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Traduire "kapo"

Dans le calendrier laïc, la rentrée des classes occupe une place prépondérante. Hanifa Chérifi répond sur Europe 1 ce matin aux questions vicelardes de Stéphane Soumier. C’est son métier, elle est officiellement “Médiatrice de l’Éducation nationale”, traduisez “kapo”. Que vont dire les profs aux jeunes femmes qui se présenteront le visage voilé en cours ce matin ? Et est-ce que chaque prof ne doit pas se sentir un peu responsable de la vie des otages français ? La pauvre Chérifi est au bord de la gaffe, la patate est beaucoup trop chaude pour elle… Crime de lèse-laïcité, crime de lèse-journalisme, crime de lèse-islam, ça fait beaucoup à la fois. Kapo, c’est vraiment pas un boulot facile.

Il faudrait vraiment être une brute pour ne pas être ému par la ferveur qui guide tous ces parents ce matin, la main dans la main de leur enfant, sur le chemin de l’école, sous un soleil déjà haut, brillant comme la Raison. Je m’écarte respectueusement pour laisser passer cette digne procession sans bannières ni cantiques. Ce petit garçon blond a des yeux bleus très sérieux qui reflètent la gravité de l’événement. Reflux de quelques souvenirs d’enfance qui ont peu à voir avec l’iconographie sulpicienne de Robert Doisneau.

Au début, j’avais à peine trois ans, et je n’ai pas souvenir d’avoir été trop effrayé lors de ma première rentrée. Juste un petit frisson d’horreur esthétique en pénétrant dans des bâtiments, puis ma classe, décorés dans le goût soixante-huitard de mes instits – que les restaurants MacDonald s’efforcent d’imiter aujourd’hui pour des raisons commerciales évidentes. Ma sensibilité encore mal dégrossie, je dois l’avouer, s’accommoda assez facilement du orange vif et du vert fluo. Je pris l’école comme une échappatoire aux débords de tendresse de ma chère mère, qui mettaient en péril ma virilité. J’appréciais aussi beaucoup mes nouveaux camarades de jeux qui ne se faisaient pas violence, comme mon père, pour jouer aux petites voitures avec moi, et riaient de bon cœur. Combien de temps me maintins-je dans de tels sentiments, je ne sais plus, je dirais deux ou trois ans, pas plus. Cette trêve écoulée, la dimension carcérale de l’institution scolaire m’apparut enfin. Sauf que dans les prisons on se contente de faire semblant de vous réformer ; les instits, eux, s’appliquent vraiment à vous éduquer et prennent leur sacerdoce au sérieux.

Au total, je garde un goût amer de ces longues années passées à l’école de la propagande. Après une phase d’hébétement, je me mis à résister tant que je pouvais, résistance tantôt passive, tantôt active, mais je n’étais pas assez mauvais élève pour être définitivement exclu. Je me réfugiai alors dans la lecture enivrante d’ouvrages peu recommandés, pour ne pas dire mis à l’index, et dans la contemplation concupiscente des formes adorables de certaines de mes voisines de pupitre.
Comment n’en voudrais-je pas à l’école d’avoir fait de moi l’être infirme que je suis devenu à ce régime, à moitié cultivé, à moitié nostalgique, à moitié chrétien, bref à moitié achevé…

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