils pas fascinés par les spectacles et les arts macabres ? En tant que Français, j'attrape la migraine au bout de quelques minutes d'écouter de la musique classique allemande ou des airs d'opéra italiens. Au même titre la connerie est universelle. Sans doute l'argent est aussi l'agent universel le plus répandu. On peut tout autant dire les cultures "diverses" qu'on peut les dire "universelles". Autrement dit la culture oppose autant les hommes qu'elle est susceptible de les rapprocher, le temps d'une beuverie, d'un film ou d'un épisode de fièvre amoureuse.

    Les moralistes qui démontrent que l'accès de l'homme aux notions ou aux choses universelles est barré par la mort, parce que celle-ci a tendance a réduire la conscience à la seule volonté, sont plus convaincants. Ils permettent de comprendre pourquoi le catholicisme évangélique est forcément anarchiste et antisocial - parce qu'il n'y a pas de société qui ne soit fondée sur le culte des morts, dont le christ Jésus a expressément affranchi ses apôtres. A l'inverse, le problème ou la question d'une notion ou d'une chose universelle n'a aucune raison d'être posée dans une culture de vie païenne, car celle-ci pose à la conscience humaine la limite d'une philosophie naturelle. Dans le paganisme, le rapport de l'homme et des sociétés avec la nature divinisée, prime ; dans le judaïsme ou le christianisme, seul le dépassement de ce rapport avec la nature divinisée compte. La notion de culture et celle d'universalisme n'ont donc rien à faire ensemble, étant antagonistes, tout comme la notion de culture et celle de science sont antagonistes. Un esprit scientifique digne de ce nom verra dans la culture le principal obstacle au progrès scientifique. L'argument culturel est le principal vecteur de l'idolâtrie. Vous voulez réduire le christianisme à néant ? Réduisez-le à ses aspects culturels, comme Feuerbach, c'est-à-dire aux applications sociales d'un message évangélique, qui proscrit absolument cette voie. Vous voulez réduire la science à néant : enfermez-la dans les spéculations de la géométrie algébrique, la plus culturelle des sciences.